Droit des enfants : « La violence ne s’inscrit pas dans l’éducation, elle en fait sortir »
À l’occasion de la Journée internationale des droits de l’enfant, le 20 novembre, l’association Stop VEO - Enfance sans violence a été à l’initiative d’un colloque à l’Assemblée nationale sur les violences éducatives ordinaires et le continuum des violences.
« “Si je ne peux pas frapper mon fils, qu’est-ce-que je peux lui dire ?”. C’est comme si ce père me disait “si la violence n’est pas un langage, apprenez-moi à parler” », se remémore Edouard Durand de son expérience de juge des enfants, ce jeudi 20 novembre à l’Assemblée nationale. Le magistrat a également co-présidé la Commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise) entre 2021 et 2023.
C’est à l’occasion de la Journée internationale des droits de l’enfant que s’est tenu dans l'enceinte parisienne, un colloque sur les violences éducatives ordinaires (VEO) et le continuum des violences.
Organisé par Maud Petit, députée du Val-de-Marne, le séminaire a été initié par l’association Stop VEO – Enfance sans violence. Créée en 2016, l’organisation milite en faveur des droits des enfants en s’opposant à toutes les violences éducatives ordinaires. Les intervenants ont abordé le sujet sous un angle sociétal et associatif. Les politiques publiques en matière de protection de l’enfance ont fait l'objet d'un autre éclairage.
Rompre le cycle des violences : l’importance de la sensibilisation
L’Observatoire de la violence éducative ordinaire définit les VEO comme l’ensemble des pratiques coercitives, punitives ou manipulatrices tolérées, voire recommandées dans une société pour « éduquer » et contrôler les enfants.
Fabienne Thollois, formatrice pour StopVEO note l’importance de « nommer » et de « décrire leur impact pour enfin y mettre un terme ». Dans cette optique, elle partage l’expérience d’un stage de citoyenneté qu’elle a co-animé en février. L’atelier a accueilli sept jeunes entre 15 et 18 ans, tous auteurs d’une infraction pour la première fois. « Le premier jour, chacun était sur la défensive. Mais progressivement nous avons tissé un lien de confiance », explique-t-elle.
Elle raconte qu’au départ, les participants ne liaient pas la violence vécue dans l’enfance à celle qu’ils projetaient sur la société. Ils ont ainsi progressivement pris conscience de sa répétition au fil des générations. Une réflexion sur la possibilité de ne pas perpétuer le cycle s’est alors imposée. D’où « l’importance de rendre visible la VEO qui est banalisée, quotidienne, voire même encouragée par la société », estime Fabienne Thollois.
Violences sur les tout-petits : « un rapport de domination de l’adulte sur le bébé »
« Mais qu’en est-il des enfants qui ne parlent pas encore ? », demande Aude Lafitte, présidente de l’association AVI, qui lutte contre les violences infligées aux tout-petits (entre 0 et 3 ans), notamment le cas des « bébés secoués ». Elle rappelle que 67 % des séjours hospitaliers pour maltraitances ont lieu durant la première année de vie et que 81 % des morts violentes au sein des familles concernent les bébés de moins d’un an. Elle déplore que ces violences soient majoritairement traitées comme des « faits divers » alors qu’ « elles sont systémiques ».
« On a longtemps pensé que de tels actes pouvaient être commis par des parents aimants qui auraient “craqué” sous le coup de la fatigue. Mais la réalité est tout autre. Par exemple, la documentation sur le bébé secoué démontre un rapport de domination de l’adulte sur le bébé », détaille-t-elle. En effet, « la violence est répétée dans la majeure partie des cas et il faut en moyenne 10 épisode de secouement avant qu'on pose le diagnostic ».
Aude Lafitte explique que les premiers signes de violences sur les nourrissons correspondent à des « signaux faibles qu’on n’a pas vus ou pas voulu voir » et qu’il est nécessaire de « considérer chacun d'eux comme significatifs ». C’est pourquoi l’association propose un violentomètre spécial bébé destiné à prévenir les violences faites aux tout-petits. Elle souligne l’importance de la prévention pour rompre les maltraitances infantiles.
[Sur la maltraitance du bébé secoué] On a longtemps pensé que de tels actes pouvaient être commis par des parents aimants qui auraient "craqué". Mais la réalité est tout autre. [...] La violence est répétée dans la majeure partie des cas et il faut en moyenne 10 épisodes de secouement avant qu'on pose le diagnostic" - Aude Lafitte, présidente de l'association AVI.
Incompatibilité des notions de violences et d’éducation
Par ailleurs, Sylvie Vernassiere, avocate en droit du dommage corporel et vice-présidente d’AVI fait remarquer le décalage entre les condamnations encourues et celles infligées. « La peine prévue pour avoir secoué un enfant sans intention de lui donner la mort s’élève à 30 ans de réclusion criminelle », explique-t-elle. Or dans les faits, très peu de parents auteurs vont en prison. « Pourquoi un tel décalage ? Les jurés et les juges vont souvent s’identifier au parent défaillant, plus qu’à la victime. Chez AVI, nous souhaitons contrer les idées reçues car ces personnes exercent bel et bien leur violence sur un enfant, il ne s’agit pas d’une erreur de parcours », détaille l’avocate.
Quant à Edouard Durand, il aborde l’inadéquation entre violence et éducation. « La violence ne s’inscrit pas dans l’éducation, elle en fait sortir. L’éducation devient un prétexte à la destruction », indique-t-il. Aussi, « si on s’intéresse à la violence, il faut partir de l’agresseur et non pas de la relation, mais du refus de la relation ».
Ces témoignages s’inscrivent dans un contexte de violences éducatives ordinaires institutionnelles pointées par Laurence Rossignol, ministre de l’Enfance sous la présidence de François Hollande et sénatrice socialiste. « Les familles ne peuvent pas rompre avec les violences si les institutions ne sont pas exemplaires en matière de lutte contre les violences faites aux enfants », déplore-t-elle.
Si on s'intéresse à la violence, il faut partir de l'agresseur et non pas de la relation, mais du refus de la relation" - Edouard Durand, premier vice-président chargé des fonctions de juge des enfants au tribunal judiciaire de Pontoise et ancien président de la Ciivise.
Léanna Voegeli 