« Dry January », « défi de janvier », « janvier sobre »… Pourquoi le mois sans alcool divise-t-il autant les associations ?
Vaut-il mieux prôner l’abstinence ou la sobriété vis-à-vis de l’alcool durant le mois de janvier ? Ces dernières années, les mouvements citoyens inspirés du « dry january » britannique ont fleuri en France portés par des associations et déclinés sous différentes formes. Malgré leurs succès dans la société civile, les différents organisateurs ne se voient pas toujours mutuellement d’un bon œil et aucune campagne n’a reçu de soutien officiel des pouvoirs publics.
30 % des Français sont prêts à suivre le « dry january » en 2024, ont annoncé les organisateurs de la campagne qui s’est fait de plus en plus connaître depuis son lancement en France en 2020. Importé du Royaume-Uni, le concept qui consiste à se passer d’alcool durant tout le mois de janvier et porté par des associations de lutte contre les addictions ne fait pourtant pas l’unanimité.
Aujourd’hui renommé « défi de janvier », son implantation dans l’hexagone a d’abord été faite de rebondissements. Fin 2019, la campagne « janvier 0 degré » annoncée par Santé publique France aux associations pour janvier 2020 a finalement été annulée par le gouvernement peu de temps après un déplacement d’Emmanuel Macron en Champagne. « Je pense que le président a été sensible à nos arguments. Il a dit qu’il n’y aurait pas de mois sec », expliquait alors Maxime Toubart, président du syndicat général des vignerons de la Champagne au média spécialisé Vitisphère.
Un succès grâce aux réseaux sociaux
Déçues, plusieurs associations de lutte contre les addictions, parmi lesquelles Addictions France, se sont emparées de l’opération qu’elles ont relayées sur les réseaux sociaux, principalement via des groupes Facebook et sur Twitter. Un moyen d’action choisi en raison du manque de moyens mais qui s’est avéré très efficace. « Paradoxalement, quand le président a annoncé qu’il n’y aurait pas de campagne, cela a créé un buzz qui a permis aux associations de reprendre le sujet », se souvient la directrice générale d’Addictions France Nelly David. Les associations utilisent les réseaux pour faire passer des messages simples tels que « Et si vous faisiez une pause durant le mois de janvier ? », « Pourquoi pas vous ? », « Pourquoi pas en famille ? ». Le but : « proposer un défi, quelque chose de ludique et sans approche moralisatrice », explique Nelly David.
L’objectif des 31 jours sans alcool mis en avant par les associations est avant tout de faire réfléchir les buveurs d’alcool sur leur consommation et de mettre en lumière la pression sociale à boire. Les groupes Facebook ou l’application « mydéfidejanvier » proposent de les accompagner dans la démarche.
Largement relayé dans les médias, « le défi de janvier » bénéficie aujourd’hui du soutien de neuf villes parmi lesquelles Paris, Toulouse, Strasbourg ou Amiens. Certaines mutuelles apportent également leur appui.
Zéro alcool, une idée qui ne fait pas l’unanimité
Malgré le succès, l’opération n’a toujours pas reçu le soutien du gouvernement, comme l’est par exemple le Mois sans tabac qui se déroule chaque année en novembre. Cette situation a vivement été dénoncée en décembre dernier par 53 professeurs de médecine en addictologie dans une lettre ouverte publiée dans Le Parisien.
En 2023, Santé publique France avait préféré une campagne portant comme slogan « la bonne santé n’a rien à voir avec l’alcool » avec pour objectif de « lutter contre la banalisation de l’alcool, en interpellant notamment sur l’absurdité de se souhaiter une bonne santé en trinquant avec des verres d’alcool ». D’une manière générale, les actions gouvernementales de prévention contre l’alcoolisme préfèrent inviter à un contrôle de la consommation plutôt qu’à un arrêt temporaire de l’alcool.
À l’instar d’autres opérations comme le « damp january », en français « janvier humide », qui préfèrent inviter à la réduction plutôt qu’à un arrêt complet des boissons alcoolisées durant le premier mois de l’année. L’idée derrière : permettre à chaque consommateur d’adapter le défi à sa consommation.
Mais pour la directrice générale d’Addictions France, ces « contre-campagnes viennent du lobby de l’alcool ». « Elles ne prônent pas la pause, alors que l’on sait que l’arrêt pendant un mois a des effets sur six mois ensuite. Cela permet de se poser des questions et de reprendre le contrôle », argumente Nelly David.
« janvier sobre », une campagne qui veut parler à tout le monde
Son avis n’est pas partagé par Laurence Cottet dont la campagne prône la vigilance vis-à-vis de la consommation d'alcool plutôt que l'arrêt. Ancienne alcoolique, elle a lancé en 2019, soit un an avant le « dry january » français, l’opération « janvier sobre ».
« J’étais étonnée qu’il n’y ait aucune action de prévention du grand public en France, ni par l’État, ni par les associations », relate-t-elle. Inspirée par le « dry january » anglais dont les médias français s’étaient fait l’écho, elle choisit de tourner sa campagne autour de la sobriété qu’elle juge plus adaptée au mode de consommation français. Contrairement au « dry january » où il s'agit de ne pas boire d'alcool durant le mois de janvier, ici « le but est de rester toujours dans le contrôle de sa consommation en connaissant le seuil : pas plus de deux verres par jour et pas tous les jours », explique-t-elle.
Laurence Cottet a, elle aussi, utilisé les réseaux sociaux pour lancer sa campagne, en créant un groupe Facebook avant de déposer la marque « janvier sobre » en février 2019. Aujourd’hui présidente de l’association du même nom, elle communique durant le mois de janvier également par le biais de conférences dans des collectivités territoriales et dans des entreprises, notamment dans son ancien secteur, le BTP. Ses interventions assurent un certain succès à sa campagne. L’année dernière, 300 000 personnes se sont connectées sur le site dédié, assure Laurence Cottet. En 2024, elle en espère 500 000.
« L’avantage de l’adjectif sobre est qu’il s’adresse à tout le monde, aussi bien un malade alcoolique qu’une personne qui boit modérément », met-elle en avant. « On n’est pas dans l’interdit. Cela évite l’effet blouse blanche qui écarte une partie de la population », argumente-t-elle. L’intérêt, ajoute également la présidente, est d’éviter la reprise de la consommation habituelle après le mois de janvier.
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Pourtant, le dry january, officiellement nommé « défi de janvier », veut, lui aussi, toucher l’ensemble de la population générale. C’est tout le point de la campagne revendiquée par ses organisateurs, notamment auprès des pouvoirs publics. « Sauf pour les buveurs véritablement excessifs pour qui l’arrêt du jour au lendemain peut être dangereux », souligne tout de même Nelly David.
Si les organisateurs du « défi de janvier » ont tendance à voir d’un mauvais œil l’apparition des campagnes alternatives qu’ils jugent moins efficaces, pour Laurence Cottet la cohabitation avec d’autres opérations durant le mois de janvier ne lui pose plus de problème. « Au début, j’ai eu l’opposition de certaines addictologues, mais c’est dépassé maintenant », témoigne-t-elle.
Elisabeth Crépin-Leblond