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Par Carenews INFO - Publié le 5 janvier 2024 - 15:30 - Mise à jour le 8 janvier 2024 - 15:15
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Eaux usées : une solution pour l’irrigation agricole face aux sécheresses ?

Dans un contexte de changement climatique, la préservation des ressources en eau devient une priorité. La réutilisation des eaux usées traitées émerge comme une solution locale pour atténuer les pressions saisonnières sur la ressource, à condition d’être associée à de vraies mesures de sobriété.

La réutilisation des eaux usées traitées peut constituer l’une des réponses à la raréfaction de la ressource en eau douce. Crédits : MikeLaptev.
La réutilisation des eaux usées traitées peut constituer l’une des réponses à la raréfaction de la ressource en eau douce. Crédits : MikeLaptev.

 

Paru au Journal officiel le 28 décembre 2023, un arrêté vient clarifier les modalités de production et d'utilisation des eaux usées traitées pour l’irrigation de cultures. Le 23 août dernier, un premier arrêté avait déjà simplifié les procédures régissant les projets de réutilisation des eaux usées traitées (Réut). 

Ces textes s’inscrivent dans le cadre du plan eau présenté par Emmanuel Macron en mars 2023, après l’épisode de sécheresse de l’été 2022 et son cortège de restrictions. À travers cette politique, le gouvernement prévoit de lever « les freins réglementaires à la valorisation des eaux non conventionnelles », avec l’objectif de passer de 1 % à un seuil de 10 % de réutilisation des eaux usées traitées d'ici à 2030. 

 

Qu’est-ce que la Reut ? 

 

La méthode de la Réut consiste à utiliser l'eau provenant des stations d'épuration après traitement, au lieu de la rejeter directement dans l'environnement naturel, comme c'est généralement le cas actuellement. Elle peut être utilisée pour l’irrigation agricole par exemple. 

 

Quelles sont les conditions pour réutiliser nos eaux usées ? 

 

Concrètement, l’arrêté du 28 décembre 2023 établit les seuils de qualité des eaux nécessaires aux projets de Réut en fonction des usages et des cultures. Il permet également l’utilisation d’une qualité d’eau moindre, à condition que des mesures supplémentaires de sécurité soient mises en place comme le lavage des denrées à l’eau potable avant la vente.

Il interdit en revanche la Réut sur les terrains saturés, à l'intérieur des périmètres de captage d'eau potable (sauf avis d'un hydrogéologue) et dans des zones sensibles définies par les autorités locales. 

 

Quel état des lieux de la Reut en France ?

 

Depuis une dizaine d’années, de plus en plus de projets de Réut sont entrepris un peu partout en France, notamment dans le sud ou en Vendée. Pourtant, la pratique reste marginale et le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema) recensait, en 2017, 128 cas, dont 63 seulement en fonctionnement sur près de 20 000 stations d’épuration en France. Soit moins de 1 % du volume d’eau traitée à l’échelle nationale, contre 14 % en Espagne et même 80 % en Israël. 

Ce retard s’explique. « Si on a si peu développé ces dispositifs, c’est tout simplement parce qu’on ne manquait pas suffisamment d’eau. Jusqu'à maintenant, la pluviométrie permettait de subvenir à tous les besoins », explique Nicolas Roche, professeur à l’Université d’Aix-Marseille et spécialiste des problématiques de l’eau. Mais avec l’emballement du changement climatique, les choses ont évolué et les pays du Sud ne sont plus les seuls à connaître des périodes de stress hydrique.

« S’il pleut toujours la même quantité d’eau, la répartition de la pluie n’est plus la même sur l’année, engendrant des périodes de sécheresse plus importantes à certains moments de l’année », continue le professeur. Face à ces nouveaux conflits d’usage, la réutilisation des eaux usées se présente comme une solution.

 

Une solution pertinente… dans certains contextes

 

La réutilisation des eaux usées est particulièrement intéressante pour les usages urbains, comme le nettoyage de voiries ou de canalisations, ou encore l’arrosage des parcs ou des jardins où l’eau potable n’est pas nécessaire. 

En agriculture, elle permet à la fois de moins prélever d’eau et, plus surprenant, d’utiliser moins d’engrais. « L’eau usée traitée est en effet plus riche en éléments nutritifs que l’eau brute généralement utilisée. De ce fait, la Réut s’apparente à une fertigation », une technique d’irrigation contenant des fertilisants solubles, selon un état des lieux de la pratique en France réalisé par le Cerema en 2020.

Toutefois, la réutilisation n’est pas appropriée partout de la même manière. En zone littorale, où les stations d’épurations rejettent l’eau presque directement à la mer, il n’y a pas de problème à réutiliser car les impacts environnementaux sont moindres. En plus de prévenir la perte d'eau douce, cette pratique contribue à la diminution des prélèvements dans les nappes.

À l’intérieur des terres, en revanche, l’eau qui sort des stations d’épuration est réinjectée dans les milieux naturels comme les fleuves ou les rivières et peut participer à leur équilibre. Alors que la sécheresse allonge la période d'étiage (quand le niveau d'un cours d'eau est au plus bas) voire assèche les rivières, « les espèces animales et végétales souffrent de la baisse des débits, ce qui contribue à l'érosion de la biodiversité », relève Catherine Franck-Neel, directrice de projet sur la gestion des hydrosystèmes au Cerema, interrogée par Franceinfo. Dans ce contexte, les eaux usées traitées par les stations d’épuration dans les terres, rejetées directement dans les cours d'eau, jouent un rôle positif en maintenant leur niveau et en favorisant la santé des écosystèmes. 

Ces eaux traitées s'inscrivent également dans le « cycle de l'eau, en alimentant des milieux dans lesquels nous viendrons puiser par la suite », pointe Nicolas Roche. 

En clair, « chaque cas est un cas particulier qui nécessite de la concertation et des analyses territoriales de tout le système hydrique », indique le professeur spécialiste de l'eau.

 

Mais qui ne doit pas empêcher d’aller vers plus de sobriété

 

Selon le Cerema, la Réut ne doit jamais être une excuse pour se dispenser d'efforts. Le rapport est clair :  « Il reste préférable de travailler à identifier les causes des déficits et d’infléchir la demande en eau par des mesures d’économie d’eau, avant de rechercher des solutions telle que la Réut pour pallier les manques chroniques »

Une idée qui ne coule pas de source, si l'on en croit une étude du Cieau, selon laquelle 67 % des Français jugent nécessaire d'investir dans des technologies permettant de conserver le même confort d'usage de l'eau.

Du côté des associations écologistes, il est craint qu’une telle méthode soit utilisée comme prétexte par les irrigants pour maintenir le modèle agricole intensif. Certains projets de Réut sont également pointés du doigt au regard de leur objectif. En 2017, 26 % étaient destinés à l’arrosage de terrains de golf, d’après le rapport du Cerema.

Au final, selon Nicolas Roche, une telle méthode ne pourra constituer une alternative intéressante qu'à la condition qu’elle soit accompagnée « d’une étude approfondie de la qualité sanitaire et chimique de l'eau, d’un suivi régulier et de la concertation avec tous les acteurs impliqués »

Le professeur d’université insiste sur le caractère primordial d'une approche complémentaire, associant sobriété, efficacité, complémentarité des usages et restauration des milieux naturels pour résoudre efficacement et durablement les conflits d'usage.

 


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Félicité Dussel 

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