Intelligence artificielle : risque ou opportunité pour le travail ?
Le déploiement de l’intelligence artificielle dans les pratiques professionnelles est considéré à la fois comme une opportunité pour gagner en efficacité, et comme un risque sur les emplois et l’organisation du travail. Cette ambivalence a fait l’objet d’une table ronde lors du Salon Talents for the planet, organisé à Paris par le Groupe AEF, le 19 mars dernier.

Quels sont et quels seront les impacts de l’intelligence artificielle (IA) sur le travail et l’emploi ? L’IA représente-t-elle plutôt un risque ou une opportunité pour l’avenir du travail ? Ces questions, que se posent bon nombre d’entre nous, a fait l’objet d’une table ronde lors du Salon Talents for the planet, organisé au Parc floral de Paris le 19 mars dernier.
« Si l’IA entre dans une organisation, elle impacte forcément le travail », commence par estimer Odile Chagny, économiste à l’Institut de recherches économiques et sociales (Ires). De fait, l’IA a déjà un effet sur tous les métiers, d’une manière ou d’une autre, et les usages se répandent de plus en plus. « Contrairement à ce que l’on pense parfois, cela fait des années qu’on utilise l’IA en entreprise, souligne Odile Chagny. Ce qui est nouveau, c’est l’IA générative [NDLR : IA capable de générer du texte, des images, des vidéos, etc., en réponse à des requêtes] et l’IA connexionniste [NDLR : IA qui reproduit le schéma de fonctionnement d’un cerveau humain] ».
Une utilisation croissante de l’IA dans les activités professionnelles
Selon une étude de 2022 menée par la MIT Sloan Management Review et le cabinet BCG, 64 % des individus utilisent l’IA dans le cadre de leurs activités professionnelles. Mais pour Odile Chagny, « la part de travailleurs qui utilisent l’IA est bien plus élevée que ce qui est déclaré, car il y a beaucoup de "shadow IA", des usages non autorisés et non contrôlés de l’IA par les travailleurs ».
La part de travailleurs qui utilisent l’IA est bien plus élevée que ce qui est déclaré, car il y a beaucoup de "shadow IA", des usages non autorisés et non contrôlés de l’IA par les travailleurs ».
Odile Chagny, économiste à l'Ires
La perception que nous pouvons avoir des systèmes d’IA est assez ambivalente. Ainsi, 60 % des individus considèrent l’IA comme un partenaire de travail, selon l’étude MIT-BCG de 2022. Mais 62 % des Français pensent que l’IA au travail est une menace pour les salariés et les entreprises, selon une enquête de l’Observatoire de la tech menée en 2021.
Cette ambivalence est mise en évidence dans une étude de LaborIA parue en mai 2024. Côté positif, les salariés français voient les systèmes d’IA comme des « assistants utiles », qui permettent un gain de temps et peuvent faciliter le travail, des « solutions prometteuses » qui sont capables de réaliser des tâches complexes. Côté négatif, ces systèmes représentent à leurs yeux une menace pour les emplois ou pour le contenu du travail, et manquent « de maturité, de stabilité, de pertinence et de fiabilité ».
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Une inquiétude pour l’avenir des emplois
« Les vagues successives d’arrivée de l’IA en entreprise ont créé des inquiétudes sur la disparition des emplois et la réorganisation du travail, reconnaît Thomas Landrain, cofondateur et directeur général de Just one giant lab. Toutefois cela crée aussi un fort optimisme : l’IA permet d’aller chercher de l’information plus vite, de creuser davantage les sujets. Cela va donner plus d’autonomie aux gens. » « L’IA permet de réduire le coût d’accès au savoir et à la technologie », poursuit-il. « Or on en a besoin pour faire du développement durable ».
Selon le FMI, l’IA peut être considérée comme un atout, si elle permet d’améliorer la productivité des travailleurs en les libérant des tâches les plus répétitives et mécaniques. Mai elle risque aussi de remplacer certains métiers et de réduire la demande de main-d’œuvre.
Un rapport du Fonds monétaire international (FMI) de janvier 2024 estimait quant à lui que près de 40 % des emplois dans le monde seront affectés par des technologies d’IA. Selon ce rapport, l’IA peut être considérée comme un atout, si elle permet d’améliorer la productivité des travailleurs en les libérant des tâches les plus répétitives et mécaniques. Toutefois, elle risque aussi de remplacer certains métiers et de réduire la demande de main-d’œuvre. Elle pourrait aussi accélérer les inégalités salariales, avec un effet négatif sur les salaires des classes moyennes, tandis que les salariés à hauts revenus pourraient voir leur salaire « augmenter plus qu'à proportion » du gain de productivité que l'IA leur permettrait d'assurer.
Pour le FMI, les emplois les moins en risque sont les postes à responsabilité élevée (chirurgiens, avocats, etc.), qui ont une forte complémentarité avec l’IA. Au contraire des télévendeurs, vendeurs et métiers créatifs, qui peuvent être plus facilement remplacés par les systèmes d'IA.
Des tensions entre logique gestionnaire et logique de travail réel
Selon l’étude de LaborIA, le déploiement des systèmes d’IA dans les entreprises soulève en effet des tensions entre la logique gestionnaire des concepteurs de ces systèmes ou des décideurs et la logique de travail réel des salariés. « Les premiers visent à optimiser les process et la productivité, tandis que les seconds s’interrogent sur la reconnaissance, l’autonomie et le sens du travail face à ces changements », note l’étude.
« Il nous faut apprendre à travailler avec de nouveaux outils d’aide à la décision », souligne Odile Chagny. « L’enjeu, c’est de garder le contrôle humain, de ne pas laisser l’IA prendre les décisions à notre place ». Elle dénonce notamment la logique de « management algorithmique » devenu la norme notamment sur les plateformes logistiques, où de supercalculateurs optimisent en permanence les gestes et les déplacements des préparateurs de commande. Ce qui a pour effet de déshumaniser le travail et est à l’origine d’importantes souffrances chez les travailleurs concernés.
Les rôles professionnels, les compétences requises et le management sont, de fait, bouleversés par l’IA. Pour Thomas Landrain, « face à l’IA, l’humain doit développer ses capacités intuitives, avoir une vision plus panoramique, plus transverse des choses ». Selon lui, la grande distinction entre l’IA et les humains se jouera sur les « soft skills », les compétences relationnelles et comportementales. Dans un contexte où l’accès à l’IA sera de plus en plus généralisé, « ce qui fera la différence entre un bon et un mauvais collaborateur, de plus en plus, ce sera sa capacité à être un humain », conclut-il.
Camille Dorival