TRIBUNE - L’économie sociale et solidaire africaine, un levier d’avenir
Dans un contexte contraint sur le financement de la solidarité internationale, l’économie sociale et solidaire africaine est une solution d’avenir pour le développement inclusif sur le continent, estiment les signataires de cette tribune.

La quatrième Conférence internationale sur le financement du développement (FFD4), qui s’est tenue à Séville la semaine dernière sous l’égide des Nations unies, a réuni plus de 150 pays pour repenser les mécanismes financiers mondiaux. Alors que seules 16 % des cibles des objectifs de développement durable (ODD) sont en voie d’être atteintes d’ici 2030 et que les montants d’aide publique au développement se réduisent, l’économie sociale et solidaire (ESS) s’affirme comme un écosystème à soutenir.
Il ne s’agit pas de faire de l’ESS un substitut à l’aide publique, dont le montant global chute de 30 % en 2025. Celle-ci reste indispensable, et ses retombées sur la santé, l’éducation ou encore la résilience climatique sont largement démontrées. Mais il est essentiel de reconnaître le rôle stratégique de l’ESS pour répondre à des besoins sociaux et environnementaux non couverts et créer des emplois, en offrant un « effet levier » significatif aux financements publics qui se tarissent.
Il est essentiel de reconnaître le rôle stratégique de l’ESS pour répondre à des besoins sociaux et environnementaux non couverts et créer des emplois. »
L’Afrique en première ligne pour structurer une ESS adaptée à ses territoires
Le continent africain est l’un des plus féconds en initiatives de l’ESS, ancrées dans des formes de solidarité traditionnelles - comme les groupes informels d’entraide, les coopératives agricoles, les tontines - mais aussi dans des innovations contemporaines portées par une jeunesse engagée.
Sur le plan institutionnel, les gouvernements africains, tant à l’échelle nationale que continentale, s’engagent de plus en plus dans une dynamique de reconnaissance de l’ESS comme un pilier stratégique de l’économie africaine. Cinq pays en Afrique sont dotés d’un cadre réglementaire sur l’ESS. La première édition du Forum Africain de l’ESS au printemps 2024 à Yaoundé a ainsi rassemblé des acteurs et des gouvernements locaux et nationaux de plus de 30 pays africains, avec plus de 1000 participants. Le colloque scientifique sur l’ESS qui s’est tenu à Abidjan en novembre 2024 a permis d’aboutir à la déclaration sur le processus de mise en place d’un observatoire scientifique africain de l’ESS. L’Union africaine a par ailleurs adopté en février 2025 une stratégie décennale continentale sur l’ESS.
Au Bénin, un cadre national co-construit avec la société civile est en train d’émerger
Le Bénin est un exemple à suivre. Cette année, les acteurs de l’ESS y ont entamé une démarche de concertation dans l’objectif d’aboutir à l’élaboration d’une loi-cadre sur l’ESS. Au-delà de la reconnaissance institutionnelle de l’ESS, cette démarche vise à sécuriser juridiquement les acteurs, faciliter l'accès aux financements en rassurant les investisseurs, et permettre de structurer les politiques publiques de soutien. Elle protège également l'intégrité du secteur de l'ESS, en définissant clairement ses valeurs et ses critères, évitant de potentielles dérives.
Un projet de loi-cadre est ainsi en cours de préparation, fruit d’un dialogue entre le Conseil économique et social, la Chambre de commerce et d’industrie du Bénin, les collectivités locales, SENS Bénin SCOOPs, le Groupe ESS Bénin et les acteurs du terrain. Il a bénéficié de l’effet levier de l’appui de Groupe SOS Consulting et du soutien de la Facilité ICR [1] – cofinancée par l'Union européenne, l'Organisation des États d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique, le ministère fédéral allemand de la coopération économique et du développement (BMZ) et le British Council.
Il appartient désormais aux bailleurs et aux gouvernements partenaires de soutenir l'ESS et de lui donner les moyens de son ambition. »
Tous sont convaincus que l’ESS au Bénin est essentielle pour répondre aux défis nationaux : chômage des jeunes et des femmes, inégalités, marginalisation, mais aussi besoins en services sociaux, transition écologique et dynamisation des territoires ruraux.
« C’est un vrai projet de société que nous portons aujourd’hui. L’ESS n’est pas un slogan, c’est une réalité quotidienne. C’est un acte de volonté et de résilience face aux inégalités croissantes et aux tensions géopolitiques. L’ESS est notre espace de stabilité, notre moteur de développement local », a estimé Conrad Gbaguidi, président du Conseil économique et social du Bénin.
L’Afrique, par ses initiatives et ses réseaux, est en train de construire une voie propre pour institutionnaliser l’ESS en phase avec ses réalités locales. À la lumière de ces dynamiques, il appartient désormais aux bailleurs et aux gouvernements partenaires de soutenir ce mouvement et de lui donner les moyens de son ambition.
Signataires de cette tribune
M. Rachid ABIDI, directeur du Lab’ESS Tunisie
M. Raymond ADJAKPA ABILE, secrétaire général de la Chambre de commerce et d’industrie du Bénin
Mme Nora Ait Abdellah, directrice de la SFB Maroc
Mme Pauline EFFA, co-fondatrice et coordonnatrice du Forum africain de l'ESS (FORAESS)
Mme Kèmi FAKAMBI, directrice générale de SENS Bénin SCOOPs
M. Conrad GBAGUIDI, président du Conseil économique et social du Bénin
M. Jules GOUHAN, président du Réseau ivoirien de l’ESS (RIESS)
Mme Marie Christina KOLO, directrice régionale Océan Indien, PULSE & PPI
M. Alexandre LOURIE, directeur général international du Groupe SOS
Mme Laetitia MAPAGA, présidente du Réseau de l’économie sociale et solidaire du Gabon (RESS-GA)
M. Martin TOHOU, vice-président du Groupe béninois de l’économie sociale et solidaire (GBESS)
Mme Xuan-Dai VERET, directrice générale Groupe SOS Consulting
[1] L'Union européenne (UE) et l’Organisation des États d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (OEACP) cofinancent, dans le cadre du 11ème FED, avec le ministère fédéral allemand de la coopération économique et du développement (BMZ) et le British Council, une « Facilité d'assistance technique visant à améliorer l'environnement des entreprises et le climat des affaires par un dialogue structuré » (Investment Climate Reform Facility). Cette Facilité est mise en œuvre conjointement par la Deutsche Gesellschaft für Internationale Zusammenarbeit (GIZ), le British Council, Expertise France et SNV.