« Le budget 2025 présente des menaces importantes pour les fonds et fondations », entretien avec Marion Lelouvier (CFF)
Le projet de budget 2025 menace fortement l’action des fondations, qu’elles soient opératrices ou redistributrices, alerte le Centre français des fonds et fondations, à travers la voix de sa présidente, Marion Lelouvier.
« Une humiliation », « un carnage », « un projet de budget qui dénigre totalement l’économie sociale et solidaire (ESS) » : les réactions des acteurs de l’ESS à la présentation du projet de loi de finances ont été vives. Leur capacité d’action pourrait être fortement restreinte si les arbitrages faits par le gouvernement de Michel Barnier n’évoluaient pas. Dans ce paysage, les fondations et fonds de dotation ne font pas figures d’exception. Entretien avec Marion Lelouvier, présidente du Centre français des fonds et fondations (CFF).
- Les différents acteurs de l’ESS ont réagi vivement au PLF et au PLFSS présentés par le gouvernement Barnier. Ces textes ont-ils aussi un impact sur les fonds de dotation et les fondations ?
Nous craignons effectivement un effet très négatif du budget 2025 sur notre secteur, de deux manières.
Environ 10 % des fondations (500 sur 5000) sont ce qu’on appelle des fondations « opératrices », ce qui signifie qu’elles mènent directement des actions d’intérêt général, comme peuvent le faire également les associations. Elles sont très présentes notamment dans le secteur sanitaire et médico-social, mais aussi dans l’accueil de la petite enfance, la culture, la recherche scientifique, etc. Des noms font partie du quotidien des Français sans pour autant être identifiés comme fondations. C’est le cas par exemple de Partage et Vie, de l’Institut Curie, de l’Institut Pasteur, des Apprentis d’Auteuil et encore de bien d’autres.
Représentant 11 milliards d’euros de budget annuel et employant 110 000 salariés, ces fondations opératrices subissent comme d’autres établissements gestionnaires, pour certaines, des situations économiques déjà difficiles, notamment dans le secteur du handicap ou celui de la petite enfance. Or les baisses annoncées des budgets consacrés à la solidarité de manière générale, sur l’application du « Ségur santé » ou encore la diminution de la dotation accordée aux départements, est une menace pour elles car beaucoup reposent sur ces financements publics au titre des actions qu’elles mènent en faveur de l’intérêt général. On sait que quand les budgets de l’État en faveur du secteur sanitaire ou médico-social se réduisent, ce sont les hôpitaux ou les Ehpad privés non lucratifs qui sont touchés les premiers. La situation de ces acteurs, pourtant essentiels aux politiques de solidarité en France, risque d’être très complexe.
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On sait que quand les budgets de l’État en faveur du secteur sanitaire ou médico-social se réduisent, ce sont les hôpitaux ou les Ehpad privés non lucratifs qui sont touchés les premiers.
- Qu’en est-il des fondations dites « redistributrices », celles qui collectent des dons des particuliers ou des entreprises pour les redistribuer à des structures d’intérêt général ?
De ce côté-là aussi, l’inquiétude est forte. Chaque année dans le cadre du projet de loi de finances, des députés déposent des amendements visant à réduire les avantages fiscaux liés aux dons, au nom de l’égalité devant l’impôt ou au nom de la maîtrise du budget et de ses priorités d’affectation par l’État.
Ce qui est nouveau cette année, c’est que les amendements viennent de plusieurs tendances politiques. Ainsi, une députée du groupe Modem a déposé deux amendements qui représentent une vraie menace pour la générosité. L’un, qui a été adopté en commission des finances, vise à réduire le taux de défiscalisation des dons lié à l’impôt sur la fortune immobilière (IFI), pour le faire passer de 75 % à 66 %. En 2018, la transformation de l’impôt sur la fortune (ISF) en IFI, qui avait largement réduit le nombre de foyers assujettis à cet impôt, avait déjà eu pour conséquence une baisse de 60 % des dons liés. Depuis, la situation s’est redressée, mais cette dynamique positive serait à nouveau cassée si le taux de défiscalisation venait à baisser brutalement.
Le deuxième amendement concerne cette fois l’impôt sur les sociétés. Il a été rejeté en commission des finances, mais a été à nouveau déposé pour examen en séance plénière. Alors que jusqu’ici les entreprises bénéficiaient d’une déduction fiscale de 60 % jusqu’à 2 millions d’euros de mécénat, et 40 % au-delà, l’amendement propose de ramener ce taux à 40 % quel que soit le montant de mécénat.
Ces deux amendements, s’ils sont adoptés, auront des conséquences, sans doute majeures, sur le montant de la générosité des Français, qu’il s’agisse de particuliers ou d’entreprises. Et cela au détriment des actions d’intérêt général, qui dépendent de plus en plus de la générosité privée, en raison de la baisse tendancielle des financements publics.
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- Quel est le poids de la générosité des Français aujourd’hui ?
Selon le dernier baromètre générosité, elle est de 9 milliards d’euros par an à 60 % venant des particuliers, à 40 % des entreprises. Concernant les entreprises, il y en a plus de 100 000 qui sont des mécènes et, contrairement à ce que l’on pense, 95 % d’entre elles sont des entreprises de moins de 100 salariés.
Le montant de cette générosité va pour un peu plus de la moitié en direction de fondations (opératrices ou redistributrices) et pour un peu moins de la moitié en direction d’associations, pour celles qui peuvent aussi collecter directement.
On sait que toute modification de l’incitation aux dons a un impact exponentiel sur les montants collectés, en positif quand elle augmente ou quand le régime est stabilisé depuis plusieurs années, et en négatif quand les incitations sont réduites. La recherche médicale, l’éducation, l’insertion, notamment, seront ainsi privées de ressources sans que des levées de fonds ne puissent venir compenser cette disparition soudaine.
La recherche médicale, l’éducation, l’insertion, notamment, seront privées de ressources sans que des levées de fonds ne puissent venir compenser cette disparition soudaine.
- Face à cette situation, comment comptez-vous agir ?
Nous sommes fortement mobilisés face à ces amendements et en faveur d’un budget responsable et solidaire, au même titre que les autres acteurs de l’ESS et en concertation et solidarité avec eux, notamment avec le Mouvement associatif et France Générosités. Nous continuons nos actions pour porter la voix de l’intérêt général et de son financement en direction des parlementaires aussi bien que des responsables politiques, en souhaitant que nos alertes permettent d’infléchir les orientations actuelles.
Propos recueillis par Camille Dorival