Liquidation de Railcoop : quelles leçons tirer pour le modèle coopératif ?
La coopérative a été placée le 29 avril en liquidation judiciaire. Les caractéristiques du modèle coopératif sont-elles à l’origine des difficultés de Railcoop ? Décryptage.
Terminus pour l’entreprise coopérative Railcoop : sans grand suspense, le tribunal de commerce de Cahors a placé l'entreprise en liquidation judiciaire ce 29 avril après plusieurs tentatives de remise sur rails du projet. Ligne de fret fermée en 2023 après deux ans d'activité, ouverture de la ligne de voyageurs mainte fois repoussée… Cette liquidation est une issue logique après les dernières années difficiles.
Pourtant, l’idée originelle était particulièrement enthousiasmante : celle d’une coopérative ferroviaire dont l'objectif était de relancer des lignes de trains fermées par la SNCF à cause du manque de rentabilité. Une façon de désenclaver des territoires et de promouvoir les mobilités propres. Son premier grand défi était de proposer des trajets entre Bordeaux et Lyon desservant une dizaine de villes, comme c’était le cas jusqu’à l’arrêt de la ligne en 2014.
Une coopérative basée sur le multisociétariat
Ce projet, possible grâce à l’ouverture du rail à la concurrence en décembre 2020, était un ovni dans l’univers ferroviaire de par son caractère coopératif. Railcoop est une société coopérative d’intérêt collectif (Scic). Comme toute société coopérative, la Scic fonctionne de manière démocratique, sur le principe « 1 personne = 1 voix » et propose des parts sociales dont le rachat s’effectue à la valeur nominale, ce qui empêche la réalisation de plus-values. En revanche, elle se différencie d’autres types de coopératives par le multisociétariat : c’est-à-dire que plusieurs collèges de sociétaires sont formés, à minima trois, dont un rassemblant les salariés de la coopérative et un les bénéficiaires de l’action. Les autres collèges peuvent se composer des collectivités territoriales, d’associations ou encore d’entreprises.
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Cet aspect coopératif était brandi en étendard par les dirigeants et faisait partie intégrante de l’identité du projet. Il était largement affirmé dans le nom choisi pour l’entreprise, Railcoop. Pourtant, il est légitime de se demander si, au vu des déconvenues successives, le modèle coopératif n’a pas davantage représenté un handicap.
Certes, le modèle économique n’est pas le seul paramètre en cause. Nicolas Debaisieux , directeur général de Railcoop, considère que l’attitude de la SNCF à l’égard du projet a été un frein : « elle nous a regardé de haut et n’a pas voulu qu’on émerge », juge-t-il. Autre regard sur l’aventure Railcoop, un article du média d’investigation Médiacités publié en 2023 avait fait part de problèmes en interne de gestion et de management ayant entraîné un changement de direction. La directrice générale adjointe, Alexandra Debaisieux, avait alors quitté le projet.
La coopérative, pas adaptée au secteur ferroviaire ?
« Le modèle coopératif n’est pas le problème. Énormément de belles choses ont été produites par l’intelligence collective de la coopérative », juge Nicolas Debaisieux. Il considère que cela a été un élément fédérateur nécessaire au projet. L'entreprise a d'ailleurs réussi à attirer 15 000 sociétaires et une trentaine de collectivités.
Thibault Mirabel, vice-président de l’association Capital collectif, spécialiste de l’actionnariat salarié, a réalisé sa thèse sur les coopératives de travailleurs (Scop), dont les Scic font partie. Selon lui, « si Railcoop avait réussi économiquement, elle aurait été la première de son genre ».
Il considère tout d’abord que pour toute entreprise, coopérative ou non, le secteur ferroviaire est difficilement pénétrable puisqu’il existe des barrières à l’entrée, liées à sa complexité technique et juridique et au temps nécessaire pour y devenir rentable. Mais les coopératives doivent faire face à une barrière supplémentaire : « les secteurs hautement capitalistiques comme celui du ferroviaire sont peu susceptibles de voir se créer des Scop car elles ont des difficultés à lever des capitaux ».
En effet, acquérir une part sociale dans une coopérative ressemble à un acquittement de frais d’adhésion que l’entreprise rembourse au moment de la sortie du coopérateur. Ne s’agissant pas de private equity, cela attire peu les investisseurs. Qui plus est, la non-possibilité de plus-value à la revente et les règles démocratiques qui empêchent la prise de contrôle, propres aux coopératives, représentent des freins pour ces acteurs de l’économie conventionnelle.
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Reste l’option du prêt réalisé par une banque. Or, « pour une banque, prêter de l’argent à une Scop est plus risqué qu’à une entreprise conventionnelle car il y a peu d’investisseurs pour soutenir le projet », affirme Thibault Mirabel.
Alors les Scic et Scop ne sont-elles adaptées à ce type d’activités ? « Les Scop ont une probabilité de réussir plus élevée quand les coûts irrécupérables en capital humain sont très élevés et que ceux en capital physique sont très faibles. Elles peuvent davantage réussir quand il s'agit par exemple de cabinets d’audit, d’ingénieurs spécialisés ou d’architectes. En, somme, pour des services à haute intensité cognitive », continue-t-il.
Le manque de soutien de l’État en cause ?
Nicolas Debaisieux, lui, pointe du doigt le manque de soutien financier de ces modèles de la part des pouvoirs publics : « il n’y a pas de volonté de leur part de s’impliquer dans ces modèles coopératifs », s’agace-t-il. Au total, les collectivités territoriales ont apporté 10 % des capitaux du projet. Il affirme que l’État a même été totalement absent. Pour quelle raison ? « Les 42 millions d’euros dont nous avions besoin, c’était très peu pour lui, sachant que le projet de LGV entre Bordeaux et Toulouse qu’il finance coûte 14 milliards d’euros. En réalité, l’État défend plutôt un modèle du tout TGV, centré sur Paris. Les projets alternatifs n’ont strictement aucun intérêt pour lui ». Il estime qu’avec un soutien plus massif d’acteurs publics, le projet aurait pu aboutir.
Les projets alternatifs n’ont strictement aucun intérêt pour l'État."
Pour Thibault Mirabel, « l’État aurait certainement dû prendre sa part. Si les Scop ont un fondement autogestionnaire et ne recherchent pas forcément l’aide de l’Etat, les Scic sont beaucoup plus à la croisée du privé et du public. »
Théo Nepipvoda