Maison Glaz, un tiers-lieu pour apprendre à vivre avec la montée de l’océan
Implantée sur une pointe de la presqu’île de Gâvres dans le Morbihan, Maison Glaz est un tiers-lieu qui s’est donné pour mission de faire vivre à l’année le littoral tout en explorant les possibilités de résilience face au changement climatique. Reportage.
Quand on débarque sur la presqu’île de Gâvres par bateau-bus, on a peu l’impression d’arriver au bout du monde. C’est sans compter la petite demi-heure de marche avant d’atteindre la pointe où se niche Maison Glaz, un tiers-lieu bordé des vents et effluves de la mer.
Depuis le sentier côtier, pour rejoindre la maison qui abrite le café, il faut traverser les logements de vacances proposés par le tiers-lieu et habités par des familles en ce mois d’été. Les cabanes en bois y côtoient de grandes tentes blanches et un ancien bateau réhabilité en tiny house. À l’entrée, une colonie de vacances a planté ses tentes. Entre les installations, un grand potager accueille des expérimentations en agroécologie.
À l’intérieur du café cet après-midi de juillet, l’ambiance est paisible. Un groupe de jeunes actifs venu travailler laisse place à des vacanciers et à un couple plus âgé qui joue à un jeu de société. À l’extérieur, un jeune couple rennais en voyage dans son fourgon aménagé est venu siroter un verre au soleil. Ils sont au tiers-lieu pour la première fois, découvert un peu par hasard.
« C’est un café associatif comme on l’entend. On sent que tout est pensé en ce sens », décrit Claire Choplain, l’une de ces vacancières, avant de se demander « qui fréquente vraiment ce genre de lieux ? Est-ce que ce sont seulement les personnes habituées au milieu alternatif ? ».
À cette question, Akira Lavault, assure que Maison Glaz attire en fonction des évènements un public varié, local comme venu d’ailleurs. Celle qui a co-fondé le projet il y a cinq ans est une ancienne attachée de l’ambassade de France en Tanzanie et chargée de mission au sein de l’Agence française de développement. Elle se définit aujourd’hui sur son profil Linkedin comme une « exploratrice du littoral au climat changé ».
Une presqu’île menacée par la montée des eaux
Un nom qui fait référence au lieu qu'elle a choisi pour implanter son tiers-lieu, à la place d’un centre de vacances militaire laissé à l’abandon. Il avait été construit juste derrière un blockhaus, sur un ancien point stratégique de la presque-île, située à l’entrée de la rade de Lorient et reliée à la terre par un fin cordon de terre.
« Au cours du 21e siècle, la presqu'île est vouée à devenir une île », explique Akira Lavault évoquant l’érosion du tombolo, le cordon qui relie Gâvres à la côte bretonne. La digue construite par les militaires pour y implanter la route sur le cordon dunaire empêche l’accumulation naturelle du sable et accélère la modification du littoral due au réchauffement climatique et à la montée des eaux, assure-t-elle. Face à un constat qui menace d’isoler encore plus la petite ville de 690 habitants à l’année, Akira Lavault veut faire prédominer l’optimisme et l’adaptation.
Plutôt que d’essayer d’aller contre la nature, ce qui est inutile et aggrave la situation, il faut réinventer une manière d’habiter le littoral
« Plutôt que d’essayer d’aller contre la nature, ce qui est inutile et aggrave la situation, il faut réinventer une manière d’habiter le littoral », met-en elle en avant. Le tiers-lieu est ainsi pensé à la fois comme un vecteur de lien social et comme un lieu d’expérimentation pour s’adapter au changement climatique sur les côtes.
Pour se faire, un potager adapté à la vie côtière est expérimenté. Des sorties pour connaître les oiseaux de la presqu’île avec un spécialiste sont également organisées ainsi que des ateliers de collecte et de cuisine des algues ou encore des ateliers de médiation sur les enjeux d’habitabilité du littoral au 21e siècle, organisé sous la forme de balades à pied ou en kayak.
Faire vivre le littoral toute L'année
Pour donner corps au projet, ses fondateurs ont créé l’entreprise d’insertion Grand Air, venue compléter l’association qui est au cœur de l’idée initiale, le Centre d’activités pour la revitalisation écologique et sociale des Saisies (Caress), dont le but est de créer du lien social sur la presqu’île.
Grâce à sa centaine de bénévoles, Caress organise des événements tout au long de l’année et met en place des activités comme la chorale ou des rencontres entre les vingt-huit écoliers de Gâvres et les habitants d’une résidence pour personnes âgées.
Un espace de coworking et une programmation culturelle autour de concerts, de résidences d’artistes, de workshops, d’ateliers et de stage est également proposée. Le but mis en avant par Akira Lavault : faire vivre toute l’année un territoire jusqu’ici animé en grande partie par la villégiature estivale.
Difficile d’implanter un tel projet dans un milieu considéré comme rural ? « Pas vraiment », confie Akira Lavault. Le projet a été plutôt bien accueilli à son démarrage par les habitants et a bénéficié du soutien de la mairie qui a racheté les lieux à l’armée et les loue désormais à l’entreprise d’insertion.
Maison Glaz, premier employeur privé de Gâvres
« Elle a eu du courage », note cependant, à l’égard d’Akira, Blaise Krakowiac, bénévole de la première heure et habitant de Gâvres depuis plus de vingt ans. « Au bout de la presqu’île, il n’y avait rien. Tout le monde connaissait cet endroit mais c’était difficile de le faire vivre. Aujourd’hui cela se met en marche doucement », détaille-t-il.
La friche abandonnée a laissé place à un terrain de basket investi par les enfants de la presqu’île, cite le bénévole comme exemple de la revitalisation insufflé par le tiers lieu. L’année dernière, l’établissement a pourtant fait l’objet d’une vague de harcèlement sur Facebook, rapporte Akira Lavault. « Des critiques qui ont fini par s’entredévorer », note-elle tout en confiant avoir laissé glisser.
Aujourd’hui Maison Glaz avec ses douze salariés et ses trois jeunes en service civique est devenu le premier employeur privé de la commune de Gâvres qui compte en tout 88 actifs. Grâce à la location de « la longère », une grande salle située en face du café et louée pour des événements privés et associatifs ou des séminaires d’entreprises, ainsi qu’à l’ouverture des hébergements et du café toute l’année, le tiers-lieu ne réalise « que » 30 % de ses chiffres d’affaires en été. Les 70 % restants sont étalés sur l’année, se réjouit Akira Lavault qui veut œuvrer pour la diversification économique du littoral.
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Une école dédiée à la résilience du littoral
Pour compléter la démarche d’adaptation au changement climatique, Maison Glaz a créé une école de la résilience du littoral en partenariat avec l’université Bretagne Sud, l’agence locale de l’Ademe Aloen et l’organisme de formation Inspire4transition.
La première formation, consacrée à la voile de travail et destinée à des personnes éloignées de l’emploi, doit ouvrir en septembre en collaboration avec la Scic armatrice de voiliers de travail Skravik, qui possède depuis juin le seul voilier français homologué pour la pêche.Pendant quatre semaines, les élèves seront formés par Akira Lavault et les membres de Skravik. Une méthode d’apprentissage avant tout concrète et au grand air, que Maison Glaz veut aussi déployer pour ses autres formations à venir, dont un stage de découverte des métiers du littoral de demain et un diplôme d’université « Résilience des territoires insulaires et littoraux », délivrés par l’Université Bretagne Sud en préparation de la rentrée 2025-2026.
Workshop sur le littoral de demain, cours de séchage de nori breton, réflexion sur la résilience alimentaire et sur la logistique et la mobilité bas carbone à terre et en mer… « Il s’agit de développer des solutions d’adaptation fondées sur la nature », explique Akira Lavault qui dispensera une partie des cours. Sa philosophie : « accepter que ce territoire soit maritime » et « réapprendre à vivre avec la mer ».
Élisabeth Crépin-Leblond