Néo-paysans et agriculteurs : une mixité pour résoudre les crises actuelles ?
Les citadin.e.s sont de plus en plus nombreux.ses à s’installer à la campagne. En quête de sens, ces néo-paysan.ne.s cherchent à renouer un lien avec la nature. Sont-elles-ils la solution pour redynamiser les campagnes ? Explications.
Le monde d’après, cette expression revient continuellement dans les débats et réflexions depuis l’apparition du Covid-19. Symbole d’une conscience toujours plus grande de l’impératif changement de nos modes de vie. Les problématiques liées au monde agricole sont systémiques.
Les modes de production de l’agriculture intensive et extensive doivent évoluer pour répondre à la crise écologique actuelle. Le monde paysan est en souffrance, économiquement bloqué par le nombre d’intermédiaires et la concurrence qui oblige un abaissement des prix. Conséquences, certains agriculteurs produisent à perte. Les néo-paysans nouveaux arrivants, quant à eux, sont en quête de cohérence, de sens, d’une société et d’une économie locale, d’un retour « sur terre ».
Redynamiser le secteur agricole
Le nombre d’agriculteurs s’élève à environ 400 000 personnes en France selon l’INSEE. Ce chiffre baisse de 1,5 à 2 % par an. Depuis 1955, 81 % des exploitations agricoles ont disparu. En 2019, 55 % des agriculteurs avaient plus de 50 ans, et 13 % d’entre eux avaient même dépassé les 60 ans. Le métier est en voie de disparition si on en croit les chiffres, dans 10 ans 45 % des agriculteurs seront à la retraite. Relancer le métier passe par l’accueil de néo-paysans, qui représentaient déjà 62,4 % des nouveaux agriculteurs en 2018, selon Yannick Sencébé chercheuse à l’INRAE et enseignante en sociologie rurale à Agrosup Dijon.
Les néo-paysans peuvent dynamiser les campagnes à certaines conditions. « Une des craintes du milieu rural, c’est que la campagne devienne une campagne consommée », souligne la présidente de l’association BackToEarth, Emmanuelle Coratti.
L‘objectif est que ces arrivées viennent recréer des emplois, une vie locale. Tout cela pourra se faire si des rencontres sont provoquées, si des politiques d’accueil sont mises en place. La « clé, ce sont les projets communs, collaboratifs », explique Emmanuelle Coratti, pour que les néo-paysans s'intègrent dans une politique locale de dynamisation du secteur.
Un travail de sensibilisation du politique sur la question du monde agricole et de l'alimentation doit être effectué. BackToEarth « réfléchit à des actions de plaidoyers pour porter ces questions-là », précise Emmanuelle Coratti. Il y a aussi une forme de transmission de la connaissance, « les agriculteurs sont dépositaires d’une connaissance du vivant qui est phénoménal et qui doit être transmise » notamment dans les cursus scolaires.
Néo-paysans et agriculteurs, des complémentarités
Pour résoudre les problématiques actuelles et pour une insertion réussie des néo-paysans, la question du lien et de la cohérence sociale est centrale.
Les transitions vers le monde paysan ne sont pas faciles à gérer et demandent beaucoup de courage », constate Emmanuelle Coratti.
La question majeure est celle de l’inscription des projets des néo-paysans dans la vie des territoires, dans la durée, dans les politiques des institutions locales. « Nous voulons être un créateur de liens entre les nouveaux arrivants et les institutions, les gens, les associations locales », décrit la présidente de BackToEarth.
Pour créer du lien social BackToEarth conjugue une multitude d'initiatives. L’association organise des événements d’intelligence collective et des hackathons, des rencontres dans lesquels des équipes composées d’un agriculteur, d’un artiste, d’un jeune, d’un élu, d’un entrepreneur et d’un responsable d’association, réunis sur un temps très court, produisent un prototype de projet, ce qui permet de mettre en commun les compétences de chacun. Le but principal est de rassembler des populations très diverses pour échanger sur les projets. « Nous sommes face à des problématiques systémiques, qui ne peuvent être approchées par un angle unique », explique Emmanuelle Coratti.
Résilience alimentaire et révolution agricole
Le modèle agricole actuel traverse une crise existentielle, une crise de son modèle de production, une crise de reconnaissance, alors qu’il est indispensable pour nos besoins vitaux. La transition écologique impose une révolution du modèle agricole vers l’agroécologie, la permaculture, le bio, et vers une distribution locale et une réduction des intermédiaires. La problématique qui préoccupe le plus les néo-paysans est la question de la résilience alimentaire : la capacité des territoires à offrir une alimentation de qualité en quantité suffisante à tous.
Les mutations vers ces systèmes sont très longues, complexes. Pour les agriculteurs d’origine, réinvestir dans de nouveaux moyens de production et dans un nouveau modèle agricole n’est pas toujours possible dans un milieu où 23 % des agriculteurs vivent sous le seuil de pauvreté. Pour enclencher une transition agricole « il doit impérativement y avoir une politique publique de transition agricole. Il doit y avoir des politiques de résilience alimentaire, de soutien à la transition écologique, de revalorisation des paysans. Il faut redonner de la valeur à l’acte de se nourrir », souligne Emmanuelle Coratti.
Pour répondre aux enjeux auxquels nous sommes confrontés, il faudra une juxtaposition de modèles, de compétences. La mixité entre les néo-paysans et les agriculteurs originels est source de richesse. Les hors cadres familiaux, ces nouveaux paysans non issus du milieu agricole, apportent des compétences autres que la connaissance de la terre. Des compétences en management, communication, « des parcours de vie et des bagages qui peuvent être très riches pour des agriculteurs déjà en place, et inversement », explique Emmanuelle Coratti.
La polyactivité de ces paysans qui proposent de la transformation, de l’accueil pour des stages, des séminaires, des chambres d’hôtes est une solution viable pour la pérennité des exploitations à long terme. Ces pratiques sont autant de procédés qui peuvent être mis en commun avec les agriculteurs d’origines, pour juxtaposer les compétences et concevoir un monde agricole durable économiquement et écologiquement.
Les néo-paysans : une crise du sens
Nous vivons dans une ellipse du réel, éloigné du palpable, plus préoccupé par la suspension de nos loisirs due à la Covid-19 que par nos besoins vitaux. « On est arrivé au bout d’un système, à une forme d’absurdité, parce que l’on s’est déconnecté de la réalité du vivant. » relève Emmanuelle Coratti.
« La crise du Covid-19 est une crise du sens, et est venue questionner un certain nombre de personnes dans leur projet de vie. » On observe une hausse de l’intérêt d’un retour à la terre « de façon très nette ». Les confinements successifs sont venus accélérer des transitions qui se seraient faites avec plus de lenteur. Fermes urbaines, jardins partagés, toitures ou murs végétalisés ne sont pas suffisants. Les néo-paysans sont en quête de sens. Renouer avec la nature est la première raison pour laquelle l’exode urbain est en cours.
Les citadins s’installant à la campagne ne sont pas tous dans une démarche de reconversion professionnelle, une part importante des néo-ruraux part habiter à la campagne dans le but de renouer un lien avec la nature sans quitter leur travail originel. La démocratisation du télétravail révolutionne les rapports au lieu de travail et a permis d'accélérer les mutations. Une multitude de tiers-lieux, d’espaces de coworking voient le jour en milieu rural. La question de l’autonomie alimentaire, de la production de son alimentation avec son propre potager, de la connaissance de l’origine des denrées agricoles, est devenue primordiale pour ces ex-citadins.
Florian Grenon