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Par Carenews INFO - Publié le 7 mars 2025 - 17:09 - Mise à jour le 7 mars 2025 - 18:04 - Ecrit par : Célia Szymczak
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Pour favoriser l’entrepreneuriat des femmes, il faut « lutter contre des inégalités persistantes », selon Sophie Vannier (La Ruche)

A la veille de la journée internationale des droits des femmes, Sophie Vannier, la présidente du réseau destiné à l’accompagnement d’entrepreneurs La Ruche, effectue pour Carenews un état des lieux de l’entrepreneuriat des femmes et des obstacles auxquels elles font face pour entreprendre. Elle détaille aussi les leviers à actionner pour faire évoluer les choses.

Sophie Vannier est présidente du réseau d'incubateurs La Ruche. Crédits : La Ruche.
Sophie Vannier est présidente du réseau d'incubateurs La Ruche. Crédits : La Ruche.

 

 

Créer son entreprise pour développer son propre projet est une perspective plus motivante que le salariat pour 59 % des femmes. Pourtant, seules 21 % d’entre elles envisagent de se lancer un jour, selon un sondage publié le 6 mars, réalisé par Opinionway pour le réseau d’entrepreneurs France active et la Fédération bancaire française. « L’envie d’entreprendre n’a jamais été aussi forte chez les femmes », commentent les deux organisations, « mais le nombre de femmes prêtes à franchir le pas recule ».  

De même, 28 % des femmes interrogées en 2024 par l’Ifop pour la Direction générale des entreprises et Bpifrance création déclarent être porteuses d’un projet, dirigeantes d’entreprises, anciennes dirigeantes, ou avoir l’intention d’en créer ou reprendre une, contre 37 % d’hommes.  

Comment expliquer cette différence ? Les stéréotypes genrés sont-ils en cause ? Comment faire évoluer la situation ? Sophie Vannier, la présidente de La Ruche, détaille à Carenews son point de vue sur le sujet. Ce réseau d’incubateurs se donne pour mission de « rendre l’entrepreneuriat et l’accompagnement à la création d’entreprise accessible à tous, dans tous les territoires », y compris aux « personnes éloignées de l’emploi ou sous-représentées dans l’entrepreneuriat ».  

 
  • Les femmes sont-elles moins nombreuses que les hommes à entreprendre ? 

 

Il y a une sous-représentation persistante des femmes entrepreneures par rapport aux hommes. Le problème, c’est l’écart entre le nombre de femmes qui déclarent vouloir créer une entreprise et le nombre de femmes qui portent effectivement une structure. Cela s’explique par des inégalités structurelles.  

Cependant, ce sont des chiffres qui progressent d’année en année, même si cela se fait à la marge. On peut s’en réjouir. Il y a des prises de conscience, des programmes dédiés, cela devient un sujet de société, même s’il y a encore beaucoup à faire.  

 

  • Quelles sont les raisons de ces inégalités ?  

 

Les obstacles à l’entrepreneuriat des femmes ne sont pas dus à leurs compétences. Beaucoup d’inégalités sont liées à l’accès au financement. Les start-up créées par des femmes lèvent 2 % du total des fonds en France [selon une étude de Sista et du Boston consulting group publiée en juin 2023, portant sur 2022]. Il y a des biais : des études montrent qu’en comité de financement, on ne pose pas les mêmes questions aux hommes qu’aux femmes. Les financeurs interrogent plus facilement les hommes sur la stratégie d’expansion, le changement d’échelle ou les ambitions de croissance, et les femmes sur le management des risques, la minimisation des pertes ou comment elles vont assurer la pérennité du projet. 

Le poids des réseaux est aussi un obstacle : il y a un entre-soi dans les sphères de pouvoirs et d'entrepreneuriat qui est plutôt masculin. Cela constitue parfois une barrière à l’entrée pour les femmes.  

 

Des études montrent qu’en comité de financement, on ne pose pas les mêmes questions aux hommes qu’aux femmes. Les financeurs interrogent plus facilement les hommes sur la stratégie d’expansion, le changement d’échelle ou les ambitions de croissance, et les femmes sur le management des risques, la minimisation des pertes ou comment elles vont assurer la pérennité du projet. 

 

  • Constatez-vous des freins liés à la socialisation des femmes, comme le manque de confiance en soi ou le sentiment de manquer de légitimité ?  

 

En effet, les femmes ont davantage tendance à douter de leurs compétences à entreprendre que les hommes. 

On voit aussi plus d’hommes entrepreneurs : cela crée des imaginaires et influe sur les rêves des jeunes, les choix de carrière. C’est la question des role models, qui permettent se projeter. 

Le fait que les femmes supportent davantage de charge mentale, qu’elles assument encore une énorme partie des tâches du foyer, est aussi un problème. 

 

  • Y a-t-il des secteurs dans lesquels les femmes sont absentes ou sous-représentées ?  

 

Les femmes sont les grandes absentes de certains secteurs, en particulier de ceux à forte valeur ajoutée et à fort potentiel d’innovation, comme le numérique, le bâtiment, l’industrie par exemple. On les retrouve davantage, au contraire, sur les sujets de parentalité ou de services à la personne.  

C’est un piège d’imaginer qu’il y a des secteurs féminins et des secteurs masculins. Les entrepreneures peuvent entreprendre dans tous les secteurs. C’est aussi pour cela que nous voulons lutter, avec La Ruche, contre le fait de parler « d'entrepreneuriat féminin ». Il faut plutôt parler « d’entrepreneuriat des femmes ».  

 

C’est un piège d’imaginer qu’il y a des secteurs féminins et des secteurs masculins. Les entrepreneures peuvent entreprendre dans tous les secteurs.

 

  • Sur quoi faut-il agir pour améliorer les choses ?  

 

Un premier levier est de ne pas entretenir les stéréotypes. Les mots nourrissent vraiment la pensée. Faisons attention à la façon dont nous parlons.  

Il faut aussi veiller à éduquer les garçons et les filles de la même manière, de ne pas orienter systématiquement les garçons vers les filières scientifiques et économiques et les filles vers des filières littéraires.  

La formation des parties prenantes, des financeurs et des incubateurs notamment, est un troisième levier. Certains nous disent encore « les femmes entrepreneures ne portent pas des projets ambitieux ». Nous arrivons tous avec nos biais, contre lesquels il faut lutter.  

 

  • Les programmes d’entrepreneuriat spécifiquement destinés aux femmes sont-ils encore nécessaires ? 

 

Nous en avons plusieurs à La Ruche. Nous voudrions les arrêter un jour, dans un monde idéal ! Mais le problème n’a pas encore été résolu. C’est un peu comme les quotas : ce n’est pas idéal mais il faut le faire pour créer la parité. 

Nous avons constaté qu'avec Les audacieuses [le nom d’un programme destiné aux femmes porté par La Ruche], nous attirons davantage de candidatures de femmes que lorsque que nous ne les interpellons pas en direct. Ces programmes sont une façon de lutter contre les biais, les inégalités persistantes, les doutes qu’elles ont à entreprendre 

 

  • Toutes les femmes n’ont pas les mêmes chances de devenir entrepreneures. Celles qui n’ont pas beaucoup de réseau et surtout de ressources financières leur permettant de développer un projet, en particulier, sont pénalisées. Comment faire pour faciliter l’accès de toutes les femmes qui le souhaitent à l’entrepreneuriat ?  

 

Il faut mettre en œuvre des programmes de proximité, de l’aller-vers dans les écoles, les lycées, avec les partenaires prescripteurs, les associations. Il faut porter fort l’étendard de « c’est possible et c’est fait pour toi ». Il faut aussi fournir de l'aide à trouver des stages, parfois à compenser les réseaux qui peuvent être manquants sur certains territoires ou dans certaines familles. 

Bien sûr, les ressources financières sont nécessaires et il est important de travailler avec les investisseurs et les financeurs pour développer des dispositifs adaptés. Mais surtout, il faut des projets solides pour que les financements se débloquent. C'est vraiment l’accompagnement qui accélère cette étape-là. Il faut donc donner accès aux femmes à des programmes d’accompagnement partout où elles se trouvent sur le territoire et peu importe leur parcours.  

Il faut donner accès aux femmes à des programmes d’accompagnement partout où elles se trouvent sur le territoire et peu importe leur parcours. 

 

Dans ce sens, il y a des initiatives qui ciblent certains types de publics, comme Quartier 2030 de Bpifrance pour les quartiers prioritaires de la politique de la ville.  

Dans nos programmes, nous faisons en sorte que les femmes repartent avec un réseau solide d’experts, mais aussi de pairs : l’entraide qui se crée dans les promotions de femmes est incroyable ! Nous travaillons sur les compétences entrepreneuriales, la confiance en soi et les connexions business très concrètes avec de potentiels clients ou financeurs.  

 

  • Vous parlez des actions d’aller-vers, qui consistent à proposer des dispositifs directement aux personnes concernées plutôt que d’attendre qu’elles demandent à y participer. Menez-vous de telles actions, avec La Ruche ?  

 

Nous le faisons énormément. À Marseille, par exemple, nous avons un lieu ouvert appelé Le Transforama au milieu d’un tiers-lieu, la Friche de la Belle de Mai, pour accueillir et conseiller des jeunes. Nous nous rendons chez nos partenaires, les associations et les missions locales, pour parler de nos programmes. Nous sommes très soucieux de parler de l’entrepreneuriat avec un message ouvert et inclusif.

Nous organisons aussi le Women Impact Tour : nous interpellons les femmes dans leur ville avec deux jours d’animation pour travailler une idée en émergence, un projet entrepreneurial à impact.   

Nous avons créé aussi le label WEdays, en partenariat avec Les Premières en Nouvelle Aquitaine. Il permet de faire rayonner toutes les actions mises en œuvre dans une région sur l'entrepreneuriat. Nous communiquons et déployons un programme événementiel sur un mois, pour aller chercher les femmes que nous n’avons pas l’habitude de rencontrer. 

 

Célia Szymczak 

 

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