« Si tout le monde faisait comme nous, ça changerait le monde »
Dans la bande dessinée Les Terrestres, Noël Mamère et Raphaelle Macaron partent à la rencontre d’initiatives de reconnexion à la terre, sur divers territoires français. Ils racontent comment, face à l’urgence écologique, des citoyens ont choisi de vivre autrement, de manière plus respectueuse du vivant.

Dans la bande dessinée Les Terrestres, dont la deuxième édition vient de paraître aux éditions du Faubourg, Noël Mamère, ancien député écologiste et ancien candidat à l’élection présidentielle, et la dessinatrice Raphaelle Macaron partent à la rencontre de cinq initiatives de « reconnexion à la terre », vécue comme nécessaire face à l’urgence climatique, dans diverses parties de l’Hexagone.
À la manière d’un reportage dessiné, se mettant en scène dans la découverte de ces initiatives, ils racontent leurs rencontres, leurs apprentissages et leurs réflexions. « Si tout le monde faisait comme nous, ça changerait le monde », note une des protagonistes rencontrées. Lui-même ancien journaliste sur France 2, Noël Mamère raconte à Carenews la genèse de ce projet et ce que ces rencontres lui ont enseigné.
- Carenews : Comment est née l’idée de cette bande dessinée ?
Noël Mamère : C’est Sophie Caillat, la fondatrice des Éditions du Faubourg, qui me l’a proposée. Elle voulait consacrer une bande dessinée à la question du dérèglement climatique, qui l’angoissait beaucoup. J’ai tout de suite dit oui, et elle m’a mis en contact avec une dessinatrice, Raphaelle Macaron, qui travaille par ailleurs comme illustratrice pour de grands titres de presse, comme le New Yorker et le New York Times.
La bande dessinée s’appelle Les terrestres en référence au philosophe Bruno Latour qui disait que nous avons longtemps vécu comme des « terriens », sans prendre en compte les non-humains, et que nous devrions désormais vivre comme des « terrestres », en connexion avec le reste du vivant.
Pour illustrer cette idée, j’ai sélectionné cinq initiatives, cinq lieux dans lesquels des gens essayent d’habiter autrement le monde, de se comporter en « terrestres » au sens de Bruno Latour. Nous sommes partis à leur rencontre avec Raphaelle. Ce sont ces expériences que nous racontons dans la bande dessinée.

- Carenews : La première expérience que vous relatez, c’est celle de la « zone à défendre » (ZAD) Notre-Dame-des-Landes. Vous y étiez-vous déjà rendu auparavant ?
Noël Mamère : J’y étais déjà allé cinq ou six fois en tant qu’homme politique, et l’expérience me paraissait vraiment intéressante. La ZAD s’était créée vers 2009 en opposition au projet d’aéroport du Grand-Ouest. Des habitants locaux, rejoints par des militants, avaient choisis d’occuper la zone censée accueillir le futur aéroport, en expérimentant de nouvelles façons d’habiter le territoire et de faire société.
La dessinatrice Raphaelle Macaron avait une question récurrente : « Noël, est-ce que c’est la fin du monde ? ». Et je lui répondais systématiquement : « Ce n’est pas la fin DU monde, mais c’est la fin D’UN monde ».
Aujourd’hui, même après l’abandon du projet d’aéroport, il y a toujours une dizaine de villages à Notre-Dame-des-Landes. Nous nous sommes rendus dans un de ces villages, à la rencontre des habitants. La dessinatrice, Raphaelle, est beaucoup plus jeune que moi, et ce n’est pas une militante environnementale. C’était intéressant de la voir évoluer au fur et à mesure de ses échanges avec nos interlocuteurs. Elle est passée par des moments d’angoisse sur les questions environnementales, mais aussi de colère. Elle avait une question récurrente : « Noël, est-ce que c’est la fin du monde ? ». Et je lui répondais systématiquement : « Ce n’est pas la fin DU monde, mais c’est la fin D’UN monde ».
- Carenews : Quelles autres initiatives avez-vous découvertes ?
Noël Mamère : Nous sommes allés à Saint-Sève, près de La Réole, en Gironde. Nous y avons rencontré un couple qui travaillait dans une grande banque d’investissement à Paris, avant de se dire que cela n’avait pas de sens et de s’installer là en construisant une maison en terre, autonome en électricité, avec l’aide de plus de 250 volontaires. Ils y vivent avec leurs deux enfants, en connexion avec le paysage qui les entoure.
Nous avons également visité La Ferme légère, une maison collective quasi passive dans le Béarn, où vivent dix couples âgés de 30 à 60 ans, en connexion avec la terre. Nous sommes allés à La Bascule, à Pontivy, dans le Morbihan, une clinique désaffectée où s’étaient installés, avec l’accord du propriétaire, une soixantaine de « transitionneurs », dont beaucoup issus du monde de la technologie et de l’informatique. Et enfin nous nous sommes rendus à Langouët, un village écolo de 600 habitants situé en Ille-et-Vilaine, qui a par exemple mis en place des cantines bio avant tout le monde, créé des maisons et logements sociaux écolo, installé des panneaux photovoltaïques, etc.
Ce qui est intéressant, c’est que parmi les personnes que nous avons rencontrées, aucune n’a choisi de verser dans le survivalisme. Ces gens ont fait des choix de vie très courageux, mais ils vivent tous en lien avec le reste de la société. Le couple de Saint-Sève fait partie d’une association qui gère un bistrot, les habitants de la ZAD organisent des « marchés non marchands » ouverts à tous. Une des habitantes de La Ferme légère travaille dans une maison de retraite, etc.

- Carenews : Comment interprétez-vous les choix faits par ces « bifurqueurs » ? S’agit-il d’une manière de répondre à des formes d’éco-anxiété ?
Noël Mamère : Ce sont des façons d’adoucir leur éco-anxiété, mais cela va plus loin. Ce sont des choix très politiques. Tous sont des personnes qui étaient très insérées dans la société, et qui ont décidé de bifurquer, pour avoir des modes de vie plus cohérents avec ce qui est important pour eux.
Ces initiatives nous montrent un chemin à suivre. Elles démontrent que c’est possible de faire autrement. Ce sont des initiatives essentielles, mais qui ne suffiront pas. On ne pourra surmonter la crise environnementale que s’il y a une formalisation politique de cette exigence.
- Carenews : Pourquoi avoir voulu mettre en avant ces exemples concrets de bifurcation ?
Noël Mamère : Toutes ces initiatives nous montrent un chemin à suivre. Elles démontrent que c’est possible de faire autrement. Ce sont des initiatives essentielles, mais qui ne suffiront pas. On ne pourra surmonter la crise environnementale que s’il y a une formalisation politique de cette exigence.
Nous souffrons d’un aveuglement volontaire sur la question du dérèglement climatique et de la crise environnementale. Cela s’explique par le fait qu’il y a des intérêts puissants en jeu : l’industrie agroalimentaire, l’industrie de la chimie, des transports, et d’autres, ont obtenu de nombreux reculs sur ces sujets. Le philosophe australien Clive Hamilton explique que nous avons peur de regarder la situation en face, parce que cela nous fait porter la responsabilité du sujet.
Par ailleurs, il y a un décalage entre le temps politique, celui du court terme, et le temps des enjeux environnementaux, qui est celui du long terme. Cela explique le manque de décisions politiques suffisamment ambitieuses sur ces sujets.
Il est difficile d’être optimiste là-dessus, dans une période de retour en arrière au niveau international sur ces questions et d’« écolo-bashing ». Face à cela, il faut espérer la renaissance d’une Europe forte, adossée à des valeurs à défendre.
Face à la crise environnementale, il faut espérer la renaissance d’une Europe forte, adossée à des valeurs à défendre.
- Carenews : À la fin de la BD, vous rencontrez l’essayiste Pablo Servigne, qui a beaucoup inspiré les personnes que vous décrivez et qui a par ailleurs préfacé la 2e édition de votre ouvrage. Il avait notamment popularisé la notion de « collapsologie », qui envisage les risques, les causes et les conséquences d’un effondrement de notre civilisation. Pourquoi avoir souhaité le rencontrer dans le cadre de ce projet ?
Noël Mamère : Pablo Servigne est un personnage très intéressant. Il a d’ailleurs choisi de se retirer de l’exposition du public, car beaucoup de gens le prenaient pour un gourou. Contrairement à ce qu’on dit souvent, il n’annonce pas la fin du monde, mais une série d’effondrements qui ont un effet domino les uns sur les autres : dérèglement climatique, déclin de la biodiversité, déforestation, accroissement de la pollution, etc.
La somme de ces effondrements peut avoir des conséquences sociales et humaines énormes. De fait, la crise environnementale touche d’abord les plus vulnérables. C’est pour cela qu’il faut se préoccuper de justice sociale en même temps qu’on essaie de résoudre la crise environnementale.
Propos recueillis par Camille Dorival
