TRIBUNE - Conformité et résilience : les conséquences du recul de la CS3D pour les directions achats
Le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne se sont accordés, le 8 décembre 2025, sur une version affaiblie de la directive sur le devoir de vigilance (CS3D). Moins ambitieuse que prévu, cette évolution interpelle, estime Pierre-François Thaler, cofondateur et CEO d’ÉcoVadis, dans cette tribune. Pourtant, au-delà du recul réglementaire, les enjeux liés à la durabilité demeurent cruciaux, souligne-t-il.
Le 8 décembre 2025 pourrait bien devenir une date charnière dans la politique européenne de durabilité. À l’issue du trilogue, un accord a été trouvé sur une version édulcorée de la directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité (CS3D). Un recul symbolique et stratégique, d’autant plus préoccupant qu’il résulte d’un compromis politique entre conservateurs et forces populistes, au détriment des ambitions climatiques et sociales portées par les groupes progressistes.
Réduction du risque ou aveuglement face aux risques ?
Pour les fonctions achats, ces évolutions pourraient donner l’illusion d’un répit : moins d’exigences formelles, moins de documentation, une pression réglementaire allégée. Mais ce serait un dangereux raccourci.
Les défis ne disparaissent pas par décret : les risques sociaux, environnementaux, réputationnels restent bien réels. Et les attentes des parties prenantes, investisseurs, consommateurs, ONG, collaborateurs, ne diminuent pas. Elles s’intensifient, et s’expriment bien au-delà des textes réglementaires.
Plus que jamais, le rôle des directions achats est de penser au-delà du strict cadre légal.
Les défis ne disparaissent pas par décret : les risques sociaux, environnementaux, réputationnels restent bien réels. Et les attentes des parties prenantes, investisseurs, consommateurs, ONG, collaborateurs, ne diminuent pas.. »
Ce que le trilogue a acté
Les nouveaux seuils fixés par le trilogue (5 000 salariés et 1,5 milliard d’euros de chiffre d’affaires) réduisent drastiquement le périmètre d’application de la directive. La suppression des plans de transition climatique obligatoires, ainsi que le retrait d’une responsabilité juridique harmonisée à l’échelle européenne, affaiblissent encore l’ambition initiale du texte.
Pourtant, les premiers retours sur le terrain démontrent que la vigilance obligatoire fonctionne. En Allemagne, la loi sur la chaîne d’approvisionnement commence à produire des effets tangibles : amélioration des mécanismes de réclamation, clarification des attentes vis-à-vis des entreprises, retours positifs des pays producteurs.
Ces dynamiques vertueuses sont aujourd’hui gravement remises en question.
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De la conformité à l’achat responsable
Les entreprises ayant anticipé la CS3D et structuré leur chaîne d’approvisionnement en conséquence ne doivent pas changer de trajectoire. Celles qui continuent d’instaurer des démarches volontaires de devoir de vigilance prennent une longueur d’avance.
Les entreprises ayant anticipé la CS3D et structuré leur chaîne d’approvisionnement en conséquence ne doivent pas changer de trajectoire. »
À la clé :
- Une différenciation compétitive, grâce à une transparence accrue,
- Une crédibilité renforcée auprès des parties prenantes,
- Une préparation stratégique en cas de remontée réglementaire,
- Des partenariats consolidés avec des fournisseurs responsables.
Bref, une posture proactive aujourd’hui permet d’éviter des ajustements précipités demain.
4 recommandations pour la fonction achats après le recul de la CS3D
- Ne pas démanteler les processus existants : continuer à utiliser les structures développées pour l’analyse des risques et l’évaluation des fournisseurs, même sans obligation réglementaire.
- Se focaliser sur le risque et la sphère d’influence : continuer de maintenir les risques réels, et non les seuils réglementaires, dans la définition des cadres d’action, notamment pour les secteurs à haut risque social ou environnemental.
- Maintenir et renforcer les mécanismes de réclamation : ces dispositifs sont essentiels pour instaurer la confiance en interne comme en externe, ils constituent aussi des indicateurs mesurables d’impact.
- S’appuyer sur les standards sectoriels et les cadres internationaux : qu’il s’agisse de l’OCDE, des principes directeurs de l’ONU ou des initiatives sectorielles, s’aligner sur ces normes renforce la résilience et prépare l’entreprise aux évolutions futures.
Le repli n’est pas une stratégie
Que le recul de la CS3D ait été acté par une alliance avec des forces hostiles à l’approche démocratique du débat européen doit alerter. Cela renforce la responsabilité des entreprises et en particulier des directions achats.
La responsabilité reste là. La pression s’accentue. Et les attentes en matière d’impact crédible ne faiblissent pas. Les entreprises qui choisissent de ne pas attendre les injonctions réglementaires, mais d’agir selon leur propre définition de la responsabilité, se positionnent en leaders durables.
Les entreprises qui choisissent de ne pas attendre les injonctions réglementaires, mais d’agir selon leur propre définition de la responsabilité, se positionnent en leaders durables. »
Il leur appartient désormais de montrer que la vigilance n’est pas une contrainte, mais un levier stratégique. Le compromis trouvé le 8 décembre a certes affaibli le cadre juridique, mais il n’a en rien atténué les attentes du marché, des citoyens et des investisseurs. Ce sont les entreprises qui sauront maintenir le cap, au-delà des injonctions réglementaires, qui feront la démonstration d’un vrai leadership durable.
Par Pierre-François Thaler, cofondateur et CEO d’ÉcoVadis