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Par Carenews PRO - Publié le 15 mai 2024 - 12:03 - Mise à jour le 15 mai 2024 - 12:03
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BONNES FEUILLES - Mutuelles, revitalisons nos pratiques démocratiques !

Comment repenser les pratiques mutualistes pour qu'elles soient davantage conformes aux valeurs de solidarité, démocratie, proximité, défendues par les mutuelles ? C'est la question que se sont posés 13 dirigeants ou ex-dirigeants effectifs mutualistes dans l'ouvrage "Vingt propositions pour changer le mutualisme", à paraître le 16 mai. Dans cet extrait, Pierre Marini, directeur général d’Unalis Mutuelles, propose de faire progresser les pratiques démocratiques des mutelles par plusieurs leviers : la réforme des modes de scrutin, une plus grande transparence sur le fonctionnement démocratique, ou encore la création d’un conseil consultatif par tirage au sort d’adhérents volontaires et de délégués.

Les mutuelles doivent repenser leurs pratiques démocratiques, selon Pierre Marini, directeur général d'Unalis Mutuelles. Crédit : Disobey Art
Les mutuelles doivent repenser leurs pratiques démocratiques, selon Pierre Marini, directeur général d'Unalis Mutuelles. Crédit : Disobey Art

 

Non-lucrativité, solidarité et démocratie. Si je devais ne retenir que trois valeurs fondamentales pour déterminer les piliers sur lesquels le mutualisme est né et s’est développé, ce serait celles-ci. Faut-il en ajouter ? C’est à chacun de le déterminer. Encore faudrait-il pouvoir s’assurer que ces valeurs supplémentaires sont applicables à tous les modèles de groupements mutualistes et qu’elles ajoutent quelque chose aux trois valeurs précitées. Faut-il ou pouvons-nous en soustraire ? Résolument, non. Sans l’un de ces trois piliers, nous ne serions plus mutualistes. Lucratifs, laissez cela aux assurances capitalistes. Non solidaires, suivez mon regard. Non démocratiques, nous perdrions également notre essence.

Alors, où sommes-nous les plus fragiles ? Pas sur la question de la non-lucrativité. Les textes, les règlements et nos fonctionnements ne nous permettent pas – et c’est heureux – de nous en extraire. Aucun d’entre nous n’en a la volonté, même si certains ont trouvé d’ingénieux moyens d’augmenter leur rémunération à des niveaux peu raisonnables lorsqu’on se revendique de l’économie sociale et solidaire.

Sur la solidarité, alors ? Pas vraiment davantage, bien que nous ayons perdu les logiques d’universalité de la solidarité lorsque nous avons abandonné le principe de « payer selon ses moyens et recevoir selon ses besoins », grâce à une contribution proportionnelle au salaire perçu, et bien que nous ayons laissé la place aux contrats collectifs, qui se sont substitués progressivement au règlement mutualiste et ont instauré, malheureusement, la logique inverse : « Je paye en fonction de mes besoins. »

Pire encore, pour favoriser le développement des contrats collectifs en santé et en prévoyance – généralement à peine à l’équilibre ou déficitaires –, nous avons fait reposer l’effort sur les adhérents individuels. Cette tendance diminue progressivement, tant elle était moralement et économiquement insupportable. Nous avons abandonné les logiques de solidarité à l’échelle de l’ensemble des adhérents de nos mutuelles pour les segmenter (à l’intérieur des garanties puis à l’intérieur des contrats), suivant, comme un ventre mou, les tactiques de nos adversaires du secteur, les assureurs capitalistes. Double faillite : notre incapacité à défendre la singularité et la valeur ajoutée de notre modèle, ce qui fait sa force, et l’adoption des modèles de nos adversaires économiques et idéologiques, terrain sur lequel notre défaite ne peut être, à moyen terme, que totale.

 

Du chemin à parcourir sur la démocratie mutualiste 

 

Et sur la démocratie? Là, en effet, du chemin reste à parcourir. Nos mutuelles, unions ou fédérations sont composées de nos adhérents, qui les dirigent. Tous nos adhérents disposent, en principe, de droits et de devoirs égaux, établis par le Code de la mutualité et confortés par nos statuts, qui en définissent les modalités précises d’exercice. Tout adhérent doit pouvoir, par nature, être élu aux fonctions représentatives au sein de sa mutuelle, qu’il s’agisse de l’assemblée générale, du conseil d’administration ou des postes du bureau, pour ne citer qu’eux.

La mutuelle, union ou fédération, parce qu’elle est composée de ses adhérents, parce qu’elle n’existe que par eux et pour eux, devrait, en principe, être accessible, transparente et ouverte à chacun d’entre eux. En outre, ceux qui participent aux fonctions représentatives des adhérents devraient être en pleine capacité de comprendre, d’agir et de décider de la stratégie et du sort du groupement auquel ils participent. Pour cela, et compte tenu de la complexité de gestion des mutuelles de nos jours, il n’est pas permis de faire l’impasse sur un effort de formation, de tuilage et d’investissement progressif dans les structures de décision.

L’expérience mutualiste nécessaire à une bonne compréhension des enjeux ne s’acquiert pas en un claquement de doigts. Les connaissances indispensables à la bonne marche d’une mutuelle non plus. Néanmoins, toute personne témoignant d’une volonté d’engagement et d’une bonne honorabilité doit pouvoir être accompagnée sur le chemin lui permettant de prendre sa place dans l’organisation, si elle parvient à être élue. Cela pose donc plusieurs défis à nos mutuelles.

 

Faire évoluer nos modes de scrutin

 

Le premier de ces défis est de disposer de statuts et de modes de fonctionnement qui permettent à tout adhérent, par principe, d’accéder sans barrière autre que des contraintes de formation et de durée d’engagement à toutes les fonctions représentatives, voire à la présidence.

Cela implique, par exemple, de s’interdire les scrutins de liste, tant pour ce qui concerne l’assemblée générale que pour le conseil d’administration ou les postes du bureau. Le scrutin plurinominal majoritaire à un tour devrait être la règle. Il assure une représentativité potentielle de tous les adhérents, dès lors qu’ils sont correctement informés des modalités de l’élection et des responsabilités et obligations en jeu. Comme il n’y a aucune responsabilité qui ne s’accompagne de contraintes, une charte de l’élu mutualiste devrait être obligatoirement signée par tout candidat, stipulant les règles de déontologie, les obligations de formation et l’exigence de confidentialité, sur parjure desquelles le mandat de l’élu pourrait être frappé de démission d’office.

 

Mieux informer nos adhérents

 

Le deuxième défi est l’information. Il est nécessaire que nos adhérents nous connaissent, qu’ils connaissent nos modes de fonctionnement démocratiques et l’ensemble des enjeux auxquels nos mutuelles font face. Pour cela, une information fluide et transparente est indispensable. En premier lieu, une information relative aux processus électoraux et aux responsabilités des élus doit être dispensée régulièrement, et pas uniquement à l’occasion des élections. Cette information doit être accessible à tous par les canaux les plus communs.

Ainsi, bannir les appels à candidatures dans un journal d’annonces légales comme seul véhicule de communication semble une évidence. Par ailleurs, nous pourrions améliorer notre transparence en proposant aux adhérents qui le souhaitent de venir éprouver le fonctionnement de la mutuelle, grâce à l’organisation de rencontres dans les locaux administratifs ou commerciaux. Il faudrait définir un cadre spécifique pour cela afin de ne pas déstabiliser le fonctionnement opérationnel, et ces moments pourraient servir, par ailleurs, de vecteur d’échanges singuliers et privilégiés avec des adhérents. De surcroît, en ayant l’occasion d’échanger avec les adhérents sur leur lieu de travail, les équipes opérationnelles bénéficieraient de retours d’expérience précieux pour améliorer la qualité de la relation avec les adhérents et du service perçu.

Cette organisation pourrait être basée sur le volontariat comme sur le tirage au sort, ce deuxième mode ayant l’avantage de nous permettre d’aller vers des adhérents qui, autrement, n’auraient pas connu ou osé réaliser la démarche. Lors de ces rencontres, nous pourrions même – qui sait – détecter de potentiels futurs candidats aux élections, libres et démocratiques, bien entendu.

 

Rendre compte à nos délégués d’autre chose que de rapports indigestes

 

Le troisième défi, pour que les adhérents aient envie de s’engager, c’est que demeurent des territoires d’engagement autres que le vote à la chaîne de rapports réglementaires indigestes (et incompréhensibles pour des profanes), qui ont pour effet sur les adhérents lambda au mieux de les décourager de toute forme d’engagement, au pire de nous cataloguer dans la série des technocrates se réfugiant derrière des concepts abscons pour masquer leur volonté de conserver le contrôle à tout prix de leurs structures.

Bien sûr, il existe des obligations légales de communication et de production de rapports financiers et extra-financiers qui assurent une certaine discipline de marché et un contrôle plus ou moins serré par les bienveillantes autorités qui nous supervisent. Mais la complexité des notions à manier pour analyser et voter efficacement sur ces rapports et ces thématiques nécessite toute l’attention du délégué ou de l’administrateur qui y participe. Pour ce qui est du délégué, qui n’est convoqué généralement qu’une fois par an, la tâche est ardue. Aussi, il ne semble pas illusoire de penser que les délégués élus auraient plus de plaisir à prendre part à des débats et à des discussions, osons-le, plus stratégiques que d’en être réduits à se transformer en factotums administratifs.

Ce qui m’amène à une nouvelle proposition : s’astreindre à réunir chaque année l’ensemble des délégués, à tout le moins, en dehors de l’assemblée générale statutaire, afin qu’ils planchent et débattent sur l’environnement, le contexte, les enjeux stratégiques propres à la mutuelle. Cette rencontre, à laquelle pourraient se joindre des représentants des salariés, des adhérents tirés au sort, la direction opérationnelle et le conseil d’administration, pourrait faire office de séminaire stratégique annuel en présence de parties prenantes variées et en dehors de tout cadre contraint de délibérations et de lectures de rapports et de discours sans fin. Cette réunion pourrait donner lieu à l’adoption d’une résolution sur l’engagement de la mutuelle sur l’année à venir.

 

Constituer, par tirage au sort, un conseil consultatif

 

Le quatrième et dernier défi, à mon sens, est la congruence : l’alignement entre les paroles et les actes à tous les niveaux de l’entreprise. Cet alignement se heurte régulièrement à des tensions contradictoires, que tout dirigeant doit s’efforcer de résoudre. À défaut, entre plusieurs maux, il doit choisir le moindre. C’est là que naissent, parfois, les conflits d’intérêts et les incompréhensions. La meilleure manière de s’assurer que la réponse donnée est la bonne, c’est de confronter son raisonnement à des lectures de personnes qui n’y ont pas d’intérêt spécifique.

Ainsi, une idée pourrait être de constituer par tirage au sort un conseil consultatif parmi des adhérents volontaires et des délégués à l’assemblée générale qui ne sont pas membres du conseil d’administration (CA). Ce conseil consultatif, convoqué et animé par le président du CA ou, mieux, par le responsable de la fonction clé de vérification de la sincérité telle que je la propose dans un autre chapitre, pourrait se voir exposer les sujets, non confidentiels, qui seront par la suite présentés au CA. Une information, une formation et des explications complètes lui seraient fournies. Il émettrait un relevé d’avis, à la suite de votes, qui serait transmis pour information au CA avant ses délibérations. Afin d’éviter tout risque de conflit d’intérêts, un délai suffisant entre l’appartenance au conseil consultatif et l’élection éventuelle au conseil d’administration devrait être observé.

Nos mutuelles, unions et fédérations ont été, pour certaines, le creuset de la mise en place et du maintien, contre tout principe démocratique, de cours, de castes et de clans. Certains y ont établi des dynasties, le prétendu pouvoir se transmettant de père en fils. Certains ont également établi et abusé des règles leur permettant de se maintenir à la tête des structures, au moyen de simulacres d’élections et de mandats reconductibles à l’infini. Certains ont vu dans l’élection mutualiste une perspective de carrière et ne se sont pas privés de tout mettre en œuvre pour y rester résolument accrochés, se plaignant du manque de renouvellement militant tout en le chérissant et en coupant toutes les têtes qui dépassaient, de peur que celles-ci conduisent à ce que les commandes changent de mains. Certains ont, enfin, profité des failles du système pour, tout en respectant facialement le bénévolat de leur mission, s’octroyer des rémunérations croisées dans des entreprises mutualistes directement ou indirectement liées.

Toutes ces pratiques ont entaché et entachent toujours le mouvement mutualiste et la confiance que nous pouvons avoir dans la sincérité de ceux qui s’y engagent. C’est à nous seuls d’y mettre un terme. Ces quelques propositions, visant plus de transparence et une démocratie plus vivante, peuvent contribuer à cet objectif.

 

Pierre Marini, directeur général d’Unalis Mutuelles

 

Pour en savoir plusVingt propositions pour changer le mutualisme, à paraître le 16 mai aux éditions Les Petits Matins, disponible en librairies. 

 

20 propositions pour changer le mutualisme, à paraître le 16 mai aux éditions Les Petits Matins.

 

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