« Dessin de presse : la censure devient majoritaire dans le monde » - Tribune de Kak, président de Cartooning for Peace, pour Ouest-France
« Les tyrans de ce monde ont profité des fortes turbulences de la période 2020-2023 (pandémie, guerres, tensions diplomatiques, désinformation numérique…) pour resserrer leur étau sur les médias, et notamment les dessinatrices et dessinateurs de presse », constate le dessinateur Kak, président de l’association Cartooning for Peace. Parmi les craintes du moment, l’étau qui se resserre dangereusement en Russie et en Inde.
Fidèles à l’adage d’Héraclite « La crise est la mère de l’opportunité », les tyrans de ce monde ont profité des fortes turbulences de la période 2020-2023 pour resserrer leur étau sur les médias, et notamment les dessinatrices et dessinateurs de presse.
La pandémie, les guerres, les tensions diplomatiques, la désinformation numérique… Autant d’aubaines permettant de légitimer de nouvelles réglementations qui, au prétexte louable de protéger la population, fourniront les moyens légaux de museler les dissidents, accusés tour à tour de « tentative de déstabilisation de l’État », « terrorisme numérique » ou « pacte avec des puissances étrangères ».
Jordanie, Russie, Turquie…
Le dernier rapport de Cartooning for Peace (*) et Cartoonists Rights sur la « Situation des dessinateurs de presse dans le monde » signale ainsi une forte hausse du nombre d’alertes.
Nos deux organismes, spécialisés dans la défense du dessin de presse, constatent que, à la liste des pays historiquement répressifs, tels que la Chine, l’Iran ou Cuba, s’ajoutent peu à peu de nombreux régimes où les caricaturistes sont menacés : Turquie, Algérie, Afghanistan (avec le retour des Talibans), Jordanie, Bangladesh, Malaisie, Philippines… Et bien entendu la Russie de M. Poutine où les tout derniers dessinateurs critiques ont dû poser le crayon, ou fuir le territoire, à l’instar de Denis Lopatin ou Viacheslav Shilov, tous deux réfugiés en France.
Certaines alertes ont même retenti dans des pays encore plus proches de nous. On citera par exemple la Hongrie, membre de l’Union européenne, où le dessinateur Gábor Pápai a essuyé les foudres de lobbies religieux, avec la bénédiction du parti de M. Orbán. Ou très récemment la Tunisie où, après une boutade sur le nouveau chef du gouvernement appointé par Kaïs Saïed, le célèbre dessinateur Tawfiq Omrane s’est vu arbitrairement arrêté et aussitôt traduit en justice.
Quand l’Inde se radicalise
Mais l’exemple le plus frappant est bien entendu l’Inde. Lancés dans une folle course au nationalisme, s’appuyant sur les courants intégristes hindous, et au contrôle des grands médias, Narendra Modi et ses sbires ont rejoint la famille des censeurs décomplexés. Le pays a chuté au 161ᵉ rang sur 180 du Classement mondial de la liberté de la presse (Reporters sans frontières) et les dessinateurs s’y voient cernés par les mesures répressives et les hordes des réseaux sociaux, coordonnées par un pouvoir parfaitement rodé au bon usage du harcèlement numérique.
Avec cette bascule de « la plus grande démocratie du monde », la majorité des êtres humains vivent désormais dans un pays pratiquant la censure d’État. Un avertissement de plus qui doit toutes et tous nous inciter à non seulement chérir la liberté de la presse et le droit à l’irrévérence, mais aussi à les défendre coûte que coûte face aux conquêtes du despotisme et aux funestes avancées des campagnes de désinformation en ligne.
Kak, président de Cartooning for Peace