Aller au contenu principal
Par Chroniques philanthropiques par Francis Charhon - Publié le 28 janvier 2024 - 18:01 - Mise à jour le 28 janvier 2024 - 18:01
Recevoir les news Tous les articles de l'acteur

[INTERVIEW] Anna Stevanato (DULALA) : la langue, facteur essentiel de l’intégration

La langue et l’intégration, un sujet complexe auquel s’attaque l’association DULALA. On découvre dans cette passionnante interview d’Anna Stevanato les barrières qui s’élèvent devant l’apprentissage du français. Elles touchent les enfants, les parents, les enseignants. Anna nous entraîne dans la découverte d’un monde inconnu emprunt de nombreux présupposés. Elle nous montre la complexité de ce sujet.

Anna Stevanato, fondatrice et directrice de l'association DULALA. Crédit photo : DR.
Anna Stevanato, fondatrice et directrice de l'association DULALA. Crédit photo : DR.
  • Anna Stevanato, vous êtes la fondatrice et la directrice de l’association DULALA (D’une langue à l’autre) qui mène une action tout à fait originale. Elle a pour vocation d’aider les enfants étrangers à apprendre le français. Pourquoi avez-vous créé cette association ? 

 

L’association, créée en 2009, repose sur plusieurs constats. La France est un pays plurilingue de fait et selon l’INSEE-INED, un enfant sur quatre grandit avec une autre langue que le français à la maison. Ce sont des enfants qui peuvent être nouvellement arrivés en France. En 2021-2022, 77 000 enfants environ sont arrivés sur le sol français de différents pays, mais il y a également des enfants français, qui sont nés en France et entendent ou parlent une autre langue que le français à la maison. Il s’agit de langues régionales comme en Occitanie, en Bretagne, au Pays-Basque… Mais c’est aussi le cas de la plupart des enfants qui grandissent avec en héritage des langues de l’immigration. L’arabe, par exemple, est la deuxième langue la plus parlée en France, avec environ 4 millions de locuteurs. 

Apprendre le français un enjeu majeur pour l’intégration

  • Cela signifie que ce sont des enfants qui arrivent et vont à l’école et sont directement censés comprendre le français ?

 

Effectivement, les enfants qui viennent d’arriver sur le sol français vont à l’école et, pour la plupart, ne connaissent pas le français. Mais il y a aussi un très grand nombre d’enfants, nés en France, qui ne parlent ni ne connaissent le français. Pour autant, certains enfants peuvent se trouver dans ce que l’on appelle un conflit de loyauté lorsqu’ils arrivent à l’école tiraillés entre la langue de la maison et la langue de l’école, les ponts ne se font pas tout seuls. Lorsque l’on est enseignant ou professionnel de la petite enfance, on a besoin d’aider les enfants à faire ce rapprochement entre langue et la culture de la maison et la langue et la culture de la structure d’accueil. 

 

  • Cela place les enseignants dans une position difficile avec des enfants qui parlent sept, huit, dix langues différentes. 

 

En effet, il est très complexe de travailler dans des écoles, dans des crèches où parfois il peut y avoir une dizaine, voire une vingtaine de langues en présence très différentes. Il ne s’agit pas du tout de toutes les enseigner, ce n’est pas ce que l’on demande aux enseignants. Mais il s’agit accueillir les enfants, de mettre en place ce que l’on appelle une hospitalité langagière qui permet de rendre visibles les langues minoritaires et minorisées, et de leur donner une présence à l’école à travers des activités assez variées. Elles peuvent être de l’ordre de la découverte de certaines langues, de manière très simple jusqu’à des projets plus complexes…

Qu'est-ce qu'une langue minoritaire ? Qu'est-ce qu'une langue minorisée ?

Une langue minoritaire est une langue parlée par des minorités linguistiques provinciales, nationales ou ethniques, dans un pays donné.

Langue minorisée est un terme sociolinguistique qui fait référence à un idiome qui a souffert une marginalisation, une poursuite ou même une interdiction dans quelque moment de son histoire.

On peut proposer aux parents ou aux enfants de partager leur savoir linguistique et culturel et changer le regard qu’on peut porter sur eux, ils ne sont plus perçus comme déficitaires, mais comme experts. Ce qui est intéressant, c’est que l’on va pouvoir visibiliser cette diversité et donc la faire exister. Quand un parent rentre à l’école et qu’il voit que la langue de la famille n’est pas bannie, n’est pas considérée comme honteuse, mais qu’elle est plutôt accueillie et visibilisée, l’accueil ne se fait pas du tout de la même manière. On facilite ainsi l’inclusion et l’intégration des parents et des enfants. 

 

  • L’objectif est bien quand même que les enfants arrivent à apprendre le français pour pouvoir vivre correctement dans la société ?

 

Tout à fait, l’objectif est de favoriser l’inclusion, favoriser l’égalité des chances des enfants car les langues (et donc leurs locuteurs) font l’objet d’une hiérarchie.  Il y a des enfants dont le bilinguisme est heureux, recherché, valorisé. Par exemple le bilinguisme avec l’anglais, l’allemand, l’espagnol laisse à penser que c’est une chance d’être dans cette situation. Mais les appréciations peuvent s’inverser quand les enfants arrivent avec d’autres langues de l’immigration pour lesquelles le bilinguisme n’est parfois pas reconnu comme tel alors que les effets sont exactement les mêmes. Ce bilinguisme peut être même considéré comme un handicap et un frein à l’apprentissage du français. Pourtant, aujourd’hui, les études des sociolinguistes, des linguistes, des didacticiens des langues, mais aussi des psychologues et des sociologues pointent l’importance d’apprendre le français se basant sur les apprentissages qui sont déjà existants. C’est un principe très simple en pédagogie, s’appuyer sur les compétences que les enfants ont déjà avant d’arriver à l’école et donc asseoir les connaissances nouvelles comme le français sur le socle des connaissances acquises, pour aider ce passage entre la langue familiale, la langue parentale et la langue seconde, la langue de l’école.  

Créer des passerelles entre les langues

  • Votre travail consiste donc à créer ces passerelles. 

 

Absolument, on travaille à créer des passerelles entre les langues et donc entre les locuteurs. Cela en donnant des clés de compréhension aux enseignants pour comprendre comment fonctionne la mise en place du bilinguisme ou du plurilinguisme chez les enfants qui grandissent avec d’autres langues que le français. C’est un point important pour prendre en compte tout cela dans la pédagogie. L’idée est de valoriser les enfants qui sont en train d’apprendre le français mais ont une autre langue à la maison, pour les accompagner à faire des ponts entre leurs langues, et construire un bilinguisme positif, additif, heureux, où les langues ne sont pas en conflit, ne s’opposent pas, mais se construisent de manière harmonieuse en permettant des transferts entre les langues et le développement de compétences métalinguistiques.  Par exemple, on sait que l’on apprend à parler, à lire et à écrire une seule fois. C’est un apprentissage qui se fait lors des six ou sept premières années de la vie d’un enfant. Lorsque cet apprentissage du langage, cette faculté qui est commune à tous les êtres humains, se fait de manière sécurisée et harmonieuse, on aura plus de chance de construire l’apprentissage d’autres langues par la suite. 

 

  • Sur le plan pratique, que fait votre association ?

 

Vous l’aurez compris, nous ne donnons pas de cours de langues, mais notre action passe par la découverte et la valorisation des langues parlées par les enfants à la maison par exemple, ou de toutes les langues que les enfants peuvent connaître. Nous sommes dans un projet inclusif qui n’exclut pas les enfants « monolingues ». On sait que des enfants peuvent aussi connaître des langues, comme le japonais par exemple pour des enfants passionnés par les mangas, ou encore avoir appris quelques mots d’une autre langue lors d’un voyage. L’idée est vraiment de valoriser tout le répertoire linguistique des enfants quel qu’il soit, car c’est sur ce socle de connaissances qui va se construire l’apprentissage du français. Goethe disait que l’on connaît mieux sa propre langue maternelle quand on découvre et apprend d’autres langues. 

Concrètement, ça se traduit par des activités qui peuvent être très simples : un affichage des langues parlées dans la structure d’accueil, un arbre de « bonjour » plurilingue par exemple. On peut aussi  créer des fonds d’albums plurilingues dans la classe ou dans la crèche, avec des albums jeunesse en français évidemment, mais aussi dans d’autres langues, on peut demander aux parents de venir raconter des histoires ou de venir présenter des éléments de leur langue d’origine, de leur culture d’origine à l’école et en faire profiter tous les enfants. Il ne s’agit pas de cours de langues, mais d’une découverte active, ludique, d’un éveil aux langues que l’on va essayer de mettre en place. 

Former des enseignants et des intervenants

  • Ce que je voulais comprendre, c’est ce que vous faites pour les enseignants, parce que ce sont eux qui sont les vecteurs de la transmission des connaissances. Les professeurs sont-ils formés à se retrouver dans un bain de multilinguisme d’origines différentes ? Votre association fait-elle un travail de formation des enseignants ? Comment travaillez-vous de manière pratique, avec qui et comment ?

 

En tant que laboratoire, nous produisons de ressources pédagogiques, des albums jeunesse en lien avec les éditeurs, nous produisions du matériel pédagogique et informatif. Tout ce matériel et toutes ces ressources sont transmis lors de formations ou d’activités de sensibilisation que nous animons auprès des professionnels de l’éducation, notamment les enseignants. Nous sommes organisme de formation labellisé Qualiopi. Nous formons environ 2 000 professionnels par an.

Travailler dans des classes multilingues ne va pas de soi, cela peut être complexe et notre mission est d’accompagner les professionnels de l’éducation à relever le défi. 

 

  • Comment entrez-vous en contact avec les professionnels ? Se dirigent-ils spontanément vers vous ? 

 

Nous répondons à des demandes de conseillers et conseillères pédagogiques, de collectivités qui souhaitent former leurs agents à la prise en compte du multilinguisme dans leurs structures.

 

  • Cela fait quatorze ans que vous avez créé votre association . Qu’est-ce qui s’est passé durant ces quatorze ans ? 

 

Beaucoup de choses. Nous avons pu faire comprendre que le multilinguisme était une réalité, une normalité dans la société française qu’il fallait prendre en compte pour favoriser l’apprentissage du français et la réussite scolaire. Cette prise de conscience s’est traduite dans des directives ministérielles. Pour l’Éducation nationale aujourd’hui, des directives encouragent les enseignants à mettre en place un éveil aux langues, notamment en maternelle, avec la prise en compte des langues des élèves, des langues des familles. L’association DULALA est citée dans certaines de ces directives et cela est une grande joie et une reconnaissance importante pour nous. Car nous en sommes convaincus, l’école est un lieu privilégié pour impulser des changements durables.  

 

  • Le travail que fait votre association est-il également fait par d’autres associations ?

 

Quand j’ai créé l’association il y a bientôt 15 ans, nous étions très peu nombreux. Même si le nombre d’acteurs engagés sur nos questions reste insuffisant, cela aussi a changé. Plus d’initiatives se sont développées un peu partout en France plus ou moins formalisées, plus ou moins structurées. 

Tisser un réseau de partenaires et de reconnaissances

  • Travaillez-vous ensemble, avez-vous des relations avec ces autres personnes, ces autres associations ? 

 

Nous essayons de travailler ensemble. Nous avons des partenariats qui sont créés avec à la fois des acteurs associatifs, je pense à des associations comme EthnoArt qui fait un travail magnifique sur la prise en compte de la diversité culturelle à l’école. Nous travaillons aussi avec certains CASNAV, ce sont les centres académiques pour la scolarisation des enfants nouvellement arrivés en France. Ces centres dépendent du ministère de l’Éducation nationale. Nous travaillons également avec quelques INSPE (Institut national de formation initiale et continue des enseignants). Notre projet est systémique. Il s’adresse à la fois aux enfants, aux professionnels qui les accompagnent, aux parents bien sûr, et nous essayons de mettre en place ce projet en lien avec des acteurs de la société civile, des chercheurs et des artistes qui nous aident à concevoir les ressources pédagogiques. 

 

  • Avez-vous une reconnaissance par l’Éducation nationale comme acteur d’accompagnement de différents projets ?

 

Oui, nous en sommes fièrs car il est très difficile à obtenir. C’est important car cela légitime l’utilité de notre mission et nos actions dans les écoles qui sont des espaces de transformation précieux. C’est aussi la preuve que nous avons réussi à convaincre des bienfaits des langues maternelles et du fait qu’elles n’entravent pas l’apprentissage du français, au contraire, elles peuvent le soutenir. 

 

  • Depuis le début de votre activité, combien d’enfants avez-vous touchés ? 

 

Nous avons fait un point dernièrement, avec les chiffres de fin 2023. L’impact est relativement important puisque nous avons touché 180 000 enfants avec nos actions depuis le début et 18 000 professionnels qui ont été accompagnés par les formations ou sensibilisations.

Diffuser les pratiques

  • Comment les choses se passent-elles en pratique ? Avez-vous été identifiés par une classe ou une école qui vous demande d’intervenir ? Est-ce vous qui formez les professeurs ou les enseignants ? Comment suivez-vous la classe que vous avez engagée dans ce processus ? 

 

Nous ne pouvons pas intervenir dans toutes les classes de France. Nous avons décidé d’engager nos actions à travers un modèle d’essaimage qui se base sur la formation des professionnels. Lors de la formation des enseignants, nous transmettons à la fois des informations théoriques, mais aussi des outils pédagogiques. Ensuite, ce sont les enseignants qui vont aller dans leur classe et utiliser les ressources qui ont été transmises en formation. Dans certains cas, nous intervenons aussi dans les Cités éducatives, des dispositifs qui ont été développé par l’ANCT, l’Agence nationale de cohésion des territoires. Dans le cadre de ces projets, nous accompagnons sur trois ans des acteurs dans des territoires dit prioritaires, en les formant, en co-animant éventuellement des ateliers dans des classes et en suivant sur trois ans l’impact du projet. 

 

  • Quels sont les niveaux de classe concernés pour ces trois ans ? 

 

Ce sont principalement des classes d’écoles primaires, mais dans le cadre de ces Cités éducatives, nous intervenons également auprès des professionnelles de la petite enfance et des parents. Il y a un enjeu important d’intervenir très tôt car les parents transmettent, ou pas, leur langue maternelle lorsque l’enfant vient au monde. Nous organisons alors des temps de sensibilisation pour les professionnels et des groupes de discussion pour répondre à des questions qui peuvent se poser comme : parler deux, trois langues avec un tout petit, n’est-ce pas trop ? Comment les choses vont-elles se passer lorsque l’enfant va entrer à l’école ? Mes enfants ne répondent pas lorsque je leur parle dans la langue maternelle, est-ce normal ?... Ce n’est pas évident non plus pour les parents de transmettre leur langue maternelle et beaucoup baissent les bras. Ils préfèrent parler un français bancal parce qu’ils craignent autrement de créer de la confusion pour les enfants et de les handicaper lorsqu’ils rentreront à l’école. Alors qu’on le sait et la littérature scientifique le montre, plus un enfant rentre dans le langage avec une langue riche et structurée, plus il aura des chances d’apprendre le français et d’autres langues par la suite. De la qualité de l’apprentissage de la langue une dépendra la qualité de l’apprentissage de la langue de l’école.

 

  • Le travail que vous faites a essaimé un peu partout, donc l’association se développe et j’ai vu que vous avez des « projets phares », Lexilala, Kamilala, Fabulala… ce sont vos outils pour la mise en place de ces projets phares. 

 

Oui, ils font partie des ressources pédagogiques dont nous avons parlé. Ce sont des outils qui permettent de valoriser les langues en présence en travaillant l’entrée dans la lecture, dans l’écrit en français, mais en soutenant aussi les langues des enfants. Nous travaillons beaucoup avec les albums jeunesse, des livres, des histoires. Nous le faisons avec Fabulala ou Kamilala, qui sont deux mallettes pour créer des histoires plurilingues. Lexilala est un autre projet, il s’agit d’un site interactif qui permet de traduire les mots clés de l’école dans une petite vingtaine de langues et facilite ainsi la communication entre les enseignants et les familles dont le français n’est pas la langue première.

On sait en effet que quand les enseignants communiquent auprès des parents allophones, ceux-ci peuvent rencontrer des difficultés de compréhension des messages. Un message simple comme « grève vendredi, pas d’école » peut ne pas être compris par les parents. 

Pour un dialogue parents-école facilité

  • Cela permet donc le dialogue entre l’école et les parents.

 

Tout à fait, parce que l’un des buts de l’école c’est d’avoir une véritable co-éducation avec les parents. On sait que les enfants ont plus de chances de réussir quand les parents sont présents dans leur éducation, quand on arrive à créer des alliances éducatives. Mais lorsque les parents ne comprennent pas le français, on a besoin d’expliquer et de traduire les attentes de l’école, les besoins éducatifs, des besoins qui peuvent être très simples mais qui en fonction des cultures peuvent différer et ne pas être compris. Par exemple, on sait que l’école ne fournit pas le petit déjeuner. Il est important de pouvoir l’indiquer aux parents. Quand on va à la piscine, on demande aux parents de fournir le maillot de bain, le bonnet, etc. Beaucoup sont ceux qui passent à côté de ces informations. Il en va de même pour d’autres communications comme une réunion avec l’enseignant ou la directrice ou d'autres personnes.

 

  • Vous avez identifié que des choses qui paraissent évidentes ne le sont en fait pas du tout. C’est un point important puisque nous avons chacun nos lunettes pour regarder notre environnement et on n’imagine pas des difficultés aussi évidentes que celles que vous citez. Et quand on pense aux enfants, on pense moins aux parents, on pense moins aux messages. Depuis que vous avez lancé vos actions, avez-vous enregistré de grands succès ? 

 

Tout est relatif. On peut toujours faire mieux, mais nous sommes plutôt satisfaits de la manière dont les choses se sont passées et de la façon dont les représentations sur le plurilinguisme ont pu évoluer dans les quinze dernières années même s’il reste encore pas mal de travail. 

La reconnaissance de l’importance de nos actions s’est traduite par plusieurs agréments et labels institutionnels, ce qui marque l’intérêt des pouvoirs publiques sur ces questions. Au-delà de l’agrément de l’Éducation nationale, nous avons reçu le label en tant que partenaire officiel des Cités éducatives, un label d’excellence pour la coordination d’un projet européen, l’obtention du label Qualiopi pour la formation continue... Enfin, nous sommes partenaires du Défenseur des Droits sur les questions de discrimination. 

Parmi les 26 critères de discrimination, il y en a un  sur la linguistique, on appelle cela la glottophobie, un mot qui a été créé en 2016 par un professeur de l’université de Rennes qui s’appelle Philippe Blanchet et qui désigne les discriminations liées aux langues et aux accents. Pour donner un exemple très simple, lorsque le français s’est posé comme langue unique au moment de l’école de Jules Ferry, on punissait les enfants qui parlaient le breton ou une autre langue que le français et les punitions pouvaient être très sévères. On allait jusqu’à laver la bouche des enfants qui parlaient breton à l’école, leur faire porter des bonnets d’âne ou encore les faire agenouiller sur des cailloux pendant des heures, tout cela était très violent. Aujourd’hui, même si ces violences physiques ont cessé d’exister à l’école, il y a encore des cas de violence symbolique lorsque les langues familiales sont dévalorisées ou considérées comme un handicap.  

On se bat donc contre une approche discriminante. Certains enfants qui grandissent avec l’anglais sont félicités, certains parlant d’autres langues le sont pas du tout, au contraire on demande aux parents d’arrêter de parler cette langue, la langue maternelle. Les conséquences peuvent être graves, beaucoup d’enfants tombent dans le mutisme, dans des souffrances scolaires, dans une mauvaise image et regard de soi ou de leur famille. Cela provoque des conflits identitaires, cognitifs et une désocialisation par la suite.

La dernière étude statistique conduite par l’Ined et l’Insee nous informe que l’on a sept fois plus de chances de parler l’anglais lorsqu’on vient d’une famille où l’on parle anglais que l’arabe lorsqu’on vient d’une famille où on parle arabe. 

Le financement

  • Quelles est la taille de votre organisation ? Comment la financez-vous ?

 

Nous sommes sept salariées permanentes aujourd’hui, nous avons une vingtaine d’intervenants vacataires sur le terrain, nous avons également un réseau de cinq formateurs et formatrices en région. Nous avons ensuite évidemment un conseil d’administration avec des membres bénévoles, ainsi qu’un conseil scientifique qui regroupe environ une quinzaine de membres actifs, des chercheurs, des spécialistes du langage, et d'autres. Notre modèle de financement est hybride, il s’appuie à la fois sur des subventions publiques et privées, mais également sur des ressources propres à travers notamment la vente de ressources pédagogiques et de formations à des collectivités ou des structures qui en font la demande.

 

 

  • Vous parlez de subventions privées. Quelles sont-elles ?

 

Nous avons bénéficié longtemps du financement de la Fondation de France qui a été structurant et essentiel pour pouvoir engager l’essaimage dont j’ai parlé plus tôt, le structurer aussi. Aujourd’hui, nous avons le soutien d’autres fondations comme la Fondation Daniel et Nina Carasso, la Fondation Pierre Bellon, pour les fondations privées les plus importantes.

 

  • Hors du soutien des fondations, recevez-vous aussi des dons ?

 

Nous ne faisons pas de campagnes de dons. Le sujet que nous portons est tellement complexe à contrecourant et encore pas suffisamment connu du grand public, pour que les gens puissent faire des donations. 

 

  • Quel est votre budget annuel ? 

 

Nous devrions terminer autour de 980 000 euros en 2023.

 

  • Avez-vous besoin de financements supplémentaires ?

 

Bien sûr ! Nous avons toujours plein de nouveaux projets tout en essayant de pérenniser et structurer ce qui est déjà là et qui fonctionne. 

Des projets pour l’avenir

  • Quels sont ils ?

 

Nous sommes en train de formaliser un parcours de formation pour certifier à nos approches des formateurs et formatrices afin qu’ils puissent eux-mêmes former d’autres personnes. Jusque-là, nous avons formé des professionnels sur le terrain. Nous souhaiterions continuer à le faire évidemment, mais en plus, former et accompagner des personnes qui ont un rôle de formateur au sein des différentes institutions, comme des inspecteurs de l’Éducation nationale, des coordinateurs et coordinatrices pédagogiques, des formateurs et formatrices des personnels de la petite enfance, etc. Nous voulons maximiser l’impact de notre essaimage tout en restant un laboratoire de création et d’innovation pédagogique. 

 

  • Votre site s’adresse plutôt aux éducateurs qu’au grand public ? 

 

Les ressources que nous proposons s’adressent plus particulièrement aux éducateurs et aux parents, mais le site bien détaillé et plein d’exemples peut aussi intéresser le grand public qui voudrait mieux nous connaître ou nous soutenir.

 

Propos recueillis par Francis Charhon.

 

 

Fermer

Cliquez pour vous inscrire à nos Newsletters

La quotidienne
L'hebdo entreprise, fondation, partenaire
L'hebdo association
L'hebdo grand public

Fermer