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Par Chroniques philanthropiques par Francis Charhon - Publié le 7 novembre 2022 - 08:31 - Mise à jour le 25 janvier 2023 - 23:21
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[INTERVIEW] Bastien Engelbach (La Fonda) : « Faire ensemble 2030 propose une porte d’entrée pour s’approprier les ODD »

Bastien Engelbach expose le travail prospectif de La Fonda, un laboratoire d’idées qui se projette vers l’avenir pour aider les associations et les fondations à s’engager dans une vision stratégique. Il y traite de la complexité des problématiques sociales et présente un mode d’emploi pour aider les acteurs à comprendre les difficultés et l’énergie nécessaire pour casser les silos et travailler collectivement. Le blog poursuit l’exploration des voies de collaborations intersectorielles et territoriales de plus en plus indispensables pour agir avec efficacité.  

[INTERVIEW] Bastien Engelbach (La Fonda) : « Faire ensemble 2030 propose une porte d’entrée pour s’approprier les ODD ». Crédit photo : DR.
[INTERVIEW] Bastien Engelbach (La Fonda) : « Faire ensemble 2030 propose une porte d’entrée pour s’approprier les ODD ». Crédit photo : DR.

Mettre en place une vision prospective pour les associations

  • Bastien Engelbach, vous êtes le coordinateur des programmes de La Fonda et vous avez récemment organisé la 7e édition de son université du « Faire ensemble », dont le compte rendu vient d’être publié. Pouvez-vous nous présenter les contours du programme « Faire ensemble 2020 » puis « Faire ensemble 2030 » ? 

 

Le programme « Faire ensemble » 2020 puis 2030 avait été engagé en 2010, pour permettre aux associations de prendre du recul par rapport aux urgences de gestion du quotidien et avoir un espace où se projeter. L’objectif 2020 permettait aux associations de se projeter vers l’avenir, de penser les transformations de leur environnement d’action et donc de renouveler et renforcer leur réflexion stratégique. 

Ce projet s’est appuyé sur les outils de la prospective, marqueur de l’identité de la Fonda en tant que laboratoire d’idées, qui a souhaité diffuser cette culture prospective au sein du monde associatif. Au fil des étapes et des universités qui l’ont scandé, le programme Faire ensemble a fait émerger des enseignements clés, qui nous conduits à nous intéresser aux ODD. Nous avons mis en lumière le fait que nous sommes dans un contexte marqué par un croisement de transitions : transition démocratique, démographique, économique, écologique, numérique. Nous sommes donc dans une période marquée par la complexité, où les enjeux se croisent, qui s’est renforcée avec une accélération des transformations. 

Une vision prospective élargie permet d’embrasser cette complexité. Nous avions ainsi regroupé, en 2013, les tendances à l’œuvre dans la société autour de trois courants :

  • un courant de fragmentation
  • un courant de fluidité 
  • un courant de l’empathie.  

 

Ce dernier met notamment en lumière le fait que face à la multiplication des défis et à la complexité des sujets, il y avait un grand nombre d’initiatives émergentes fondées sur l’idée de faire ensemble et de coopération. Cela s’était notamment concrétisé à l’époque par les PTCE (Pôles Territoriaux de Coopération Économique), qui ont été relancés récemment. Les PTCE sont de véritables dynamiques de coopération pluri-acteurs pour répondre ensemble à une problématique de territoires. Mais ces dynamiques trouvent à s’incarner dans une pluralité de formes.

La communauté d’action pour outil de collaboration

Nous avons alors fait émerger la notion de la communauté d’action. Il s’agit de sortir des réponses en silos et de répondre à la complexité des enjeux par la mise en commun de moyens, de ressources, afin de faire dialoguer et communiquer les acteurs qui n’ont pas forcément l’habitude de travailler ensemble pour apporter les réponses les plus adaptées autour de l’identification en commun des enjeux. La philosophie de cette approche consiste à dire qu’il ne faut pas toujours chercher à créer des dispositifs nouveaux pour répondre à une problématique, mais plutôt à mettre en commun des ressources existantes pour traiter les sujets dans leur complexité. Par exemple, lorsque l’on veut lutter contre le chômage, il ne faut pas le faire uniquement avec les acteurs de l’emploi. Il faut pouvoir faire travailler ensemble des acteurs éducatifs, des acteurs de l’insertion, mais aussi des acteurs de la mobilité, du logement puisque tous ces paramètres-là vont avoir une incidence sur l’emploi. Les personnes peuvent ainsi être accompagnées de façon plus globale et non pas « baladées » d’un dispositif à un autre. Nous avons renforcé cette notion de communauté d’action en les pensant comme porteuses de « stratégies d’impact collectif ». Une série d’articles de la Stanford Social Innovation Review a mis en lumière la notion de l’impact collectif, « collective impact ». Elle invite à articuler les ressources et les moyens pour avoir collectivement un impact plus fort. Pour cela, il faut de la méthode et réunir un certain nombre de conditions :

  • un plan d’action commun
  • des actions se soutenant mutuellement
  • une communication permanente
  • une structure de soutien
  • un système d’évaluation commun. 

 

Toutes ces intuitions : la complexité et le croisement des enjeux, la nécessité pour y répondre de structurer et animer des communautés d’actions porteuses de stratégie d’impact collectif, ont émergé avec Faire Ensemble 2020.

Faire vivre les ODD sous forme opérationnelle

Avec Faire Ensemble 2030, nous nous sommes intéressés aux Objectifs de développement durable (ODD), adoptés par les pays membres de l’ONU en septembre 2015, car ils s’inscrivent en parfaite continuité avec nos travaux. Les 17 ODD, que l’on peut regrouper autour de « 5P », proposent une lecture systémique des enjeux contemporains. Pour y répondre, l’approche partenariale est soulignée par l’ODD 17, qui occupe une place centrale dans le dispositif. C’est par le partenariat que nous allons collectivement d’atteindre l’ensemble des autres objectifs. 

 

  • Vous avez mentionné les « 5 P » dans les 17 ODD ?

 

Les « 5P » sont une manière de regrouper les ODD, qui rend plus simple la mise en perspective et l’inscription d'une action dans le champ des ODD. On voit assez peu circuler cette classification, mais je la trouve vraiment pertinente parce qu’elle permet de mieux rentrer dans la logique selon laquelle il faut tenir compte des ODD dans leur intégralité. Il est plus facile de s’assurer de la transversalité de son action en la reliant aux « 5P » qu’à l’ensemble des 17 ODD. Les « 5P » correspondent à une classification des 17 ODD en cinq catégories : 

  1. P pour « Personne », ou « Peuple » (en anglais People) qui recouvre les ODD suivantes :  1 pas de pauvreté, 2 lutte contre la faim, 3 santé et bien-être, 4 éducation et 5 égalité entre les sexes. Pour reprendre les termes les plus classiques du développement durable, ce sont les ODD du social.
  2. P pour « Prospérité », couvre l’ODD 7 : énergie fiable, durable et abordable, le 8 sur la croissance et l’emploi décent, le 9 sur l’industrie, innovation et infrastructure, le 10 sur la réduction des inégalités et le 11 sur la ville et communauté durable. Il s’agit là plutôt de la dimension économique.
  3. P pour « Planète », avec l’ODD 6 accès à l’eau, le 12 consommation et production responsables, le 13 sur la lutte contre le réchauffement climatique, le 14 sur la biodiversité aquatique, le 15 biodiversité terrestre, ce qui correspond aux enjeux environnementaux. On retrouve les trois piliers du développement durable.
  4. P de « Paix » qui correspond à l’ODD 16 paix, justice, institutions efficaces et qui est une manière de rappeler que l’atteinte de ces objectifs n’est possible que sur la base d’institutions stables. Les ODD ne vont cependant pas jusqu’à dire qu’il faut que ce soient des démocraties qui les appliquent, ce qui est une des limites du consensus international qui les portent
  5.  le P de « Partenariats », l’ODD 17 pour rappeler une fois encore que c’est par les partenariats que l’on atteint ces objectifs. 

 

  • Je suis très impressionné ! Je n’ai encore jamais rencontré quelqu’un qui cite allègrement les 17 ODD, comme si cela faisait partie de son quotidien… On parle en effet souvent des ODD de façon globale. Ce champ lexical est assez compliqué et ils ne sont que rarement mis en perspective sous la forme des 5 P qui permettent déjà une approche synthétique resserrée, car gérer les 16 de front reste un peu illusoire.

 

Lorsque l’on découvre les ODD pour la première fois, avec ces 17 carrés de couleurs différentes et leurs pictogrammes, ceux-ci paraissent tout à la fois immédiatement parlants, mais aussi très intimidants. On peut se sentir assez vite démuni au premier abord, parce que se pose la question de savoir comment travailler avec cette grille de lecture, comment parvenir à articuler de l’action en prenant appui sur eux et contribuer à leur atteinte. Les 5P aident à mieux rentrer dans le sujet. C’est aussi le sens du programme Faire ensemble 2030 que de proposer une porte d’entrée pour s’approprier les objectifs de développement durable. Nous nous y sommes intéressés car ils proposaient une approche systémique en mettant avant la coopération pour répondre aux enjeux, tout en offrant une grille de lecture commune, un même vocabulaire que peuvent s’approprier toutes les familles d’acteurs.  

C’est une première pour l’ONU que de bâtir un agenda de développement international en s’adressant de façon aussi explicite à tous les acteurs. L’atteinte des ODD suppose en effet un engagement non seulement des États, mais aussi des autres acteurs publics et des autres acteurs de la société civile. En affichant le mot d’ordre de « ne laisser personne de côté », les ODD affirment également une ambition forte : ils ne peuvent être véritablement atteints que s’ils sont intégralement atteints et pour cela il faut les travailler à toute les échelles de l’action. Prenons l’exemple de l’accès à l’éducation, relevant de l’ODD 4. On pourrait considérer que cet ODD est atteint en France, pourtant il y a encore 2 % d’enfants qui n’ont pas accès à l’école, des enfants en situation de handicap, des enfants qui sont en situation d’irrégularité administrative… Ces derniers 2 % ne pourront être atteints que par l’action d’acteurs locaux qui travaillent au plus près des populations. Le fait qu’il faille atteindre à 100 % les ODD, et ne laisser personne de côté, est un point essentiel pour les acteurs associatifs de terrain, parce qu’en fait ils sont un maillon essentiel de l’atteinte des ODD. 

Le programme Faire ensemble 2030 est né de la volonté de dire que les ODD peuvent être un langage commun pour structurer de l’action collective, puisque c’est un cadre de référence partagé qui facilite le dialogue entre les acteurs. Nous travaillons beaucoup pour la documentation de projets menés en coopération en les reliant à des ODD. Nous venons de publier le Guide méthodologique du Faire ensemble. Dans la continuité de Faire ensemble 2020, nous avons structuré des communautés d’action, des coopérations sous un format que nous avons expérimenté comme étant un mode de mise en œuvre de l’ODD 17. La jonction entre Faire ensemble 2020 et Faire ensemble 2030 repose sur l’affirmation que la méthode de la stratégie d’impact collectif, la constitution de communautés d’action, peuvent être une manière concrète de mettre en œuvre l’ODD 17. Ce sujet a été au cœur de l’Université du Faire ensemble de 2022. 

Des expérimentations et un guide méthodologique

  • Quand vous dites « mettre en œuvre », vous laisser entendre que la Fonda  est opérationnelle ?

 

Le projet stratégique que nous avons adopté cette année réaffirme le rôle de la Fonda comme laboratoire d’idées, que nous allons faire vivre avec des travaux prospectifs sur la société de l’engagement. Il affirme également notre rôle de fabrique associative. Nous ne sommes pas un acteur d’accompagnement au sens classique du terme, ni un cabinet de conseil.  Néanmoins avec Faire ensemble, nous avons toujours eu la volonté que les concepts et les idées que nous proposions soient utiles à l’action. Le sens d’une démarche de prospective est notamment de nourrir la réflexion stratégique et de proposer des éclairages utiles à la prise de décision. 

Pour approfondir cette logique, nous avons mis en place des expérimentations. Elles ont consisté à travailler avec des acteurs de terrain comme le Centsept à Lyon sur les questions de lutte contre la précarité énergétique ou encore avec Ressources urbaines, un Centre de Ressources Politique de la Ville pour le département de l’Essonne, sur les questions de prévention du décrochage scolaire. Nous avons également lancé une expérimentation avec l’ARS Île-de-France sur les questions de prévention et de promotion de la santé. Nous retrouvons ici respectivement les ODD 7, 4 et 3.  À travers un cycle d’ateliers, nous aidons à structurer la coopération entre acteurs et en même temps nous les outillons pour qu’ils aient des ressources utiles pour la structuration de nouvelles coopérations. 

La septième édition de notre université du Faire ensemble est un aboutissement de plusieurs années de travail, mais aussi une ouverture vers des logiques de transmission et de partage d’outils et de méthodes. Nous y avons officiellement lancé le Guide méthodologique du Faire ensemble.  C’est un document de 200 pages dans lequel vous allez trouver quelques approches théoriques sur les questions de coopération, des boîtes à outils, des conseils pour animer des ateliers et un accompagnement pas à pas dans les différentes phases constitutives d’une communauté d’action.  

Le décrochage scolaire : mise en œuvre de larges coopérations trans-sectorielles 

  • Vous avez parlé des communautés d’action que vous avez mises en place, avec les actions menées au Centsept, les actions menées dans l’Essonne et avec l’ARS en Île-de-France. En pratique, comment les choses ont-elles pu se faire ? Quelqu’un apparaît-il sur la scène pour proposer que l’on se rassemble ? S’agit-il de coopération, de coordination, d’alliance ? À part la volonté, qu’est ce qui fonde le ciment commun ? 

 

Il y a toute une démarche au long cours, il ne suffit pas de décréter le principe de coopération pour le mettre en œuvre. Il y a une part de rencontres, d’interpersonnel et ensuite il y a une part de travail, d’outillage, de méthodologie qui permet de rentrer dans le travail collectif. 

 

  • Y a-t-il un porteur du projet ?

 

Pour chaque expérimentation nous nous reposons sur un acteur qui joue un rôle central. Bien identifié sur son territoire, il a un réseau qu’il anime et mobilise autour de lui. La Fonda étant à ce moment-là plutôt dans une position de de tiers médiateur, de personne qui va apporter de la méthode, des outils et permettre de faire vivre une dynamique de réflexion. Si je prends l’exemple de la rencontre avec Ressources urbaines, d’un côté cette structure avait mené depuis quelques années des réflexions sur les questions de préventions du décrochage scolaire et avait la volonté de plus structurer les acteurs entre eux au niveau du département sur ce sujet, de l’autre la Fonda souhaitait expérimenter la méthode structuration de communautés d’action.  

 

  • Vous avez dit « le Département a voulu… », est-ce lui qui a été le chef de file et qui sont les acteurs qui coopèrent dans ce dispositif ?

 

Nous n’avons pas travaillé avec le Département mais avec Ressources urbaines, le Centre de Ressources Politique de la Ville des départements du Val-de-Marne, de Seine-et-Marne, et de l’Essonne. Ressources urbaines est une structure implantée et identifiée sur son territoire, notamment auprès des réseaux politiques de la ville. Ce point d’appui est important pour mobiliser des acteurs au début de la démarche. Ressources urbaines a ainsi permis la mobilisation d’élus, de techniciens de collectivité, d’associations, de services de la préfecture, de personnels de l’Éducation nationale… Le point de départ de cette expérimentation a été de définir ensemble les objectifs, c’est-à-dire ce que l’on voulait produire ensemble et ce à quoi nous voulions arriver. L’objectif principal dont nous nous sommes dotés à ce moment-là était d’arriver à structurer une communauté d’action où les acteurs sont concernés par la prévention de décrochage scolaire puissent à la fois mieux identifier les problématiques auxquelles ils doivent apporter des réponses, commencer à mieux échanger entre eux et être dotés d’outils pour construire des coopérations à l’échelle où ils agissent (quartier, commune, intercommunalité…). Nous avons donc travaillé sur l’apport méthodologique dans ce sens-là.  

Produire une démarche collective entre acteurs

La démarche initiale a été de faire un travail de définition commune de ce que nous voulions produire et ensuite de mobiliser des acteurs pour qu’ils entrent dans la démarche. Ensuite nous avons construit un programme de travail qui se déclinait autour de huit ateliers, qui se sont faits tantôt en ligne, tantôt en présentiel, au gré des circonstances sanitaires. Le principe de ces huit ateliers a été d’accomplir les différentes étapes constitutives d’une communauté d’action. 

La première étape dans le cycle d’ateliers a été celle du déclenchement de l’action. Il est fondamental à ce moment du lancement de ne pas être tout de suite dans la recherche d’une solution nouvelle, mais d’être plutôt dans le partage des problématiques et des enjeux, à partir de ce que les acteurs observent sur leur territoire. Quelles sont les problématiques auxquels ils sont confrontés ? Comment formuler des questions essentielles pour constituer une communauté d’action œuvrant au service de la prévention du décrochage scolaire ? Nous avons distingué et formulé quatre questions essentielles au cours des premiers ateliers et les ateliers suivants ont permis de structurer le mode de travail commun des acteurs, notamment autour d’une charte qui rappelle quelques principes de gouvernance, ainsi que les valeurs et les objectifs de la communauté d’action. Nous avons ensuite défini un modèle d’évaluation et établi à la fin une feuille de route pour que ce réseau puisse continuer à vivre. Ce sont là les étapes constitutives de la communauté d’action. À l’issue de cette démarche, nous avons rédigé une monographie qui détaille et documente étape par étape la structuration de cette communauté d’action avec une boîte à outils qui revient sur les différents ateliers et les outils que nous avons employés pour arriver au résultat final.  

 

  • Quel a été le résultat final ?

 

Le résultat final a été l’animation d’une communauté d’action d’une vingtaine d’acteurs qui ont pu partager autour d’enjeux communs et travailler ensemble. Nous avons eu à la fin un noyau d’une dizaine d’acteurs qui se sont impliqués jusqu’au bout dans cette dynamique. Cela a permis de produire une charte qui rappelle les principes fondateurs de tous les acteurs qui veulent s’engager sur les questions de prévention du décrochage scolaire. Cela a aussi permis d’établir un canevas d’évaluation qui souligne en quoi agir pour la prévention du décrochage scolaire permet de créer de la valeur sociale. Nous avons pu mesurer à la fin de l’expérimentation que pour structurer une coopération, l’échelle d’un département est déjà très, voire trop, large. Aussi la prochaine étape est-elle de voir comment les acteurs vont réussir à se doter de ce que nous leur avons transmis pour l’appliquer plutôt à l’échelle de leur commune ou de l’intercommunalité. 

Le temps facteur de réussite

  • Pour l’instant, il n’y a donc pas mise en application pratique.

 

Sur le plan pratique, nous avons déjà réussi la mise en place d’un cadre d’échange, la valorisation de l’expérience et de l’expertise des participants à la démarche et la construction par un travail collectif d’outils d’aide à la coopération déclinables dans les territoires. Pour la suite, des acteurs ont manifesté clairement leur intérêt pour certains aspects de la démarche, notamment les questions d’évaluation. C’est un processus long, il faut prendre son temps pour ne pas sauter des étapes.

 

  • Il y a environ vingt ans que l’on travaille sur le décrochage scolaire avec des succès qui sont relatifs. Avez-vous l’impression que la méthode que vous mettez en place est une nouvelle méthode qui peut créer une rupture ? Parmi la foule des acteurs qui vont de l’autorité politique aux associations, fondations et toutes sortes d’acteurs de terrain, est-ce que tout le monde joue le jeu au niveau de l’école, des établissements, et sont-ils en capacité de le faire ?

 

Nous n’allons pas affirmer que la Fonda toute seule aura résolu la problématique de la prévention du décrochage scolaire. Mais ce qui importe ici est de rappeler la philosophie qui est à l’œuvre derrière la démarche que nous portons et qui ne concerne pas que la prévention du décrochage scolaire. La philosophie qui sous-tend l’élaboration d’une stratégie d’impact collectif et la structuration d’une communauté d’action consiste à affirmer que pour répondre à un enjeu il ne s’agit pas tant de vouloir créer de nouveaux dispositifs et ainsi recréer des silos, mais de vouloir favoriser la coopération. Un autre changement est aussi l’idée qu’il faut laisser les initiatives se faire. Il faut laisser du temps à la définition des problèmes et à la structuration des liens entre les acteurs pour laisser émerger une meilleure mise en lien des solutions existantes. Nous observons que les choses sont en train de changer, mais trop souvent on est encore tenté de poser un problème et d’aller chercher immédiatement la solution à mettre en œuvre, sans toujours prendre le temps de l’exploration des enjeux ainsi que des liens qui existent entre les différents acteurs à l’échelle d’un territoire. Ce que nous défendons c’est que pour construire une communauté d’action il y a d’abord un temps de création des liens entre les acteurs et de définition partagée des enjeux. C’est essentiel et vous ne pouvez pas construire de la coopération si vous ne prenez pas le temps de définir avec clarté ce sur quoi vous voulez coopérer. Pour cela il est nécessaire d’avoir du temps, de la confiance et d’accéder à des financements pour l’ingénierie, ce qui n’est pas toujours facile à obtenir. Nous observons cependant une prise de conscience du besoin de faire autrement, tant au niveau des financeurs, que dans certains dispositifs d’État, par exemple les Cités éducatives, reposant sur la mise en commun de compétences d’acteurs éducatifs, pris dans un sens large, pour offrir aux jeunes un parcours global d’éducation et d’insertion. Elles rencontrent cependant des difficultés parce que soumis à des pressions en termes de temps, notamment pour l’élaboration de leur projet, la mise en place de leur évaluation et la définition d’indicateurs. On néglige cette notion de laisser du temps au temps pour ces projets. Une certaine culture d’État reste prévalente, où celui-ci est le donneur d’ordre qui trace le chemin et peine encore à laisser les acteurs décider par eux-mêmes et à partir de leurs projets et propositions. Mais il y a quelque chose qui est en train de frémir dans la société, au sujet de nos modèles d’organisation, qui consiste à aller justement vers plus de dialogue, plus d’horizontalité et nous pensons que cela peut évidemment produire beaucoup plus d’effets positifs…

 

  • Faut il se fixer un terme à trois ans, cinq ans… et ainsi avoir un horizon pour que les parties prenantes ne désespèrent pas et ne soient pas non plus pressées par immédiateté de la réponse ?

 

Il faut trouver un équilibre entre la nécessité de se donner du temps pour construire ses actions et ne pas diluer la coopération en donnant l’impression que l’on n’avance pas. La méthode joue un rôle à ce niveau. Pour structurer et animer une communauté d’action, nous proposons de prendre appui sur la méthode de la stratégie d’impact collectif. Cette méthode propose des jalons et invite à formaliser un cycle d’ateliers. On se donne ainsi un calendrier de travail avec des horizons de production pour arriver à structurer et construire la coopération. Il faut trouver un juste équilibre pour arriver à des résultats à la fois tangibles et pérennes. Prendre six mois pour définir un projet commun et décider de la façon dont on va fonctionner ensemble pour le conduire n’est pas forcément de trop. Avoir une méthode permet de formaliser les étapes et d’obtenir des résultats progressifs. Ainsi, au terme d’une première réunion de travail, nous pouvons définir une cartographie des acteurs en présence, ou délimiter une série d’enjeux.

Une approche territoriale

  • Quelle est la bonne échelle territoriale ? Votre méthode est-elle applicable partout ? Lorsque l’on travaille avec l’Éducation nationale, qui a ses obligations, ses contraintes, peut-elle sortir de son cadre institutionnel sans être un partenaire donneur d’ordre ?

 

Quand on est dans une logique de coopération, la question du territoire est essentielle car c’est à son niveau que l’on crée un espace d’échanges cohérent. Le territoire est nourri par une histoire, par des liens, par des dynamiques entre les acteurs et il faut toujours en tenir compte à chaque fois. Ensuite quelle est la bonne échelle ? Pour nous la question d’articulation entre les échelles est un sujet important. On parle beaucoup de passage à l’échelle – qui peut d’ailleurs être compris de diverses façons –  en laissant entendre qu’une solution qui fonctionne à un endroit peut être démultipliée dans d’autres endroits. En réalité quelque chose qui marche à un endroit ne va pas forcément marcher exactement de la même façon à un autre endroit. Mais il faut veiller à faire de créer les conditions pour qu’une action qui fonctionne à un endroit puisse être transmissible, c’est-à-dire qu’elle puisse se diffuser et inspirer d’autres actions, voire se relier à elles, dans une logique de réseau et de complémentarité. 

Le sujet est la question de la méthode. Si l’on met en exergue la façon dont on est arrivé à résoudre quelque chose, on peut déjà tirer des enseignements un peu généraux qui peuvent nourrir d’autres expériences. On peut avoir des approches collectives communes d’un territoire à l’autre mais qui doivent pouvoir s’incarner de façon différente suivant les territoires. Il y a des grands principes, mais il faut pouvoir les adapter. Cela répond aussi à votre dernière question sur les obstacles que l’on peut rencontrer lors de la mise en place de coopérations. Avoir certains éléments de méthode peut aider à lever les difficultés que l’on rencontre. C’est une des ambitions que nous portons avec le Guide méthodologique du Faire ensemble. Nous y défendons l’utilité d’avoir quelqu’un qui joue un rôle de tiers médiateur. Parce qu’il n’est pas forcément engagé dans les jeux d’acteurs d’un territoire, il va pouvoir apporter de la méthode, structurer l’intelligence collective, accorder le temps nécessaire à l’interconnaissance, lever les barrières qui peuvent exister entre certains et animer la réflexion collective pour faire en sorte que se définissent des enjeux. Tout cela demande du temps et doit être fait par un acteur dédié.

La Fonda, explorateur de nouvelles approches

  • C’est la Fonda ?

 

De nombreux acteurs s’inscrivent dans ce rôle et proposent un appui. Le rôle de la Fonda est avant tout d’éclairer les enjeux et d’explorer de nouvelles approches. Nous allons en ce sens lancer de nouvelles expérimentations. Avec le Réseau national de maisons d’associations (RNMA), et grâce au soutien de partenaires parmi lesquels figure la Fondation de France, nous allons accompagner deux ou trois maisons d’associations pilotes, qui ont la pratique du travail d’animation d’un écosystème, pour structurer des coopérations répondant aux défis de leur territoire.  Jusque-là nous avons toujours travaillé sur des thèmes déjà identifiés, ici la démarche est inverse. L’idée est de les accompagner dans la réflexion, l’identification du sujet sur lequel ils souhaiteraient travailler et ensuite réussir à outiller cette coopération. Et bien sûr nous allons continuer à proposer des ateliers et formations autour du Guide méthodologique du Faire ensemble.

Le secteur public et les entreprises : un enjeu

  • Ce système ne peut se mettre en place que s’il y a un accord et surtout une volonté des pouvoirs publics puisque ce sont eux qui déclenchent toutes les institutions qui sont autour de vous dans la Politique de la Ville, dans la Politique des Territoires. J’ai l’impression que le monde associatif est beaucoup plus flexible et beaucoup plus adapté à ces évolutions alors que de passer du silo au réseau est une démarche extrêmement compliquée pour les représentants de l’État ou les représentants des institutions.

 

Cela dépend aussi beaucoup des personnes et des territoires. Il y a un frémissement dans les politiques publiques pour aller vers plus de transversalité. L’exemple de la relance des pôles territoriaux de coopération économique (PTCE) l’illustre. C’est un dispositif soutenu par l’État basé sur une logique de faire travailler ensemble plusieurs acteurs. Il y a également les Cités éducatives – dont nous avons déjà parlé – ou les Cités de l’emploi. Cela ne résout pas toutes les difficultés car les impératifs administratifs reprennent parfois le dessus et le temps nécessaire pour bien construire n’est pas toujours accordé, de même qu’une méthode adaptée pour aider à faire ensemble n’est pas toujours proposée. 

 

  • Il va finir par y avoir de l’encombrement dans la collaboration entre les différents dispositifs… Il faut que l’État ait assez de capacité pour déléguer des gens qui ont du temps surtout et qui sont écoutés. Mais plus globalement ne crée-t-on pas des usines à gaz ?

 

J’espère que non. L’idée est vraiment de mettre en œuvre des idées de façon concrète. On peut se perdre dans les publications, car il y en a beaucoup. Je dirais que pour nous, il suffit d’avoir une entrée privilégiée dans une approche méthodologique qui permet de travailler sur ce sujet-là.

 

  • Dans les multipartenaires, mettez-vous aussi les entreprises de territoires avec vous ? 

 

Oui, même si pour être très franc la capacité à associer des entreprises reste notre point faible, parce que ce n’est pas notre public immédiat. En tous cas, en promouvant le pluri-acteurs nous souhaitons vraiment de faire travailler ensemble toutes les familles d’acteurs et il n’y a pas de raison d’en exclure certains de notre champ. 

 

  • On peut aussi travailler avec les fondations de ces entreprises pour commencer. Cela peut aider un peu.

 

Oui, tout à fait. La Fonda travaille avec de nombreuses fondations, dans une grande proximité de valeurs et une grande réciprocité dans les apports. 

 

  • Vous parliez de la Fondation de France. Elle a une politique de fondations régionales qui essayent de travailler de façon plus transversale. 

 

Oui, le nouveau programme Inventer Demain l’incarne très fortement également. Nous avons pu mettre en valeur ce nouveau programme lors de notre université.

 

  • Vous avez bien présenté les enjeux et surtout la bataille contre les obstacles, mais la question humaine reste toujours aussi essentielle. Ne rencontrez-vous pas que des gens épuisés ? certains se battent depuis des années pour faire bouger le choses… Bien sûr, il y a de jeunes générations qui arrivent, mais quand même…

 

Les difficultés humaines existent. Nous traversons une période difficile, où les crises se succèdent.  Cela a été très frappant pour nous dans le cadre de l’expérimentation sur la prévention du décrochage scolaire. Lors du premier atelier organisé en présentiel, après une série d’ateliers en visioconférence, nous avons senti que la crise liée au Covid, et globalement l’impression de toujours devoir faire plus à moyens constants, voire moindres, produisent de l’épuisement. Mais cet épuisement, je ne le perçois pas dans le fait de faire ensemble, mais plutôt dans le fait que beaucoup sont pris dans des difficultés pour mener correctement leur mission au quotidien. Dans ce contexte, il n’est pas toujours facile de convaincre de prendre part à un cycle d’ateliers et réfléchir ensemble à un projet qui nécessite de se poser et de faire un pas de côté. Mais lorsque les personnes se donnent le temps pour cela, elles le vivent comme une authentique respiration et aussi comme un moment qui permet d’améliorer leurs pratiques, en allant à la fois vers plus de sens et plus d’efficience.

 

 

Propos recueillis par Francis Charhon.

 

 

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