[TRIBUNE] La politique du bâillon ?
Au moment où le Forum annuel des Associations et des Fondations se réunit, ne faut-il pas s’inquiéter de la perception du rôle du secteur non lucratif en France ?
Un amendement, finalement non adopté, prévoyait « de retirer l’avantage fiscal aux associations dont les membres seraient reconnus coupables d’intrusion dans les sites industriels ou d’élevage ». Une attaque directe sur les organisations activistes agissant sur l’environnement.
Que peut-on dire d’un tel amendement si choquant sur les principes. Les organisations dites activistes, en effet révèlent souvent des comportements ou des situations qui doivent changer. Leurs actions n’ont-elles pas entraîné une amélioration des conditions d’abattage des animaux, ou dans un autre domaine comme la cause du sida qui a vu des débordements, mais qui a permis de faire bouger la société et amené de fortes évolutions médicales et sociales pour les malades ?
On ne peut pas, bien sûr, cautionner les dégradations ou la destruction d’outils de production. Dans ces cas des lois existent et doivent s’appliquer. Mais la réponse n’est pas d’enlever la capacité de donner des reçus fiscaux. Elle signerait la disparition d’associations qui n’agissent que grâce à des dons. Notons d’ailleurs que si un large public les soutient, c’est que leur cause intéresse. Ce projet de loi touchait particulièrement des organisations dans lesquelles s’impliquent des jeunes qui se battent pour un avenir meilleur et une planète vivable. Est-ce une façon de répondre à leurs préoccupations ? Une telle défiance creuse plus encore le fossé entre le pouvoir, les élus et la société civile.
Va-t-on enlever la capacité de recevoir des dons aux syndicats qui bloquent un pays et qui sont un risque pour de nombreuses catégories de travailleurs ? Je ne le pense pas.
Un tel amendement montre l’incompréhension qu’a le monde politique sur le rôle que jouent les acteurs du secteur non lucratif, associations, fondations, bénévoles dans la société française. Au contact de la population partout dans le pays, ils répondent à des préoccupations qui ne sont pas prises en charge par l’État. Leur présence au plus près du terrain et les actions menées vers des personnes qui se sentent reléguées voire abandonnées permettent de tenir le lien social qui se délite partout sur notre territoire et menace bien plus la démocratie que les actions sporadiques d’activistes. Elles préservent la diversité des points de vue, gèrent la complexité des situations et donne aux citoyens le pouvoir d’agir.
La force d’un pays démocratique est de savoir gérer les crises et les excès en cherchant à trouver des solutions. Priver d’expression certains groupes, s’ils ne portent pas atteinte à la sécurité nationale ou aux biens des personnes, c’est casser le thermomètre pour cacher la maladie. C’est aussi bloquer la soupape d’une cocote minute avec ses conséquences.
On assiste dans nombre de pays à un recul de la capacité d’expression de la société civile par la mise en place de lois qui la brident. Personne ne souhaite être comparé à ces pays que sont la Russie, la Hongrie, l’Iran et bien d’autres. Même chez nous, pays des libertés, il faut être attentif, car sous prétexte de préservation de l’ordre public des glissements existent. Par exemple, la mise en place du contrat d’engagement républicain qui encadre l’action des associations et fondations par un texte donnant une possibilité d’interprétation large de son contenu et pouvant entrainer le retrait d’un soutien financier public.
Même si cet amendement a été rejeté par 139 voix contre 97 (nombre important !), il montre la défiance qu’ont certains groupes envers les associations et fondations. Ces dernières ont pour défaut d’être libres, imaginatives. Elles se battent pour que la révélation de problèmes soit préférée au silence.
La préservation de la liberté associative est un combat permanent qu’il nous faut sans cesse soutenir. Il faut défendre la loi de 1901 laïque et républicaine. Il y a encore du chemin à faire pour faire comprendre l’intérêt du secteur non lucratif. Une bataille essentielle pour tous car le bâillon n’est pas la bonne politique !
Francis Charhon