Aller au contenu principal
Par Chroniques philanthropiques par Francis Charhon - Publié le 5 octobre 2025 - 18:00 - Mise à jour le 5 octobre 2025 - 18:00
Recevoir les news Tous les articles de l'acteur

Une guerre civilisationnelle : l’information, fer de lance de la bataille pour une société démocratique

L’information et la démocratie sont au cœur du débat culturel qui secoue les sociétés. Se battre contre les vérités relatives et la désinformation, former au décryptage des fake news, garder une presse pluraliste et indépendante sont des priorités pour vivre dans un espace de confiance. Comment faire face au tsunami des réseaux sociaux toxiques ? Une interview qui nous montre l’ampleur de la bataille et le rôle des associations.

David Guiraud, président de Ouest-France, et Damien Fleurot, rédacteur en chef adjoint de TF1 et LCI et président de l’association d’éducation aux médias Lumières sur l’info
David Guiraud, président de Ouest-France, et Damien Fleurot, rédacteur en chef adjoint de TF1 et LCI et président de l’association d’éducation aux médias Lumières sur l’info

L’éthique au cœur d’un projet unique dans le paysage médiatique

 

L’information, la démocratie et l’engagement citoyen sont les fils conducteurs de mes préoccupations à travers mes interviews (voir interview de RSF : Liberté de la presse, liberté d’expression, des enjeux de la démocratie).

Pour en parler, David Guiraud, président de l’ASPDH, association propriétaire du Groupe Sipa Ouest-France et président du Conseil de surveillance de Ouest-France, et Damien Fleurot, rédacteur en chef adjoint de TF1 et LCI, et président de l’association d’éducation aux médias Lumières sur l’info. Étant deux voix de grands médias vos témoignages me semblent essentiels d’autant que vous avez des liens directs avec les associations. Ce sont deux univers complémentaires – l’écrit et l’audiovisuel – qui se rencontrent autour d’une même question : comment garantir une information claire, juste et fiable, dans un contexte marqué par la montée des populismes. Je signale que Damien a consacré en 2022 un livre à ce sujet, intitulé La flambée populiste.

 

  • David pouvez vous nous présenter Ouest-France, un média singulier par sa gouvernance associative et les valeurs que le groupe porte ? 

 

David Giraud (DG) : Ouest-France a été relancé à la libération avec la volonté de préserver une presse de proximité, indépendante et tournée vers l’intérêt général. Cette identité a été incarnée et défendue par François-Régis Hutin, président et figure emblématique du journal, qui a porté avec constance l’idée que l’information devait rester libre de toute emprise extérieure.

En 1990, face aux ambitions de Robert Hersant, grand magnat de la presse, François-Régis Hutin a pris une décision radicale. Pour éviter qu’une partie de l’actionnariat familial ne cède à la tentation d’une offre financière, il a choisi de transférer la propriété du groupe à une association loi 1901. Depuis 35 ans, Ouest-France appartient ainsi à l’« Association pour le soutien des principes de la démocratie humaniste ». Ce dispositif, unique dans le paysage médiatique français, fait la force et l’originalité du Groupe Sipa Ouest-France : il n’est pas détenu par des investisseurs privés ou des groupes industriels mais par une association garante de ses valeurs et de sa mission.

Aujourd’hui, le groupe Sipa–Ouest-France est l’un des premiers acteurs de la presse française, avec plus de 500 M€ de chiffre d’affaires, 4000 collaborateurs dont 1600 journalistes, cinq quotidiens, une centaine d’hebdomadaires, une chaîne de télévision (Novo 19) et trois grandes plateformes numériques (Ouest-France, Actu.fr et 20 minutes). Sa singularité demeure : moins riche que d’autres groupes capitalistiques, il repose sur un capital éthique qui vaut autant qu’un capital financier. C’est ce capital qui assure à la fois son indépendance éditoriale et sa crédibilité aussi bien auprès des lecteurs qu’en interne avec ses salariés. J'ai pris la présidence il y a maintenant 5 ans et j'ai considéré qu'il fallait vraiment s’appuyer sur ces fondamentaux, devenus cruciaux dans le contexte médiatique et géopolitique actuel.

 

Diversifier les contenus et s’inscrire dans l’évolution numérique

 

  • Damien, votre situation est un peu différente de celle de Ouest-France. Vous êtes salarié d’un grand groupe capitalistique, le groupe Bouygues, présent dans les médias mais aussi dans la téléphonie et le bâtiment. Historiquement, on a connu des empires comme Hersant ou Dassault, puis des rachats successifs. Aujourd’hui, on observe une autre dynamique, avec des acteurs comme Bolloré qui investissent massivement dans les médias pour mener un projet d’influence politique. Est-ce que je me trompe en disant que votre groupe, lui, semble avoir choisi une posture différente, plus distanciée de cette logique d’influence politique?

 

Damien Fleurot (DF) : Oui, cela correspond à une ligne assumée par le groupe Bouygues de ne pas s’engager sur ce terrain mais plutôt de s’inscrire dans une démarche de fiabilité et de proximité. La stratégie est de diversifier la diffusion des contenus sur différents supports. Cela repose sur deux axes : d’une part, accompagner l’évolution des usages en valorisant ce qu’il produit par ses chaînes historiques TF1 et LCI sur le digital et d’autre part, en créant des contenus spécifiquement pensés pour les réseaux sociaux et les plateformes numériques.

 

  • Alors que des médias comme Ouest France conservent une diffusion papier impressionnante (600 000 exemplaires par jour) et que le JT de TF1 à 20h reste un rendez-vous pour un public fidèle mais vieillissant, les jeunes générations se détournent de ces formats traditionnels. Dès lors, quels canaux et quelles stratégies mettre en place pour les atteindre et leur transmettre des repères essentiels – véracité, indépendance, éthique – dans leur rapport à l’information ?

 

DG : Cette question est absolument clé. Aujourd’hui, l’information est devenue liquide : elle circule partout, par tous les canaux. Et avec l’IA, ça va être encore plus vrai : on pourra transformer du texte en image, de l’image en son… On va vers une forme de journalisme sur mesure. Aux États-Unis, certains se définissent déjà comme des « ingénieurs de requêtes ».

Les usages changent : chacun – jeunes ou moins jeunes – veut accéder immédiatement à l’info, sur son téléphone, et demain sur d’autres supports. Comme le montre très bien Gérald Bronner dans son dernier ouvrage on est devant un tsunami qui nous met devant deux grands défis : la vitesse et le rapport au réel. Je pense que la réponse est de s’appuyer sur des marques puissantes et crédibles pour garder une culture de la vérité et de la fiabilité. De notre côté, nous avons lancé Novo 19, avec la régie confiée à TF1, parce qu’il fallait aussi être présent sur la vidéo et sur le numérique, là où les jeunes consomment l’information.

Ce qui fera la différence demain, c’est la traçabilité : savoir d’où vient l’information, qui l’a produite et en qui avoir confiance. Ce pari, des acteurs historiques bien enracinés comme TF1 en télévision et Ouest-France en presse régionale et numérique par exemple, doivent le relever.

 

Atteindre des publics jeunes en quête d’informations fiables

 

  • Damien, comment se fait la captation des jeunes publics ? Car il ne suffit pas de diffuser de l’information il faut aussi aller les chercher là où ils sont. Certains jeunes écoutent HugoDécrypte dix minutes le matin et considèrent qu’ils ont fait le tour de l’actu. Mais d’autres sont dans d’autres bulles informationnelles. Quelles sont vos stratégies, dans un grand média comme le vôtre, pour attirer et fidéliser cette génération ?

 

DF : Il y a moins d’abonnés aux quotidiens « papiers » et tendanciellement moins de spectateurs devant les JT de 13h ou 20h mais ces médias « historiques » conservent une forte influence et une audience de masse : 600 000 exemplaires pour Ouest-France, 4 à 5 millions de téléspectateurs sur nos rendez-vous d’info. Mais le vieillissement de nos lecteurs et téléspectateurs nous obligent à aller chercher de nouveaux publics, notamment les jeunes, en les rencontrant là où ils sont, c’est-à-dire sur les réseaux et en mobilité. Les marques comme TF1 ou Ouest-France restent fortes mais elles doivent s’adapter.

L’avenir des médias c’est préserver ce lien de confiance avec l’audience bâtie par un traitement honnête et responsable des faits et disposer de groupes puissants capables de rebondir et de s’ouvrir à de nouvelles opportunités. J’ai toujours été convaincu que la clé réside dans le rapport au réel et à la confiance. Lorsque j’avais candidaté à la présidence de Public Sénat, j’avais intitulé mon projet « la chaîne de la confiance ». Car au-delà du support – papier, télé, numérique –, ce qui compte, c’est la force des marques et la crédibilité qu’elles inspirent. Il est des chaines qui font du commentaire et non du journalisme.

 

  • Si je comprends bien, il y a deux niveaux : d’abord, un socle traditionnel qui consiste à garantir une information juste, réelle et de confiance, face à d’autres chaînes qui, elles, affichent un engagement politique très marqué. À partir de ce socle, vous développez des déclinaisons numériques et de nouvelles formes de diffusion, toujours adossées à cette exigence de véracité et d’éthique. C’est bien cela ?

 

Incarner l’information

 

DG : Damien a raison de souligner l’importance des marques, mais pour moi, il y a un autre élément clé : l’incarnation. La confiance passe par des personnes qui portent l’information. L’exemple d’HugoDécrypte est très parlant : son succès repose sur trois éléments clefs : 

  • Il a rendu l’information liquide, en la diffusant sur plusieurs plateformes et avec des formats adaptés.
  • Il a fait de la pédagogie, en se mettant au niveau de son public.
  • Il a su incarner cette information, donner un visage et une voix crédibles.

 

Plus l’IA progresse, plus le capital humain devient essentiel. Plus le numérique éloigne du réel, plus nous devons recréer du lien, il faudra aller au contact des gens. C’est ce que nous faisons à Ouest-France avec des débats, des rencontres, des événements où nous constatons une forte demande de proximité. TF1 est d’ailleurs dans cette logique aussi, avec des dispositifs comme l’infotroc dont Damien parlait. Ces moments d’échanges directs sont précieux.

Le vrai défi, c’est que beaucoup d’influenceurs incarnent aussi d’autres discours reposant sur la base de fake news ou de récits complotistes. Face à cela, nous avons un rôle à jouer : défendre une incarnation crédible, fondée sur des faits et créer la confiance avec le public.

 

L’éducation aux médias et à l’information, aller au contact

 

  • On a parlé d’HugoDécrypte. Mais demain, il pourrait très bien y avoir un « MarcelDécrypte » qui ne ferait que de la fake news… Tout cela reste autoproclamé, et c’est bien là qu’est la vraie bataille contre la vérité relative et contre les infox. Damien, vous avez créé l’association Les Lumières sur l’info qui travaille sur les fakes news, avec une vraie pédagogie. C’est une réponse très concrète à ce que disait David : aller au contact des jeunes, les aider à décrypter l’information et à retrouver un rapport au réel ? 

 

DF : Exactement. Mon engagement dans Les Lumières sur l’info remonte à 2018-2019, juste après la création de l’association par Susanna Dörhage. On était alors dans un contexte marqué par les attentats de Paris et une vague massive de désinformation : certains allaient jusqu’à douter de la réalité de ce qui s’était passé au Bataclan ou à Charlie Hebdo. Le collectif de journalistes fondateurs a voulu aller au contact du public, comprendre pourquoi on ne croyait plus ce que l’on voyait à la télévision, ce que l’on lisait dans la presse, et rembobiner jusqu’à la source de l’information pour travailler sur l’esprit critique. D’ailleurs, nous sommes partenaires de Ouest-France pour la diffusion sur leur site Internet d’une nouvelle série vidéo appelée TropMytho « Tous-terrains ».

En France, l’éducation aux médias existe depuis 1983 avec le « Centre pour l’éducation aux médias et à l’information » créé par l’éducation nationale (CLEMI), qui fournit aux enseignants des ressources pour parler du métier de journaliste et du traitement de l’actualité. Mais trop longtemps on a réduit cette mission à l’école pour les jeunes uniquement. Or la désinformation touche aussi les adultes et les seniors.  

C’est pourquoi Lumières sur l’info agit désormais auprès de tous les publics. On continue d’aller dans les classes mais il faut aussi sortir de l’école : aller à la rencontre des actifs, des familles, des seniors, dans les entreprises, les maisons de quartier, les EHPAD, les marchés ou même les campings. D’où la création du Camion de l’info TropMytho, un véhicule itinérant qui va à la rencontre des Français là où ils sont, pour recréer du lien.

Ce camion n’est pas celui d’un média particulier : il doit représenter la diversité de la profession. On y retrouve des journalistes de presse écrite, de télévision, de réseaux sociaux, salariés ou pigistes, spécialisés ou généralistes. Ils prennent le temps d’écouter, d’échanger et d’expliquer. Parce qu’au fond, c’est cela qui manque : malgré les reporters sur le terrain, on ne prend pas toujours le temps d’expliquer comment se construit l’information. Avec ce camion, on invite au dialogue. Et je crois que c’est une des clés pour renouer la confiance avec le public qui s’est distendue au fil des années.

 

Tenir dans une véritable guerre civilisationnelle

 

  • On vit un moment difficile, on doute de l’information, parfois même des journalistes, dans certains pays, leur métier devient dangereux. Face au tsunami de la désinformation, porté par les réseaux sociaux et par des influences étrangères, est-ce que vous pensez « faire le poids » avec vos initiatives ? Comment sortir les gens de leurs bulles informationnelles ? Et est-ce qu’il faudrait faire plus, notamment avec des associations comme les 375 qui ont postulé au prix de la démocratie de l’ASPDH et Ouest France, ou participé aux ateliers de la fraternité organisés par la ville de Fleury Mérogis ?

 

DG : C’est le pari car on n’a pas le choix : il faut se battre. Nous avons en face de nous des « monstres » – les GAFA, certaines puissances étrangères, des logiques politiques – et à notre échelle, Sipa Ouest-France ou TF1 seuls ne peuvent pas peser suffisamment. D’où l’importance de se rassembler et être puissants ensembles. Ce n’est pas une question d’hubris mais une nécessité pour résister dans une véritable guerre civilisationnelle.

Tous les moyens doivent être utilisés : les articles dans la presse, les émissions à la télévision, les rencontres sur le terrain, les interventions dans les classes, le journal des lycéens, la mobilisation des associations. Nous travaillons à bâtir une stratégie de groupe sur l’éducation aux médias, là où jusque-là, chacun agissait trop isolément. Car il faut répondre à cette urgence : la désinformation prospère, mais en même temps, il y a une demande croissante pour des contenus sérieux et fiables. Le succès d’HugoDécrypte ou du Grand Continent montre bien que les citoyens veulent encore accéder à des faits, à un réel commun, comme le disait Hannah Arendt.

C’est cette idée d’un réel partagé que nous devons reconstruire. Oui, ce sera une bataille difficile : nous perdrons de l’argent, nous essuierons des échecs, nous prendrons des coups. Mais nous devons défendre les fondamentaux de notre démocratie – je pense à Churchill et à son fameux « Never Surrender ». S’il a su convaincre et rassembler, c’est parce qu’il refusait la résignation. Et de la même manière, je suis persuadé que nous pouvons réussir, à condition d’agir ensemble. C’est pour cela que je suis particulièrement heureux de travailler avec Damien, et de voir que les éditeurs commencent enfin à comprendre que la clé, c’est l’action collective.

 

Des associations engagées pour préserver la démocratie à toute force

 

DF : Je partage totalement cela, on ne peut pas se retirer du terrain, il faut au contraire être offensif. La désinformation touche tout le monde : les citoyens, les responsables politiques, mais aussi les entreprises, qui prennent conscience qu’elles peuvent en être victimes directes ou collatérales. C’est pour cela que des fondations comme celles de BNP Paribas ou de la Société Générale soutiennent financièrement Lumières sur l’info. Leur engagement montre que ce combat dépasse le seul secteur médiatique.

Il y a aujourd’hui une prise de conscience au plus haut niveau de l’État. Mais encore faut-il être cohérent : quand on est élu, on ne peut pas, d’un côté, dénoncer la désinformation et de l’autre entretenir un populisme médiatique. Il y a trop souvent des attaques frontales contre le travail des journalistes. La critique s’entend et à nous de toujours reconnaitre nos erreurs quand nous en faisons Mais il doit toujours y avoir du respect. Jamais de violence. C’est la seule façon de conserver entre toutes les parties la confiance et un débat démocratique apaisé.

 

En parallèle, il faut encadrer la liberté d’expression sur les réseaux sociaux : oui à la liberté mais pas au « n’importe quoi ». On dit souvent des Français qu’ils sont en demande d’ordre. Ils attendent aussi des règles dans la manière de faire circuler l’information. Cela suppose d’encadrer, de réguler… Mais aussi de soutenir toutes les initiatives pédagogiques et éducatives. Or, les associations qui travaillent sur l’éducation aux médias restent très petites. Lumières sur l’info fonctionne avec environ 300 000 euros de budget. Autant dire que, face aux enjeux que nous devons traiter, nous sommes microscopiques. D’où la nécessité de fédérer nos forces et de créer des synergies avec d’autres acteurs (Fake Off, La Chance, Entre les lignes). Nous y travaillons car nous sommes tous dans le même bateau !

C’est dans cette optique que nous avons lancé en mai dernier, à l’occasion de la Journée mondiale de la liberté de la presse, l’opération « Au kiosque citoyen.nes ». L’idée est de rappeler que les kiosques et marchands de journaux sont de véritables citadelles de la démocratie, garantes du pluralisme de l’information. Nous voulons en faire un rendez-vous annuel qui fédère tous les acteurs de l’éducation aux médias, une fête du pluralisme et de la liberté d’informer, où lecteurs, distributeurs et journalistes se rencontrent. Ces lieux vivants, où l’on touche le papier, où l’on respire la diversité de l’information, sont essentiels à notre démocratie. Nous donnons donc rendez-vous pour une nouvelle édition l’an prochain, lors du dernier weekend de septembre 2026.

 

Clarifier les valeurs et les concepts

 

  • On voit bien que des journaux comme Le Parisien sont aujourd’hui en danger. Et, plus largement, la liberté de l’information et la liberté d’expression deviennent des concepts relatifs. On utilise les mêmes mots pour désigner des réalités différentes. Par exemple, Vincent Bolloré et Pierre Edouard Sterin organisent le « sommet des libertés », projet pourtant peu démocratique. Pour cette raison, je pense que dans ce combat que vous menez, il y a aussi la clarification des concepts. La démocratie est un concept général mais sur quoi repose la démocratie ? Sur des questions de valeurs, d'éthique ? Si l’on dit qu'elle ne repose que sur l'état de droit, il suffit qu'on ait un accident comme aux Etats-Unis, que le droit change et qu'on ne puisse plus se reposer sur l'état de droit...

 

DF : Exactement. On le voit bien : aux États-Unis, on prône une liberté d’expression sans limite et, dans le même temps, on assigne les journaux en justice pour des milliards ou on fait pression sur les journalistes. C’est une contradiction totale. D’où l’importance de clarifier les concepts et de rappeler que la démocratie repose avant tout sur des valeurs éthiques et humanistes. Sans elles, les mots deviennent creux et manipulables.

 

DG : Rappelons-nous le mot de Camus, « mal nommer des choses, c'est ajouter au malheur du monde », c'est exactement ça aujourd’hui. Je trouve que ce qu’a fait Thierry Breton a été exceptionnel au niveau européen avec sa réglementation parce qu'il partait d'un constat simple. Il dit que dans le monde virtuel doivent s'appliquer les mêmes lois que dans le monde réel. C’est la question de la responsabilité, lorsque j’étais directeur de la publication j’étais légalement responsable devant les tribunaux de ce qu’écrivaient les journalistes de nos titres. En revanche les plateformes et réseaux sociaux, n'ont aucune responsabilité sur ce qu’ils publient.  La responsabilité c'est quand deux visages se parlent or l'anonymat fait disparaître ce lien, déshumanise complètement le sujet. Et là on est dans quelque chose de philosophiquement et éthiquement extrêmement grave car ce n'est plus la liberté d'expression c'est autre chose qui a à voir avec l’instrumentalisation de l’humain.

 

DF : Vous avez raison, il faut massifier mais cela se heurte à une réalité incontournable : la contrainte budgétaire, qui pèse sur l’État comme sur les entreprises. On parle souvent de milliardaires propriétaires de médias mais la vérité est que l’économie est tendue et oblige à agir avec peu de moyens. Cela dit, de nouveaux acteurs, longtemps indifférents à ces sujets, se retrouvent désormais exposés à des tempêtes de désinformation et cherchent à agir en profondeur. D’où la nécessité de mutualiser les efforts.

Mais il ne suffit pas d’ajouter des moyens : il faut aussi transformer notre façon de parler de l’éducation aux médias. Le terme « éducation » reste trop scolaire et peut sembler réducteur. Avec Lumières sur l’info, nous avons voulu aborder la lutte contre la désinformation autrement, avec un ton positif, vivant, adapté aux jeunes. C’est ce que nous faisons avec Scotty et Maïssa, ou encore avec « Tromytho Tous-terrain », qui démonte des légendes urbaines en mêlant humour et pédagogie.

L’esprit est le même avec le Camion de l’info, jaune, décoré de guirlandes, façon « food truck », où l’on offre un café ou encore avec l’opération Au kiosque citoyens ! dont les affiches roses attiraient le regard dans l’espace public. L’enjeu est grave, mais nous refusons le défaitisme : il faut donner envie de participer. À l’image de la Fête de la musique, qui est née malgré les difficultés du secteur, nous voulons faire de cette lutte un moment fédérateur, festif et engageant, tout en gardant conscience de l’urgence et de la gravité de la situation.

 

  • Un mot de conclusion ? 

 

DG : C’est un combat essentiel, vital, qu’il faut mener à plusieurs, et il ne faut surtout pas désespérer. Cela prendra du temps, mais nous avons l’énergie, les marques et la passion de ce métier. Pour avancer, il faut que chacun s’implique. Moi, je pousse pour que tous nos journalistes consacrent chaque année quelques heures à aller au contact du public, dans les lycées, avec le truck ou ailleurs. Avec les 1 600 journalistes de notre groupe, nous avons une force de frappe considérable. C’est de cette proximité que renaîtra la confiance.

DF : Je partage totalement ce propos. Nous avons aujourd’hui la chance de convaincre des partenaires privés, mais cela suppose de leur rendre des comptes : mesurer l’impact sur l’éveil de l’esprit critique, définir des critères clairs. L’appui des entreprises de médias est aussi essentiel, comme l’a montré Ouest France en donnant de la visibilité à nos actions. Et il faut préparer la relève : on devrait exiger que chaque étudiant en école de journalisme consacre plusieurs heures à l’éducation aux médias avant d’obtenir son diplôme. Mais il ne faut pas se limiter aux classes : certains journalistes sont plus à l’aise dans d’autres formats, comme une matinée au kiosque, le partage d’initiatives sur les réseaux sociaux, ou la participation à des opérations de proximité. Ce qui compte, c’est de multiplier les occasions de pédagogie et de contact, sous toutes ses formes.

 

 

Fermer

Cliquez pour vous inscrire à nos Newsletters

La quotidienne
L'hebdo entreprise, fondation, partenaire
L'hebdo association
L'hebdo grand public

Fermer