Lutter contre les effets des restriction budgétaires dans les associations
Un nombre important d’associations sont en difficulté et doivent trouver des solutions pour passer la crise. Le mouvement associatif a mis au point un dispositif inédit d’accompagnement : Prev'Asso. Il est important de montrer que le secteur s’est mobilisé pour mettre en place des solutions innovantes en mobilisant tous les dispositifs existants. Cette première initiative est expérimentale et sera dupliquée dans sept régions. Pour en parler Benjamin Cayrecastel, du Mouvement associatif et Matteo Altiere Dastoli, coordinateur de l’association Cap au Large, qui a bénéficié de cet accompagnement.
Le Mouvement associatif et la naissance de Prev’Asso
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Benjamin, pour commencer, pouvez-vous nous rappeler ce qu’est Le Mouvement Associatif et son rôle ?
Benjamin Cayrecastel : Le Mouvement Associatif, au niveau national, porte la voix du fait associatif. C’est une coordination de coordinations : fédérations, unions, plateformes, tous secteurs confondus. On considère qu’une association sur deux en France est fédérée et, à ce titre, reliée au Mouvement Associatif.
Notre mission : le plaidoyer ; mais aussi l’accompagnement, via nos déclinaisons régionales. En Occitanie, où je travaille, nous soutenons les associations à toutes les étapes : création, développement, structuration… et de plus en plus la gestion des situations de crise. C’est dans ce cadre qu’est né Prev’Asso.
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Qu’est-ce qui vous a conduit à créer ce dispositif spécifique ?
B. C. : En 2020-2021, au sortir du Covid, nous voyions arriver des associations déjà fragiles qui basculaient : pertes de recettes, épuisement des équipes, tensions internes… Pour les entreprises, il existe des procédures d’alerte et d’accompagnement avant la cessation d’activité. Pour les associations employeuses, rien de dédié. Nous avons donc proposé à la Région Occitanie et à France Active Occitanie un programme d’appui ciblé, rapide, pour les associations qui risquaient de ne plus exister dans les neuf mois. Le dispositif démarre en 2021 :
- 51 associations accompagnées la première année,
- 71 en 2022,
- 107 en 2023,
- 119 en 2024, et nous dépasserons ce chiffre en 2025.
Face à ces résultats testés en Occitanie, Prév’Asso entre maintenant en phase de déploiement national, avec 7 nouvelles régions qui démarrent le programme.
Comment Prév’Asso agit en situation de crise ?
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Que se passe-t-il lorsqu’une association vous appelle ?
B. C. : Le point clé, c’est la réactivité. Quand une association nous dit « On ne sait pas si on sera encore là dans quelques mois », nous nous engageons à un premier rendez-vous sous trois jours ouvrés. Dans ces situations, laisser les dirigeants seuls trois semaines, c’est déjà trop. Dès ce premier échange, nous faisons trois choses :
- Objectiver la situation : bilans, trésorerie, dettes, charges, engagements, mais aussi dynamique des activités. Il faut savoir où l’on met les pieds.
- Clarifier les objectifs : veut-on sauver l’association telle quelle ? Sauver des emplois ? Préserver un projet porté par d’autres ? Organiser une sortie digne ?
- Mobiliser les ressources : humaines, financières, partenariales. Même dans les pires crises, il reste des appuis : un trésorier motivé, une mairie soutien, une fédération, des usagers attachés au projet.
Notre méthode repose sur ce qu’on appelle la démarche appréciative. Plutôt que de s’enfermer dans la recherche des coupables, on part des solutions possibles : qu’est-ce qu’on peut faire, dès maintenant, avec ce qu’on a ?
Nos grands ennemis, ce sont la panique et le déni : l’une paralyse, l’autre retarde les décisions. Prév’Asso aide les équipes à « remettre les mains sur le guidon ».
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Qui intervient pour Prev’Asso ? Ce sont des consultants ou consultantes classiques ?
B.C. : Non, et c’est important. Ce sont avant tout des pairs associatifs : des personnes qui ont dirigé ou dirigent des associations, qui ont connu des difficultés, qui comprennent la réalité du terrain.
Ils ont un socle de compétences en gestion, comptabilité, finance, et surtout une posture d’écoute. Certains, comme moi, sont formés au coaching. L’idée n’est pas d’arriver avec une baguette magique, mais d’aider les équipes à prendre les bonnes décisions, chez elles, pour leur projet.
Cap au Large : une association « à flot » grâce à Prev’Asso
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Matteo, Cap au Large a fait appel au dispositif. Comment cela s’est-il passé ?
Matteo Altiere Dastoli : Cap au Large est une école de voile habitable sociale et solidaire, basée à Sète, qui fêtera bientôt ses 30 ans. Nous avons deux voiliers, dont le Laisse Dire, 17 mètres, largement adapté aux personnes à mobilité réduite : ascenseur, circulation en fauteuil, sanitaires adaptés, et désormais un joystick de barre permettant à des personnes lourdement handicapées de piloter elles-mêmes le bateau.
Notre vocation est de rendre la mer accessible à des publics empêchés : personnes en situation de handicap, jeunes suivis par la PJJ, personnes en insertion, sans-abri, migrants, seniors isolés… Nous travaillons avec leurs structures : éducateurs, associations, établissements médico-sociaux. Cap au Large est un outil pédagogique et social au service de ces acteurs.
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Lorsque vous prenez vos fonctions de coordinateur, dans quel état trouvez-vous l’association ?
M.A. D. : Je connaissais la maison comme éducateur sportif. En 2025, je reviens comme coordinateur technique et administratif. Je découvre :
- un directeur historique épuisé,
- un modèle économique mal compris,
- un déficit annoncé de 25 000 €, après deux années déjà déficitaires,
- une trésorerie quasiment au plancher.
Honnêtement, en février, je me dis que je suis peut-être là pour fermer la structure ! Mais je tiens profondément à Cap au Large. J’active donc tous les relais possibles, dont le DLA (Dispositif local d’accompagnement). C’est via ce réseau qu’on me conseille de contacter Prev’Asso.
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Benjamin, que faites-vous quand vous arrivez chez Cap au Large ?
B.C. : On ne se contente pas du compte de résultat global : on reconstruit un prévisionnel analytique, activité par activité, pour comprendre où se crée la valeur et où se creuse le déficit.
C’est là qu’émerge un levier majeur : augmenter le nombre de bénéficiaires par sortie, à coût presque constant. Ce levier coche deux cases :
- il améliore l’équilibre économique,
- il renforce le projet social, puisqu’on fait naviguer davantage de personnes empêchées.
Parallèlement, on clarifie la stratégie, les priorités, et l’on outille Matteo : tableaux de bord, plusieurs scénarios de budget, éléments de langage pour les financeurs.
M.A.D. : Ce travail a été déterminant. En quelques semaines, nous avons :
- des fichiers clairs pour expliquer notre modèle,
- un business plan crédible,
- des scénarios réalistes pour revenir à l’équilibre.
Avec ces outils, nous avons pu répondre aux interrogations très sévères de deux financeurs publics qui envisageaient de couper les subventions. En sortie de réunion, non seulement ils maintiennent leur soutien, mais repartent convaincus de l’utilité de Cap au Large. C’est le tournant.
Ensuite, avec l’appui de Prev’Asso, nous lançons :
- une stratégie de communication associant voile, culture et convivialité,
- un travail structuré sur le mécénat et le crowdfunding. Résultat : un mécène s’engage à nos côtés à hauteur de 25 000 €, et nous annonçons un retour à l’excédent en 2025, après -77 000 € en 2023 et -59 000 € en 2024.
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Pour vous, Prév’Asso a joué un rôle clé dans ce redressement ?
B.C. : Oui, mais toujours en s’appuyant sur l’association elle-même. Nous n’imposons pas un modèle. Nous aidons à faire émerger leurs solutions. Dans le cas de Cap au Large, le potentiel était là : projet solide, ancrage territorial, outil unique pour les personnes handicapées. Il manquait la lisibilité économique et un accompagnement dans la tempête.
Prév’Asso, un complément d’urgence au DLA
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Vous avez évoqué le DLA. En quoi Prev’Asso est-il différent ?
B.C. : Le DLA est essentiel : il accompagne dans la durée la structuration, le développement, la professionnalisation. Mais son fonctionnement – diagnostics détaillés, appels d’offres, choix de prestataires – implique un délai de plusieurs mois. En cas de crise aiguë, une association n’a pas six mois devant elle. Prév’Asso vient précisément combler ce vide :
- nous intervenons en urgence,
- nous sécurisons la situation,
- nous préparons, si nécessaire, un passage de relais vers le DLA ou d’autres dispositifs.
Les deux sont complémentaires : le DLA pour le temps long, Prev’Asso pour éviter le naufrage immédiat.
Financements et changement d’échelle
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Un tel dispositif a un coût. Comment Prev’Asso est-il financé ?
B.C. : Au départ, c’est la Région Occitanie qui accepte de financer intégralement la création de deux postes dédiés, en partenariat avec France Active Occitanie. Les résultats sont là : en moyenne, 90 % des emplois des associations accompagnées sont préservés. À ce moment, l’État, via la DREETS, rejoint le projet. Nous sommes aujourd’hui sur un cofinancement État / Région et en voie d’inscription au Contrat de plan État-Région.
Pour le changement d’échelle, ce sont les fondations qui jouent un rôle décisif :
- la Fondation de France apporte un soutien majeur,
- la Fondation SNCF se joint à l’initiative, permettant de lancer des Prév’Asso dans sept nouvelles régions.
C’est une belle illustration du rôle des fondations : amorcer une innovation utile, démontrer son impact, puis permettre sa reprise et pérennisation par les pouvoirs publics.
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Et pour la suite ?
B.C. : Pour 2025-2026, le financement est sécurisé. L’enjeu, désormais, est double :
- Étendre Prev’Asso à l’ensemble des régions.
- Inscrire dans la durée un service qui répond à un besoin structurel et peut accompagner dignement les associations vers une reprise ou une transformation.
Gouvernance, alliances, chemins d’avenir nécessaires mais délicats
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Dans vos accompagnements, vous rencontrez souvent des difficultés de gouvernance. C’est un point sensible chez Cap au Large aussi ?
B.C. : Quasiment à chaque crise, il y a des tensions au sein du conseil d’administration : fatigue, incompréhensions, règlements de comptes. Soit c’est la colère, soit c’est le découragement. Notre travail, c’est de :
- Remettre tout le monde autour de la table,
- Clarifier les rôles : le conseil d’administration porte la légitimité (le « pourquoi »), les salariés portent la compétence opérationnelle (le « comment »),
- Reconstruire une projection commune. Quand un CA sait où il va, il discute encore mais il ne se déchire plus sur le passé.
M.A.D. : À Cap au Large, nous avons dû assumer ces tensions, réorganiser, clarifier les responsabilités. Prév’Asso nous a aidés à le faire sans perdre de vue l’essentiel : sauver le projet social, pas seulement la structure.
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Et lorsqu’il n’y a plus de solution ?
B.C. : Dans environ 10 % des cas, la meilleure option reste la cessation d’activité. Ce n’est pas forcément un échec : si les emplois et l’utilité sociale sont en partie préservés dans un autre cadre, nous considérons que le cœur du projet est sauvé. Pour cela nous travaillons aussi à encourager les rapprochements, les alliances entre associations. Elles apparaissent aujourd’hui comme un levier essentiel de pérennité et de renforcement collectif. Face à la baisse des financements publics, à la complexité croissante des cadres réglementaires et à l’épuisement de certaines équipes, ces rapprochements permettent de mutualiser les moyens, d’assurer la continuité des projets et de préserver les emplois. L’expérience de Prév’Asso montre que ces coopérations sont souvent des solutions de relance. Cependant, ces démarches restent délicates : elles impliquent de concilier des cultures associatives différentes, des gouvernances et des valeurs parfois éloignées. Les questions de pouvoir, de représentativité ou de modèle économique peuvent susciter des tensions et ralentir le processus. Réussir une alliance suppose donc du temps, de la transparence et un accompagnement adapté pour construire une vision partagée, où chacun trouve sa place. Lorsqu’elles aboutissent, ces alliances deviennent de véritables forces collectives au service de l’intérêt général
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Avez-vous un mot de conclusion ?
B. C. : Ce que montre Prév’Asso, c’est qu’avec une ingénierie de soutien très concrète, fondée sur la confiance, la compétence et la réactivité et un accompagnement sur mesure, on peut transformer un risque de fermeture en dynamique positive. Le modèle économique est clarifié, les financeurs rassurés, le mécénat mobilisé et le projet social renforcé.
Prév’Asso est ainsi à la fois :
- un outil de prévention des ruptures,
- un levier de professionnalisation,
- et un symbole de coopération vertueuse entre associations, pouvoirs publics et fondations.
Merci Benjamin, merci Matteo, d’avoir accepté de partager cette expérience qui, au-delà des chiffres, raconte surtout comment le secteur lui-même choisit de tenir bon pour ne pas laisser disparaître des projets essentiels à la cohésion sociale.
Propos recueillis par Francis Charhon