[POINTS CLÉS] L'interview de Benjamin Pruvost, Fondation pour la Recherche Médicale
L’interview de Benjamin Pruvost, directeur de la Fondation pour la Recherche Médicale (FRM), nous montre comment la recherche dans notre pays fait face à de nombreuses difficultés et le rôle de la philanthropie dans ce secteur.
![[POINTS CLÉS] L'interview de Benjamin Pruvost. Crédit visuel : Carenews.](/sites/default/files/styles/large_actualites/public/2023-01/points-cles-benjamin-pruvost-frm.jpg?itok=6VoUxA2l)
Le rôle d’une fondation privée dans la recherche
La FRM finance près de 400 projets de recherche dans des laboratoires publics : CNRS, l’INSERM, universités, gros instituts du type Curie ou Pasteur sur tout le territoire français toutes pathologies confondues.
Elle prend aussi en charge un besoin moins connu du public et pourtant indispensable : le soutien des chercheurs tout au long de leur carrière de la thèse de sciences au post-doctorat avec le financement des quatrièmes années de thèse car, en biologie, trois ans ne suffisent pas à terminer une thèse dans de bonnes conditions et être publié. C’est aussi un programme pour les chercheurs qui souhaiteraient revenir en France après une expérience à l’étranger et intégrer un laboratoire de recherche. Il y a aussi l’amorçage d’équipe permet à un jeune chercheur prometteur qui commence à avoir de l’expérience de constituer sa propre équipe, financer des chercheurs étudiants autour de lui, acheter du matériel et financer des projets de recherche sur plusieurs années, bien souvent trois ans, pour plusieurs centaines de milliers d’euros.
La contribution de la FRM représente 15 ou 20 % du budget pour les équipes de recherche qui ne pourraient mener leurs projets.
Il est difficile d’avoir des chiffres très précis sur la recherche biomédicale. Les dépenses totales de recherche en santé en France ont été de 2,3 % du PIB en 2020, une croissance à peine supérieure à la croissance du PIB durant les dix dernières années. Quand on compare avec des pays comme l’Allemagne ou même la Belgique qui sont à plus de 3 %, une différence est notable.
Ce qui est sûr, est que la recherche coûte de plus en plus cher, en talents, en matériel sophistiqué. Elle ne peut donc se passer de la générosité du public.
Même si l’État fait beaucoup, ce n’est pas suffisant. Cependant, il n’y a pas que la question de moyens, l’organisation de cette recherche entraîne aussi une déperdition d’énergie importante. Il y a un certain mille feuilles dans l’organisation de la recherche pas toujours très lisible, entre universités, CNRS, INSERM et autres acteurs publics, parapublics ou privés. De ce fait, il manque à la fois de la constance dans les investissements et de la clarté sur les objectifs qui sont alloués, alors que l’on a besoin d’un investissement dans la durée et avec une permanence de vue. Par exemple la problématique des virus émergents, tels que le Covid, n’est pas nouvelle. Et pourtant peu de financeurs comme la FRM ont soutenu des équipes de recherche en France sur ce domaine avant 2020-2021. Le fait que les directeurs de recherche et responsables d’équipes soient obligés de consacrer une partie importante de leur temps à chercher des financements interroge. Car c’est du temps qu’ils ne consacrent pas à leur domaine d’expertise : la recherche.
La philanthropie en action
Grâce exclusivement à la générosité du public, la Fondation pour la Recherche Médicale apporte chaque année 50 millions d'euros à 400 projets de recherche. Pour donner un ordre de comparaison, l’Institut Pasteur qui héberge des laboratoires et emploie des chercheurs engage 191 millions d'euros, l’institut Curie 77 millions d'euros, la Ligue contre le Cancer 37 millions d'euros, l’ARC 26 millions d'euros et la Fondation de France 16 millions d'euros. Il existe aussi de nombreux autres acteurs, associations ou fondations, intervenant sur des pathologies particulières (sida, Alzheimer, maladies cardiovasculaires…). On voit bien que la générosité du public est indispensable au soutien de la recherche dans de nombreux secteurs.
Il est aussi intéressant de voir les préoccupations des Français dans le baromètre de la recherche médicale 2022. Leur intérêt est tourné principalement vers le cancer, ensuite les maladies neurologiques, et ensuite toutes les autres. On comprend bien pourquoi des pans entiers de la recherche manquent de financements privés faute de sensibilisation à certaines pathologie graves.
On constate aussi que les fondations d’entreprises investissent encore peu dans le secteur de la santé.
Pour une science ouverte
Benjamin Pruvost milite pour la science ouverte avec la conviction du besoin de donner un accès libre aux informations, aux connaissances scientifiques et aux données des recherches. Plus les publications sur ces connaissances scientifiques sont en libre accès, plus elles peuvent être connues et contribuer à nourrir les recherches des autres et créer de nouvelles connaissances aboutissant in fine à des inventions et des innovations. On voit tout l’intérêt de ce qui s’est passé durant la période Covid, avec une collaboration accrue et un partage des données notamment sur le phénotype des nouveaux variants qui en un rien de temps faisaient le tour du monde et étaient utilisées par des équipes partout dans le monde pour faire avancer la recherche dans l’intérêt de tous. Cet exemple récent est prometteur car la réalité de la recherche biomédicale est encore trop des publications verrouillées, extrêmement onéreuses et pas toujours partagées car derrière il y a un enjeu fort des brevets.
Les associations de patients
Benjamin Pruvost évoque aussi le rôle de associations devenues extrêmement importantes autour des maladies. Lorsque l’on parle d’une approche globale de la santé (one health), la recherche sur les diagnostics et les thérapies ne sont qu’une composante de notre santé. C’est un véritable enjeu de société. Il faut prendre en compte les patients, les aidants, les accompagnants et les associations de famille où chaque acteur a une place importante. Les associations de malades sont des aiguillons avec une composante militante pour faire bouger les choses. Cela a été extrêmement important sur les maladies rares dont on parlait peu et qui ne trouvaient de financements ni pour la recherche ni pour l’accompagnement. Souvenez-vous du sida. Ce sont les activistes qui ont fait progresser la recherche et la reconnaissance sociale de cette maladie. Pour d’autres pathologies, comme l’Alzheimer qui touche 900 000 personnes, se pose la question des aidants et de la prise en charge du cinquième risque lié au grand âge. Les difficultés de prise en charge sont révélées par les associations. Chacune dans leur domaine, elles mettent en évidence la nécessité d’une réflexion sur la prise en charge des maladies invalidantes. Elles sont devenues puissantes. Elles récoltent de l’argent pour leur cause et sont une importante source de financement pour les chercheurs y compris pour les essais cliniques et la constitution de cohortes.
Elles sont aussi à l’écoute des patients qui ont un regard sur ce qui les concerne. Dans la recherche et la mise en place de thérapies il y a toute la phase d’implémentation qui nécessite une participation des patients. Ces études cliniques sont très encadrées. Pour créer des cohortes il est important que les associations de patients puissent mobiliser des personnes autour de telle ou telle recherche, voire les contester parfois et y contribuer aussi, en tous les cas exercer une influence sur le cours de ces essais, avoir un poids aussi sur le coût et la disponibilité des futures thérapies. C’est un enjeu extrêmement fort.
Parfois cela peut tourner à la cacophonie quand les associations ne sont pas d’accord entre elles ou qu’elles contestent tel ou tel aspect de la recherche ou des traitements. Le rôle d’une fondation comme la Fondation pour la Recherche Médicale est d’essayer d’avoir une vision transversale et de tenter de concilier différents points de vue.