[Tribune] Lignes rouges, démocratie et philanthropie
Dans un contexte politique miné par les divisions et les « lignes rouges » érigées en dogmes, Francis Charhon plaide pour une autre voie : celle du dialogue et de la coopération. Face au blocage démocratique, il rappelle que la philanthropie et le monde associatif, ancrés dans le concret et l’action collective, continuent d’incarner la recherche de solutions et la vitalité du lien social.
Depuis quelques mois, le désordre politique est à son comble. Chacun cherche à se faire valoir sans se rendre compte que cela désespère les Français. Le concept qui fait flores est celui des lignes rouges brandies à tout bout de champs comme un tabou intangible et comme menace suprême. Ce concept met ceux qui les fixent dans une position de rigidité absolue. Les faire bouger est devenu une abdication insupportable pour ceux qui les ont émises. La conséquence en est une réduction de tout dialogue pour élaborer des positions acceptables, des concertations certes exigeantes mais qui peuvent se révéler fructueuses.
De telles attitudes ne peuvent que favoriser tous les extrêmes aux positions simplistes, démagogiques, le plus souvent irréalistes. Ils font miroiter un monde où tout serait simple et sans aspérité, une sorte de « monde d’avant » n’ayant jamais existé, mais doux à l’oreille de ceux qui se désespèrent de ces batailles politiciennes ne prenant pas en compte la réalité du quotidien des Français. Ainsi tous participent au blocage angoissant du pays.
La pauvre Marianne est désespérée de voir l’état de sa république et de la démocratie.
Mais que vient faire la philanthropie là-dedans me dira-t-on ?
Chaque jour, les acteurs de la philanthropie, associations, fondations, bénévoles, agissent au plus près des besoins. Les réponses ne sont jamais simples et doivent se faire en concertation entre acteurs divers : État, collectivités locales, entreprises pour apporter des solutions. Ici pas de lignes rouges, mais du dialogue, de la recherche de la meilleure solution avec la volonté d’aboutir, car il n’y a pas de choix. Le temps perdu entraine plus de casse, plus de souffrance. Il n’existe pas de réponse unique, car souvent, il faut prendre des chemins nouveaux et imaginatifs, impossibles à trouver si chacun campe sur ses positions.
Bien sûr, on peut trouver des défauts à ce secteur. Pourtant, à travers le temps, il a montré sa capacité à répondre aux besoins les plus divers. Il est le reflet d’une partie de la société qui fait face avec enthousiasme et allant. Les millions de bénévoles en action, soit spontanément, soit dans les associations, s’engagent pour rendre service, parfois au niveau le plus micro. Plutôt que d’attendre des solutions venues du haut qui n’arrivent pas, ils se sont mis en mouvement. Pas un secteur de la société sans eux : culture, sport, action sociale auprès des jeunes, des vieux, des malades, environnement, recherche… En cela, ils sont aussi soutenus par l’apport financier de millions de donateurs qui croient en leur action. Aidés par des mesures fiscales incitatives, leurs dons sont indispensables et il serait bon de ne pas les voir se réduire. Eux aussi, ils sont mus par une volonté intime d’engagement.
La situation de ce secteur est elle aussi préoccupante, car déjà des réductions de financement ont eu lieu, et d’autres se profilent à travers la loi de finance dans de nombreux champs sociaux et culturels. Les collectivités territoriales ayant moins de budget, elles ont commencé à réduire leurs aides pour des projets.
Le résultat en est une augmentation des situations difficiles par l’abandon de nombreux récipiendaires pour lesquelles il faudra trouver des solutions. C’est aussi la fermeture d’associations avec leurs plans sociaux. Le Mouvement Associatif a clairement exprimé son inquiétude.
Les associations et fondations devront gérer la pénurie, ce qui sera un enjeu majeur, en sachant que jamais elles ne pourront remplacer l’État. Il faudra trouver des solutions pour favoriser les regroupements, les alliances ; les fondations d’entreprises ou de particuliers devront au-delà du soutien de projets, financer des évolutions structurelles. Là, pas de lignes rouges, seule l’obligation d’aboutir permettra de traverser cette période difficile par des efforts de concertation de tous et des ruptures dans les modes de fonctionnement.
L’état est en difficulté, on comprend que des équilibres soient à trouver, mais il faut pouvoir garder la capacité d’intervention, d’action de ceux qui se battent pour préserver un bien précieux qu’est le lien social. Des choix sont à faire entre des réductions importantes de budgets, et les coûts que cela entrainera.
Mais ceux qui décident et bloquent tout pour « le bien des Français » devraient regarder autour d’eux comment se démène la société civile, notamment le secteur non lucratif pour l’intérêt général. Ils sont la voie de la cohésion dans notre pays de plus en plus fracturé, cerné par les lignes rouges des uns et les positions extrêmes des autres.
Ne laissons pas disparaître cette force qui repose sur l’idée qu’il est possible de vivre ensemble et que les mots solidarité, empathie, espoir sont des valeurs fortes à faire vivre à toute force sans baisser les bras.
Francis Charhon