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Par ENGAGE - Publié le 5 juillet 2018 - 13:27 - Mise à jour le 12 juillet 2018 - 09:00
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Avons-nous envie de vivre en 2030 ?

Le monde va-t-il mieux ou court-il à sa perte ? Chacun d’entre nous pressent confusément que les deux hypothèses sont aussi vraies l’une que l’autre. « Now is the greatest time to be alive », écrit Barack Obama dans le magazine Wired (octobre 2016). « This is the most dangerous time for our planet », écrit pour sa part Stephen Hawking dans le Guardian du 1er décembre 2016. Le célèbre astrophysicien britannique envisage sérieusement une prochaine extinction de notre espèce : « je ne pense pas, dit-il, que nous survivrons encore 1 000 ans sans devoir nous échapper de notre fragile planète ».

Avons-nous envie de vivre en 2030 ?
Avons-nous envie de vivre en 2030 ?

Que retenir de ces contradictions ? Le bouillonnement créatif qui n’a jamais paru si vibrionnant, l’intelligence individuelle et collective qui se déploie partout et à tous les niveaux, l’économie en réseaux qui multiplie les initiatives et permet à toutes les bonnes idées et à toutes les bonnes volontés de se rencontrer et d’œuvrer ensemble ?

Ou plutôt les nuages de toutes sortes qui s’accumulent à l’horizon ? A commencer par le dépérissement de la planète lié au réchauffement climatique et qui se traduit notamment par un gravissime recul de la biodiversité sur terre et dans les mers. Sans parler de l’actualité internationale en 2016 : regain des nationalismes agressifs un peu partout, montée de la xénophobie, de l’intolérance religieuse meurtrière et des peurs de toutes sortes, perte de vitesse des systèmes coopératifs basés sur le droit.

Comment sortirons-nous de ces contradictions ? Question purement rhétorique quand on sait par exemple que la Chine est en 2016 tout à la fois le premier pollueur de la planète et le premier laboratoire d’énergies vertes. On vivra donc très certainement pour longtemps encore dans de sévères paradoxes…

La mode, illustration de l’essoufflement de notre modèle

Il n’empêche qu’on a le droit d’espérer que la notion de « progrès » n’est pas morte. Prenons l’exemple apparemment anodin de la mode mais qui est un secteur économique de premier plan. Je recommande d’écouter un TedTalk de Rachel Arthur, une journaliste britannique spécialisée dans la mode et la technologie. Cette conférence prononcée en octobre 2016 délivre un message simple : la mode doit effectuer un passage nécessaire « de la frivolité à la soutenabilité » (« from frivolity to sustainability »). 

Voici le constat de base de Rachel Arthur :

– La mode est la seconde industrie la plus polluante sur terre après le pétrole. – Elle produit 10 % des émissions de carbone sur terre. – Elle utilise 1/4 des produits chimiques consommés chaque année dans le monde. – Elle est la seconde activité la plus vorace en eau après l’agriculture (on utilise 20 000 litres d’eau pour une seule paire de jeans et un seul T-shirt). – Depuis l’an 2000, on produit 60 % de vêtements en plus (100 milliards de produits), dont 3/5 finissent à la décharge dans l’année qui suit.

La mode n’est qu’un exemple parmi beaucoup d’autres de l’essoufflement de notre modèle. Et si l’avenir s’élabore sous nos yeux grâce aux nouvelles technologies, priorité à celles qui peuvent aider à sortir de l’impasse.

Google vient d’annoncer que sa consommation d’énergie, équivalente à celle de la ville de San Francisco chaque année, proviendra à 100 % d’énergies renouvelables à partir de 2017.

On a envie de se dire que oui, naturellement, toute innovation technologique est au service d’une amélioration de la condition humaine. Mais on n’en est pas tout à fait sûr, du moins pas à 100 %. Certes, on progresse dans tous les domaines de la science et de la médecine. De nombreux chercheurs dans le domaine du bio-mimétisme s’inspirent de plus en plus du vivant et cherchent à reproduire à l’identique les matériaux qui s’épuisent (un exemple : le cuir). Dans l’alimentation, on va sans doute parvenir à réduire la surconsommation de viande animale, co-responsable de la dégradation de la planète.

La valeur, aujourd’hui, se concentre dans la maîtrise des réseaux d’information (ou de désinformation) et de communication

Même si la confusion et le chaos dominent le monde tel que nous l’observons chaque jour, on sent bien que le XXIe siècle cherche à inventer de nouveaux modèles de développement humain. Les initiatives telles qu'ENGAGE s’ajoutent à des milliers d’autres pour envisager d’autres façons de progresser et d’adapter l’humanité à un mode d’existence plus équilibré, plus sensé, plus harmonieux.

Mais ce qui ne cesse de me frapper, c’est à quel point l’immense intelligence humaine disponible (et déjà l’intelligence artificielle) concentre son énergie sur des objectifs dérisoires. La valeur, aujourd’hui, se concentre dans la maîtrise des réseaux d’information (ou de désinformation) et de communication. « Dans tous les domaines, nous sortons de cent cinquante ans de société industrielle. La fabrication des biens a été remplacée par la modification, voire par la manipulation des esprits, comme on l’a vu lors de l’élection américaine, avec un Donald Trump porté par une partie des réseaux sociaux » (Alain Touraine dans Le Monde du 2 décembre 2016).

Au cœur de notre économie et de nos sociétés, il y a désormais l’observation sophistiquée des comportements individuels, pour une efficacité toujours plus grande des outils du marketing. Les acteurs du marché sont à la poursuite d’un idéal indépassable qui peut se résumer en quelques mots très simples : « vendre le bon produit à la bonne personne, au bon moment et au bon endroit ». Cela ne me semble malheureusement pas suffisant pour contribuer à l’élévation de l’esprit, à la diffusion de la culture, à une vie vraiment meilleure.

Nous ne sommes plus à l’âge des grandes utopies politiques et personne n’a vraiment envie de croire à des alternatives à l’économie de marché. La liberté, l’entreprise, tout le monde y tient et tout le monde sait que notre développement futur ne peut pas être un modèle « administré ». On sait aussi que le capitalisme, tout compte fait, a permis à des millions de gens de sortir de la pauvreté dans le monde.

Mais l’échafaudage global manque singulièrement d’attrait. On ne peut avoir une « envie de futur » sans y apercevoir, comme nous invite à le faire Barack Obama, plus de qualités humaines, plus de participation, plus d’épanouissement individuel et collectif… N’y a-t-il que des adaptations individuelles au changement ? On est tenté de le penser tant nos vies plus ou moins minuscules sont riches et très souvent belles, mais on est un peu consterné quand même. On ne sait plus trop comment faire pour y arriver, mais on est encore bien loin d’une « société de confiance », même si on a abandonné tout idéal de « lendemains qui chantent ».

Lucas Delattre, intervenant à l'ENGAGE University, journaliste, spécialiste de la communication et des médias.

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Pour en savoir plus : 

L'article du Monde sur la biodiversité | "Tous les indicateurs sont au rouge"  Le Ted Talks de Rachel Arthur | "Fashion and Technology : from frivolity to sustainability"  L'article de The Conversation sur le bio-mimétisme | "S'inspirer de la nature pour rendre l'innovation plus soutenable"

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