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Par Eva pour la vie - Publié le 30 novembre 2014 - 20:14 - Mise à jour le 11 février 2015 - 13:56
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Cancers de l'enfant : la classe politique française démobilisée

Le débat du 19 novembre dernier en Commission des Affaires sociales était inquiétant, celui du 27 novembre affligeant pour notre démocratie : outre un rejet, par la majorité socialiste, de la proposition de loi du député Jean-Christophe Lagarde sur le financement de l’oncologie pédiatrique, la très faible mobilisation des députés sur un thème crucial - le cancer de l’enfant, 1ère cause de mortalité par maladie – était extrêmement faible : seulement 33 députés sur 577 étaient présents dans l’hémicycle …

Cancers de l'enfant : la classe politique française démobilisée
Cancers de l'enfant : la classe politique française démobilisée

Une loi essentielle pour la recherche,  facile à appliquer…

Le texte du député Jean-Christophe Lagarde, nouveau président de l'UDI, comprenait 3 articles : le 1er sur le financement de la recherche sur les cancers pédiatriques, le 2nd sur l'individualisation des traitements, le 3ème étant d'ordre technique.  Equilibré, il partait d'un constat simple : chaque année en France, 500 enfants décèdent d'un cancer, faute de recherche et de traitement adaptés. Le taux de survie moyen, de 72% sur 10 ans, stagne depuis le milieu des années 90 et caches d'énormes disparités. En effet, si le taux de guérison de certains cancers pouvant se "soigner" avec des traitements pour adultes a progressé en 30 ans (par exemple, 80% des leucémies), il n'en est rien pour les cancers nécessitant des traitements spécifiques. Par exemple, les tumeurs du tronc cérébral emportent 50 enfants chaque année, avec un taux de guérison proche de 0%.  Les firmes pharmaceutiques n'investissant pas sur le sujet, le député Jean-Christophe Lagarde proposait donc que les travaux d'équipes publiques de recherche puissent être financés par une contribution mineure sur le chiffre d'affaires des firmes pharmaceutiques, indolore pour le consommateur. En effet, celles-ci, malgré un chiffre d'affaires en hausse constante (53 milliards d'euros/an) et des marges nettes avoisinant les 20%, n'investissent pas dans cette recherche, la considérant comme peu rentable. Le député n'était toutefois pas opposé à d'autres pistes de financement, à la condition que celles-ci soient justes et qu'elles permettent d'atteindre l'objectif fixé. Les mesures incitatives seules, telles que le règlement pédiatrique européen de 2007, ne fonctionnent pas, comme ont pu l’expliquer les professionnels de santé de la revue PRESCRIRE, indépendants des lobbyings. Les Etats-Unis l’ont bien compris en alliant 2 mesures : le Creating Hope Act (mesure incitative à destination des firmes pharmaceutiques investissant dans la recherche) et le Gabriella Miller Kids First Research Act (qui alloue un fond public de 126 millions de dollars sur 10 ans, exclusivement dédié à la recherche sur les maladies pédiatriques, et plus particulièrement les cancers, en plus des moyens déjà existants).

 

Morceaux choisis du débat …

  • Susciter les vocations des chercheurs sur les cancers pédiatriques : «  Les chercheurs doivent être encouragés à entreprendre des travaux intéressant ces cancers très rares et disposer de perspectives de carrière suffisamment stimulantes. » (Jean-Christophe Lagarde, UDI)  
  • L’incitation ne donnant aucun résultat, ponctionner une industrie pourtant concernée et rentable : « Le dispositif que je propose prélève une ressource sur les activités pharmaceutiques rentables pour financer de la recherche oncologique jugée non rentable par le secteur privé. Cela semble logique, et d’autant plus qu’une partie des contributions mises en place par la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2014 et que j’ai évoquées finance pour 17 millions d’euros l’organisme de gestion du développement professionnel continu : je vous propose de prélever 10 millions d’euros seulement, destinés à financer non des formations, mais la recherche ». (Jean-Christophe Lagarde, UDI)  
  • Discuter de ce sujet au-delà de tous clivages politiques : « Je reste … ouvert à la mise en place d’un financement alternatif si, compte tenu de la modicité des sommes en jeu, le Gouvernement en prenait l’initiative » (Jean-Christophe Lagarde, UDI)  
  • Un principe de financement déjà éprouvé pour la recherche sur le SIDA : « Certains collègues se sont inquiétés du fléchage d’une ressource vers la recherche sur une pathologie spécifique, mais ce mécanisme est déjà couramment employé. Je crois d’ailleurs que, tous ici, nous soutenons le Président de la République, qui se bat pour maintenir le principe d’une taxe sur les billets d’avion dont le produit finance la recherche sur le SIDA ».  
  • Aider les cancers pédiatriques, c’est aussi aider les cancers adultes ! « financer la recherche pédiatrique aurait pour effet d’opposer les publics – c’est-à-dire les adultes aux enfants ou adolescents ? (…) La ressource que je propose permettra précisément de financer une priorité du plan cancer sans priver du moindre euro les autres publics. En outre, les progrès que nous réaliserons chez les mineurs bénéficieront in fine à tous : mettre en œuvre le maximum de ce qui est scientifiquement possible pour l’individualisation des traitements – comme la systématisation des tests précliniques in vivo – permettra de généraliser rapidement ces possibilités en faveur des adultes. » (Jean-Christophe Lagarde, UDI)  
  • L’égalité des chances… « Il ne devrait pas y avoir de types de cancers pédiatriques sur lesquels aucune recherche ne soit menée » (Jean-Christophe Lagarde, UDI)  
  • Si le sujet intéresse la majorité actuelle, pourquoi n’avoir proposé qu’un simple amendement de suppression, afin d’enterrer cette proposition … sans rien proposer d’autre ? « Madame la secrétaire d’État, vous nous dites qu’il s’agit d’un objectif partagé, mais alors le Gouvernement et les députés des autres groupes devraient pouvoir amender le dispositif, le transformer ou le moduler ». « Sur le fond, une telle suppression toucherait le cœur du texte, une disposition pourtant demandée par nombre de chercheurs et d’associations… On a beaucoup parlé aujourd’hui de valeurs ou d’objectifs partagés ; je veux le croire. Le dispositif peut ne pas plaire, mais le fait que l’on ne propose pas d’autre solution me gêne. » (Jean-Christophe Lagarde, UDI)  
  • Le Plan Cancer, insuffisant pour les enfants « Quand vous rappelez le contenu du Plan cancer, et que vous arrivez à la conclusion que c’est suffisant, ce n’est plus une valeur partagée : moi, je trouve que ce n’est pas suffisant … J’ai évoqué à plusieurs reprises la recherche translationnelle, et je n’ai pas obtenu de réponse. J’ai évoqué l’épidémiologie : j’ai obtenu une réponse, sur laquelle nous avons un désaccord. J’ai évoqué la possibilité de disposer d’un centre unique qui collecte les tumeurs cancéreuses, afin que les chercheurs y aient plus facilement accès : je n’ai pas obtenu de réponse. Vous voyez bien que toutes les pistes ne sont pas ni recensées ni envisagées, et encore moins financées !» (Jean-Christophe Lagarde, UDI)  
  • Un vœux pieux « Je veux vous faire partager une conviction : alors que l’ensemble des groupes parlementaires soutiennent les objectifs de cette proposition de loi, je crois que nous aurions eu tout intérêt à la voter à l’unanimité en commission. » (Yannick Favennec, UDI).  
  • Un vœux pieux (2) « Pour le groupe RRDP, la recherche oncologique pédiatrique doit être renforcée. Chaque jour compte pour les malades, chaque jour compte pour leurs familles. Dès lors, majoritairement, nous émettons un avis favorable à cette proposition de loi, afin de donner un signal fort. La nation doit pouvoir se rassembler sur de tels objectifs ». (Jean-Noël Carpentier, Radicaux de Gauche)  
  • Un vœux pieux (3) « Le sujet doit dépasser les clivages politiques et nous rassembler sur tous les bancs de cet hémicycle ». (Gilles Lurton, UMP)  
  • Un constat « J.C Lagarde a expliqué que si la majorité l’avait souhaité, elle aurait pu faire évoluer le texte. Je regrette que cette possibilité ait été balayée d’un revers de la main ». (Philippe Vigier, UDI)  
  • La vanité « La France n’a à rougir ni de ses efforts ni de ses résultats en matière de recherche en oncologie pédiatrique. Bien au contraire, nous sommes en pointe sur ce sujet. » (Ségolène Neuville, PS)Selon PUBMED, moins de 1% des publications scientifiques traitant du cancer sont dédiées aux cancers pédiatriques. C’est, en proportion, près de 3 fois moins qu’au Canada ou qu’aux Etats-Unis, qui ont pourtant voté 2 lois en faveur de la recherche sur les maladies pédiatriques, dont les cancers de l’enfant. D’une façon plus générale, il n’y a plus lieu de se satisfaire de la position de la France en termes de recherche. Troisième pays scientifique en 1970, cinquième en 1985, septième en 1995, la France n’est désormais qu’à la quinzième place mondiale (en septembre 2013) en termes d’effort financier consacré à la recherche, d’après les comparaisons internationales de l’OCDE pour la "dépense intérieure de recherche et de développement" par rapport au "produit intérieur brut" (DIRD/PIB).  
  • La peur des firmes pharmaceutiques « En taxant les laboratoires pharmaceutiques sur cet aspect, nous risquons d’obtenir un effet pervers qui pourrait conduire au contraire les laboratoires à se sentir dédouanés et à se désengager du sujet » (Ségolène Neuville, PS).Les mesures incitatives seules n’ont malheureusement que très peu d’effets. Selon les médecins de la revue scientifique PRESCRIRE « … en cinq ans d'application du Règlement pédiatrique, le processus PUMA n'a eu que des résultats infimes pour les enfants : [toutes pathologies confondues] une seule AMM* pour usage pédiatrique a été accordée [aucun traitement anti-cancer] , pour un médicament évalué par l'organisme français d'évaluation pharmaco-économique comme n'apportant qu'une amélioration du service médical rendu (ASMR) mineure. Au total, en 2012, les résultats concrets du Règlement pédiatrique sont décevants. Ce Règlement profite surtout aux firmes pharmaceutiques et guère à la santé des enfants. »  
  • Les oubliés « Dans les faits, les traitements évoluent de façon continue depuis les années 1970 et permettent d’enregistrer des progrès importants. Le meilleur exemple est probablement celui du taux de guérison des leucémies aiguës,… ». (Ségolène Neuville, PS).Les progrès enregistrés se concentrent essentiellement entre les années 70 et 90, sur certains types de cancers pédiatriques sans que l’industrie n’ai investi pour les enfants. Le taux de survie avec un cancer pédiatrique cache d’importantes disparités : plus de 80% en moyenne pour les « bonnes » leucémies, quasiment 0% pour les tumeurs du tronc cérébral (50 décès/an en France). Le taux de survie 10 ans après le diagnostic est de 72%. Ce chiffre stagne depuis le milieu des années 90.  
  • Le mensonge « La recherche sur les cancers de l’enfant est intense : elle concentre 10 % des fonds investis dans la recherche sur le cancer » (Michèle Delaunay ; PS).Malgré nos demandes, nous n’avons jamais eu les détails de ce calcul. Nous confirmons que, financements public et privé associés, moins de 2% des fonds de recherche anti-cancer sont alloués, en première intention, sur les cancers de l’enfant. Il est important de rappeler que l’on dénombre plus de 60 types de cancers chez l’enfant : ainsi, la plupart des cancers pédiatriques concernent moins de 50 enfants/ an en France. Les besoins en recherche de traitement sont les mêmes quels que soient le nombre d’enfants concernés, cancer du poumon chez l’adulte, tumeur cérébrale de l’enfant…  
  • La théorie, mais en pratique ? « La communauté scientifique est en connexion permanente (…)  Si une solution thérapeutique ou une attitude chirurgicale ou radiothérapique se dégage à un endroit donné, elle sera immédiatement reproduite et évaluée dans les centres experts ». (Michèle Delaunay). « Aujourd’hui, tous les traitements sont déjà personnalisés et adaptés aux patients ». (Martine Pinville, PS).  Des congrès internationaux (ASCO…) existent, ce qui permet, dans la théorie, d’échanger le savoir. Cela semble fonctionner pour les maladies les plus courantes, avec des délais variables en fonction de la réglementation de chaque pays, et des moyens financiers et techniques disponibles. Par contre, dans la pratique, dans les maladies les plus rares (cancers et handicaps), plusieurs centaines de parents sont obligés, chaque année, de partir dans des pays étrangers (USA, Allemagne, Espagne, Belgique …) pour bénéficier de traitement individualisés, scientifiquement reconnus dans les dits pays.  
  •  L'aveu... « Mais je pense que ce texte ouvrirait la porte à beaucoup d’autres demandes du même type : dès qu’une pathologie ne ferait pas l’objet de recherches jugées suffisantes, il faudrait aussitôt créer une nouvelle taxe sur l’industrie pharmaceutique ! » (Catherine Lemorton) Cette phrase met en avant le fond du problème : les recherches se concentrent essentiellement sur les maladies « rentables », car intéressant un grand nombre de gens (cancer du poumon, du sein…) au détriment des « moins nombreux », c’est-à-dire les enfants atteints de cancers et de maladies rares.

Cette loi visait à protéger la frange la plus vulnérable de la population (les enfants). D’autres lois existent pour protéger les catégories sociales défavorisées, les personnes âgées … souvent, avec des financements dédiés. Est-il envisageable de balayer d’un revers de main une proposition de loi visant à protéger les enfants atteints de maladies létales ? Est-il normal qu’une telle loi ai mobilisé aussi peu de députés (33 sur 577) pour un sujet qui peut, pourtant, tous nous concerner ? Est-il même normal qu’un vote ai pu être effectué avec un si faible nombre de députés présents alors que souvent, dans des réunions de moindre importance (conseil syndical, parents d’élèves etc…), des décisions ne peuvent être prises que si au moins la moitié des représentants officiels sont présents ?

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