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Par Fondation des solidarités urbaines - Publié le 19 décembre 2023 - 22:27 - Mise à jour le 20 décembre 2023 - 11:11
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Le Boomerang, ou comment régénérer le lien social par le don et la mobilité

Les habitants d’un quartier ont besoin de lieux pour insuffler une dynamique locale et favoriser l’émergence de solidarités de proximité. C’est le rôle du camion itinérant « le Boomerang », mis en place par l’APSAJ au nord-est de Paris pour aller à la rencontre des habitants. On y chine des objets issus de dons et on y trouve aussi beaucoup de convivialité. Le projet fait l’objet d’une recherche-action, soutenue par la Fondation d’Entreprise des Solidarités Urbaines en partenariat avec la Fondation Batigère.

Le Boomerang, un camion itinérant qui parcourt les 18e et 19e arrondissements de Paris pour tisser le lien social par le don (Crédit photo : Bertrand Dal)
Le Boomerang, un camion itinérant qui parcourt les 18e et 19e arrondissements de Paris pour tisser le lien social par le don (Crédit photo : Bertrand Dal)

 

Un nouveau rendez-vous de solidarité

Dans les 18ᵉ et 19ᵉ arrondissements de Paris, les équipes de l’APSAJ (Association de Prévention Spécialisée et d’Accompagnement des Jeunes) agissent quotidiennement auprès des 12-21 ans et de leurs familles. Dans les quartiers prioritaires de la ville enclavés, marqués par les rixes récurrentes entre jeunes et la précarité de certains habitants, elles les aident à construire leur parcours par l’action individuelle mais aussi collective – terreau de l’estime de soi et de la construction de liens plus solidaires.

Dès 2020, naît l’idée d’un projet innovant : un camion itinérant ouvert à tous, autour duquel s’organisent des dons d’objets et à travers eux, des moments partagés entre habitants. Mobilité, gratuité et convivialité en sont les trois principes fondateurs qui, ensemble, favorisent dialogue, inclusion et interaction. En un mot, le lien social pour tout un quartier.

Cet espace de gratuité mobile, baptisé le Boomerang, s’installe depuis 2021 trois fois par mois sur la place publique le mercredi et le week-end, à la lisière entre les 18ᵉ et 19ᵉ arrondissements. Les emplacements choisis se situent à proximité de lieux très fréquentés – comme l’esplanade Nathalie Sarraute, le jardin Luc-Hoffmann ou l’espace culturel le 104 –, mais aussi à l’orée d’espaces occupés de manière exclusive par les jeunes du quartier, à l’abri des regards extérieurs.

À bord, on trouve des livres, des CD, des films, des vêtements, des objets, autant de dons en libre-service faits par des habitants ou par des associations voisines, notamment Emmaüs Défi Riquet. On peut aussi utiliser sur place les instruments de musique mis à disposition, des jeux, ou bien profiter d’une activité organisée par un habitant volontaire, comme par exemple la construction d’un jeu d’échecs en carton.    

« Le projet est né d’un constat : les jeunes et leurs familles restaient enfermés dans des frontières, celles qui sont d’ordre administratif et celles qu’ils se sont fixées eux-mêmes. La caravane Boomerang vient modifier leur mobilité. En se déplaçant, elle tire derrière elle tout un faisceau de publics. La solidarité est, dans le cas présent, un support pour trouver une solution à des conflits territoriaux qui durent depuis les années 1990. Nous voulons voir de quelle manière les familles et les jeunes osent se déplacer sur des territoires qu’ils refusaient de visiter jusqu’alors », explique Béata Michou, directrice de l’Apsaj.

Chaque sortie du camion fait l’objet d’une observation de la part de l’équipe de recherche qui suit le projet, afin de nourrir une réflexion sur les freins à la solidarité de proximité – et la façon de les lever.  

L’expérience du terrain

Au fur et à mesure de ses sorties, le Boomerang s’est ancré dans le paysage du quartier. La présence du camion est devenue un rendez-vous récurrent. Les plus âgés croisent des familles. Les bandes-dessinées, les films, les instruments de musique laissés à disposition attirent les adolescents. Un groupe très investi d’habitants s’est constitué, certains s’impliquant à chaque sortie. En moyenne, 50 personnes se rendent à chaque rendez-vous du Boomerang, dont la moitié sont de nouveaux participants.

« Le lieu facilite l’interaction intergénérationnelle, témoigne Christophe Jibard, éducateur de l’APSAJ. Les générations coexistent au sein de notre espace et chacune utilise ce que nous mettons à disposition, sans hiérarchie. Aucune ne gêne l’accès de l’autre, ni ne cherche à prendre le dessus. C’est probablement là une condition essentielle de mobilisation des habitants. »

« Le Boomerang a du sens pour les habitants. Cela fait partie de leur vie de quartier et c’est une opportunité pour eux de s’engager. Les habitants ne sont pas là seulement pour prendre ou donner, ils co-construisent le projet avec nous. »

Audrey Gautier, cheffe de service des équipes éducatives du 19ᵉ arrondissement de l’APSAJ

Les lieux d’implantation ont leur importance, même si des contraintes administratives empêchent parfois le camion de s’installer sur des lieux stratégiques plus éloignés du territoire naturel de l’association. « On découvre souvent des dimensions et des dynamiques qui n’étaient pas prévues à l’avance. Nous avons par exemple découvert l’existence d’une action solidaire dans une église à proximité du jardin Luc-Hoffmann. Cela permet de mesurer la densité des interactions sur le territoire », explique Benjamin Grassineau, sociologue et chercheur en socio-économie.  

Un lieu animé… mais aussi un support de recherche

Le Boomerang est aussi un outil au service de la recherche. Ce qu’il révèle, ce qu’il suscite, ce qu’il crée parfois, vient alimenter une analyse approfondie des mécanismes de déclenchement de la solidarité dans un quartier. Là où s’installe le Boomerang, s’établissent des possibilités d’agir et d’interagir ou bien, au contraire, émergent des freins rendus visibles.

« C’est une démarche de développement endogène, c’est-à-dire de transformation sociale d’un territoire par et pour ceux qui en sont les acteurs. Nous souhaitons mettre en lumière ses leviers et ce qui y fait barrière. »

Benjamin Grassineau, sociologue et chercheur en socio-économie

Chaque sortie est observée et consignée dans un cahier de terrain. Particularité de ce dernier : il est interactif. Les chercheurs ont choisi de partager leurs comptes-rendus via un blog ouvert aux commentaires et contributions de tous les habitants intéressés – tel un fil rouge entre l’action et la recherche. Même si, comme le constate Benjamin Grassineau, « il est en réalité très difficile d’y faire participer les habitants ».

Ce travail de recherche n’est pas mené à côté du projet de terrain ; recherche et action sont bel et bien interconnectées. « Ce que l’on observe nous interroge dans notre posture d’intervenant social et dans notre relation aux jeunes. Celle-ci doit créer du développement individuel et susciter du pouvoir d’agir. En tant qu’éducateur, je veux pouvoir m’en nourrir. », explique l’éducateur Christophe Jibard. De la même manière, l’action de terrain fait émerger de nouveaux axes de recherche. « Le Boomerang est une expérience disruptive qui nous amène à réfléchir, confirme Benjamin Grassineau. Nous devons laisser cette capacité au projet de transformer le réel et de nous transformer aussi dans nos approches. »

L’équipe de recherche continue à explorer les impacts du Boomerang sur la création de lien social et livrera ses premiers résultats d’ici fin 2024. « C’est un travail de fond qui s’envisage dans un temps long », conclut Benjamin Grassineau. « Mais nous avons réussi à nous enraciner sur le territoire et c’est déjà une étape fondamentale ! »

 

 

 

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