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Par Fondation Nexity - Publié le 4 novembre 2020 - 09:29 - Mise à jour le 4 novembre 2020 - 09:29
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Françoise Brié : « Partout où les associations ne sont pas présentes et soutenues, les droits des femmes reculent »

Décrétée grande cause nationale par le Gouvernement en 2018, la lutte contre les violences faites aux femmes est aujourd’hui au cœur du débat public. Et pour cause : en France, en moyenne chaque année, ce sont plus de 210 000 femmes qui sont victimes de violences physiques et ou sexuelles de la part de leur conjoint*. L’apparition de la crise sanitaire et les trois mois de confinement n’ont pas arrangé les choses. La Fédération Solidarité Femmes, forte des 73 associations qui composent son réseau, s’est organisée depuis plus de 40 ans pour la prise en charge et l’accompagnement des femmes victimes de violences vers l’autonomie. Sa directrice, Françoise Brié, dresse un état des lieux de la lutte contre les violences faites aux femmes et des actions prioritaires à mettre en place.

« Partout où les associations ne sont pas présentes et soutenues, les droits des femmes reculent ». Interview de Françoise Brié, directrice générale de FNSF
« Partout où les associations ne sont pas présentes et soutenues, les droits des femmes reculent ». Interview de Françoise Brié, directrice générale de FNSF
  • Comment est née la Fédération Solidarité Femmes et à quelles fins ?

L’association est née d’un mouvement initié dans les années 1970 qui regroupait les associations à l’origine des premiers centres d’hébergement pour femmes victimes de violences conjugales. Les années 1970, c’est une période de lutte pour le droit à la contraception et pour la légalisation de l’avortement. Les violences conjugales, et plus généralement les violences à l’encontre des femmes, s’inscrivent dans un contexte d’inégalités très fortes, de domination, d’impossibilité pour les femmes de quitter le domicile entre autres pour des raisons économiques. À partir du moment où les femmes sont mariées, il existe un véritable contrôle de la société sur elles : elles doivent supporter les violences. Les militantes féministes se mobilisent alors pour permettre aux victimes de violences conjugales d’être hébergées et accompagnées vers l’autonomie.

En 1987 ces associations se réunissent et créent la Fédération Solidarité Femmes : la FNSF a impulsé les premières rencontres nationales sur les violences conjugales, réalisé un plaidoyer pour que soit ouverte la première ligne d’écoute nationale sur les violences conjugales, le 39 19. La Fédération s’est construite autour de cette plateforme d’écoute et s’est constituée grâce à un réseau fort des nombreuses associations qui la composent aujourd’hui.

  • Concrètement, aujourd’hui, comment s’organise l’action de la Fédération et la prise en charge des femmes victimes de violences ?

73 associations composent aujourd’hui la Fédération. Elles sont toutes spécialisées dans l’accueil et l’accompagnement des femmes victimes de violences. L’action de la FNSF s’organise autour de ligne d’écoute téléphonique, le 39 19. 90 % des appels recensés concernent des cas de violences conjugales. Après l’écoute, les conseils et l’information, nous orientons alors les femmes vers les dispositifs du réseau Solidarité Femmes et nos partenaires associatifs : par exemple, pour les victimes de viol, vers le Collectif Féministe Contre Le Viol ; pour le harcèlement sexuel au travail, vers l’AVFT et la FNCDIFF ; le GAMS pour les mutilations sexuelles féminines ; Voix de femmes pour les mariages forcées ; l’Amicale du Nid et le Mouvement du Nid pour la prostitution et d’autres partenaires très spécialisés sur toutes les formes de violences qui vont pouvoir accompagner ces femmes. En 2019, ce sont 30 000 femmes qui ont été accompagnées hors hébergement par notre réseau et 5 000 femmes et enfants qui sont suivis dans des centres d’hébergement spécifiques pour femmes victimes de violences.

La Fédération s’est construite autour de cette plateforme d’écoute et s’est constituée grâce à un réseau fort des nombreuses associations qui la composent aujourd’hui.

La FNSF s’est construite autour de la plateforme d’écoute du 39 19 et s’est constituée grâce à un réseau fort des nombreuses associations qui la composent aujourd’hui.

 

Les équipes qui accompagnent les femmes sont pluridisciplinaires : psychologues, assistantes sociales, éducatrices, conseillères en économie sociale et familiale, toutes les professions sanitaires et sociales sont représentées. Nous nous appuyons également sur les services de gendarmerie et les avocat·e·s pour le dépôt de plainte, la procédure juridique, les mesures d’éloignement, pour enfin sortir de la violence. Nous permettons également aux femmes de rencontrer d’autres femmes victimes de violences afin de leur faire prendre conscience qu’elles ne sont pas seules et échanger sur les stéréotypes sexistes. La FNSF mène aussi des actions pour les enfants co-victimes de violences conjugales (espaces enfants, ateliers collectifs…). Enfin, il est très important de permettre l’autonomie  et l’émancipation des femmes, à la fois sur le plan psychologique mais aussi sur le plan économique. C’est pourquoi nous travaillons également en partenariat avec les acteurs du logement.

 

Les équipes qui accompagnent les femmes sont pluridisciplinaires : psychologues, assistantes sociales, éducatrices, conseillères en économie sociale et familiale, toutes les professions sanitaires et sociales sont représentées.
Les équipes qui accompagnent les femmes sont pluridisciplinaires : psychologues, assistantes sociales, éducatrices, conseillères en économie sociale et familiale, toutes les professions sanitaires et sociales sont représentées.

 

  • Quels sont les impacts de la crise sanitaire sur le terrain  des violences faites aux femmes ?

À la suite du confinement, nous avons eu énormément d’appel au 39 19. L’Observatoire des violences conjugales de la FNSF a recensé une augmentation de 190 % d’appels entrants au premier semestre 2020. De nombreuses associations de notre réseau ont soutenu le numéro d’appel national en mettant à disposition leurs professionnelles. La sortie du confinement a aussi été très chargée. Beaucoup de femmes n’avaient pas mis des mots sur les violences qu’elles subissaient, mais là avec le confinement, enfermées avec leur agresseur, elles en ont pris conscience et ont décidé de demander de l’aide.

En revanche,  il y eu une forte déception des associations qui accompagnent les victimes de violences. Nous n’avons obtenu que quelques places d’hébergement sur les 1 000 annoncées par le Gouvernement. Nous n’avons pas été entendu sur la question du renforcement ou de l’ouverture d’espaces d’hébergements spécifiques (non mixtes). Pourtant, suite à la crise sanitaire, il a fallu renforcer nos capacités d’accueil et d’accompagnement : soutien technique, matériel, équipements et embauches pour pouvoir assurer le suivi de nombreuses femmes. Ce sont des fonds privés qui nous ont permis de maintenir nos activités et de faire face à la situation. Et puis cela continue. Avec le reconfinement, on ne sait pas ce qu’il va se passer dans les prochaines semaines. Les associations se préparent à faire face à une hausse des demandes de prise en charge.

  •  Plus de 40 ans après la création de la Fédération, quels constats dressez-vous concernant l’évolution de la lutte contre les violences faites aux femmes ?

On a bien entendu avancé sur le plan législatif. Plusieurs lois ont été validées et votées en France depuis les années 1990. A l’échelle internationale, la Convention du Conseil de l'Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique de 2011, a depuis été ratifiée par 34 pays. Plus récemment, le fait de reconnaître en France la question des violences faites aux femmes en tant que question politique centrale, en la décrétant grande cause nationale, est un point positif. Il y a également eu le Grenelle des violences conjugales qui a permis à de nombreux professionnels et d’institutions de se rencontrer et d’essayer d’apporter des améliorations. Des liens plus rapprochés avec les services de police et de gendarmerie ont été établis, notamment avec la création de la grille d’évaluation du danger. La mobilisation des différents acteurs a permis de faire baisser le nombre de féminicides pendant le confinement. Mais il faut rester très vigilant. 

Les violences faites aux femmes ne reculeront que dans une société plus égalitaire ; une société qui reconnaitra le droit des femmes à l’autonomie, à l’émancipation, à l’égalité salariale. Sur cette question de l’égalité, et sur les questions des stéréotypes sexistes, il y a encore des évolutions à apporter. On voit bien chez les jeunes que la question de l’égalité femme-homme n’est pas du tout évidente, encore aujourd’hui. Il suffit de regarder l’absence des femmes dans les livres d’Histoire, sur les noms des rues, les jouets genrés, les articles dans les médias, la façon dont sont présentées les femmes… Les violences restent très présentes. Le sexisme ambiant, en tant que construction sociale, reste prégnant dans notre société. La question des moyens financiers pour les associations de défense des droits des femmes est donc essentielle, pour être aux côtés des femmes dans l’accompagnement, pour conscientiser et construire des réseaux engagés vers plus d’égalité.

  • Quelles sont, selon vous, les actions prioritaires à mettre en place aujourd'hui pour lutter efficacement contre les violences faites aux femmes ?

Nous demandons la création de tribunaux spécialisés au niveau pénal et civil pour avoir des magistrat·e·s formé·e·s, expérimenté·e·s, qui soient référent·e·s sur les violences faites aux femmes. Au civil, il faut avoir des juges aux affaires familiales  qui soient spécifiquement désigné·e·s pour prononcer les ordonnances de protection. Il faut pouvoir limiter, voire suspendre les droits de visite et d’hébergement pour les auteurs de violences. On continue à considérer qu’un mari violent peut exercer des droits parentaux, même s’il a exercé des violences graves sur sa conjointe ou sur ses propres enfants. On en revient à la question du patriarcat et de la domination de l’homme sur la famille. Alors que l’on sait très bien qu’un certain nombre d’auteurs de violences n’accepte pas les séparations. Certains vont même jusqu’à tuer leur conjointe ou ex-conjointe, et à utiliser les enfants contre leur conjointe. Un mari violent est un homme dangereux pour la femme mais aussi pour les enfants après la séparation. C’est une question de sécurité majeure.

Il y a aussi besoin de généraliser la formation de base sur le repérage et l’orientation des victimes. Un·e agent·e d’accueil au 115 doit par exemple pouvoir repérer une femme victime de violence et l’orienter vers un·e référent·e de police ou de gendarmerie et vers des professionnelles de notre réseau. Il s’agit d’organiser la réponse entre le repérage puis le suivi : tout le monde ne peut pas tout connaitre et tout prendre en charge. Il faut réfléchir à comment articuler les interventions. Une équipe spécialisée aura la formation et les ressources pour permettre aux femmes de sortir le plus vite possible de la violence. Enfin, il est important de mettre des moyens dans la prévention auprès des jeunes pour déconstruire les stéréotypes de genre.

 

Les financements manquent cruellement pour toutes les associations d’accompagnement des victimes de violences conjugales.
Les financements manquent cruellement pour toutes les associations d’accompagnement des victimes de violences conjugales.

 

  • Quel rôle peuvent jouer le secteur privé et les fondations dans la lutte contre les violences faites aux femmes ? 
*Chiffres

210 000 femmes sont victimes de violences chaque année en France.

Source : arretonslesviolences.gouv.fr  

Moyennes obtenues à partir des résultats des enquêtes de 2012 à 2019 : « Cadre de vie et sécurité » 2012-2019 - INSEE-ONDRP-SSMSI.

Toutes les actions du réseau Solidarité Femmes nécessitent des financements. Le budget alloué par le ministère des Droits des femmes reste aujourd’hui très faible. Les financements manquent cruellement pour toutes les associations d’accompagnement des victimes de violences conjugales. Et quand les associations sont dans une situation de précarité économique, il leur est difficile d’apporter le soutien nécessaire aux femmes victimes de violences. Nous avons besoin plus que jamais du soutien des fondations et des fonds privés. Nous travaillons beaucoup avec le privé, notamment avec les services des ressources humaines, sur la question du repérage des victimes dans le monde de l’entreprise. Nous ne pourrons poursuivre et développer les actions de la Fondation que grâce aux soutiens des fondations comme la Fondation Nexity. Regardons autour de nous : partout en Europe, si les associations ne sont pas présentes et soutenues, les droits des femmes reculent.

 

 

 

 

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