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Par Fondation des solidarités urbaines - Publié le 14 avril 2022 - 18:51 - Mise à jour le 14 avril 2022 - 18:52
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Pour Martin Locret-Collet, chercheur en urbanisme et politiques publiques, la recherche-action fait « émerger des leviers d’action »

Caracol donne une utilité sociale aux logements vacants d’Ile-de-France en y installant des colocations temporaires entre des personnes réfugiées et des personnes locales. L’association mène, avec le soutien de la Fondation Paris Habitat, une recherche-action pour fédérer toutes ses colocations en un réseau solidaire appelé Rhizome. Martin Locret-Collet, chercheur en urbanisme et politiques publiques, explique les enjeux et spécificités de la démarche.

 

En quoi consistent les colocations solidaires de Caracol et le projet de réseau mis en place par l’association ?

 

Caracol organise des colocations temporaires entre réfugiés statutaires et personnes locales, au sein de logements ou de bâtiments vacants. Partager le même toit crée de fait un réseau de sociabilité à même de faciliter l’insertion et l’évolution vers une vie autonome. L’association souhaite aujourd’hui créer un réseau solidaire entre ses différentes colocations, une communauté active qu’elle nomme le « Rhizome ». Pour le structurer, nous avons choisi d’étudier de près la colocation de la rue Jean-Jacques Rousseau dans le 1er arrondissement. Installés en septembre 2020 quelques semaines avant le confinement, les colocataires ont vécu ensemble jusqu’en octobre 2021. De par sa configuration avec des studios individuels, la colocation Rousseau présentait une particularité : les colocataires n’avaient pas à se croiser ni à interagir ensemble, ni même avec Caracol s’ils ne le désiraient pas. Hormis le partage d’espaces communs, les interactions relevaient donc d’une intentionnalité, d’une démarche active, ce qui était une première. En cela, Rousseau était une forme de « mini réseau Caracol » au sein d’un seul bâtiment. Et nous savions par ailleurs que certains colocataires avaient tissé des liens avec d’autres colocations fonctionnant sur des modèles différents. Nous avons donc cherché à comprendre comment, et quelles avaient été les forces ou les limites de ces échanges.

 

Le Rhizome est un projet mené en recherche-action, de quelle manière se construit cette méthode de travail ?  

Il faut une méthode extrêmement cadrée, pour ensuite pouvoir sortir du cadre. On lance la recherche avec des éléments précis mais on ne prédétermine pas à l’avance ce que l’on cherche à comprendre. On va donc plus loin que la mesure d’impact.

Dans le cas de Caracol, dont la dimension sociale est très forte, la méthode est essentielle puisque le travail de recherche nous conduit à interagir avec des hommes et des femmes qui sont, qui plus est, en situation de fragilité. Il s’agit de comprendre le sens profond de l’action menée par l’association. Que se passe-t-il vraiment à l’intérieur d’une colocation solidaire ? Quelles sont les interactions que l’on provoque ? Pourquoi une dynamique fonctionne ou bien ne fonctionne pas ? Cette méthode de recherche-action est également structurante pour l’association. Elle instaure un système de rationalisation nécessaire de l’information.

 

Quels ont été les indicateurs choisis ?  

Pour le Rhizome, nous avons choisi de ne pas travailler avec des indicateurs fixes mais plutôt des domaines d’analyse qui nous intéressaient particulièrement.

Le premier est la question des vulnérabilités. De quelles vulnérabilités parle-t-on et par quoi sont-elles provoquées ? Quand on parle de colocation solidaire, on parle de personnes réfugiées, supposées fragiles, et de personnes locales, supposées bien intégrées. Mais est-ce la réalité ? Second domaine, la sociabilité. Une colocation est aussi une dynamique sociale qui va créer une prise de repères, de confiance en soi et d’autonomie. Troisième point, l’impact de l’occupation temporaire d’habitats vacants sur l’accès au logement dans une ville comme Paris. Il sera intéressant d’étudier les changements de dynamique au sein de l’immeuble, au sein du quartier, à l’échelle de la ville voire de la région. D’autant qu’en plein milieu du projet nous est arrivé un événement inattendu : la pandémie.

 

Le Rhizome solidaire : créateur de liens, révélateur de communs
Le Rhizome solidaire : créateur de liens, révélateur de communs

 

Quelles ont été les premières étapes du projet ?

Nous avons d’abord mené des entretiens individuels avec tous les colocataires de la rue Jean-Jacques Rousseau. Le bâtiment était assez remarquable de par sa taille, son emplacement en plein cœur de Paris, sa disposition en studios avec espaces partagés, la présence de voisins. Nous voulions avoir le plus d’informations nécessaires et à tous les niveaux. Nous avons donc opté pour un entretien semi-dirigé afin de laisser la place au narratif. Parmi les questions ouvertes, nous avons abordé le parcours de la personne, le confinement, l’organisation entre espaces privés et espaces communs, mais aussi la communication. Il était important de comprendre comment l’information circule, en vue de la structuration de notre réseau Rhizome. Le questionnaire va d’ailleurs servir de méthodologie et de grille de lecture pour tous les projets Caracol.

 

Le projet est à mi-parcours, qu’avez-vous pu observer ?

La préconception que l’on peut avoir des formes de vulnérabilité a été dynamitée. Les personnes réfugiées en parcours d’intégration que l’on pense fragilisées ne le sont pas nécessairement. Simplement ces personnes sortent pour beaucoup de centres d’accueil et ont besoin d’accompagnement pour stabiliser leur situation, apprendre le français, trouver un travail. Elles ont toutes apprécié l’intimité retrouvée grâce au studio.

Autre enseignement : les personnes réfugiées en parcours d’intégration ne sont pas isolées. Elles ont déjà un réseau de sociabilité. À l’inverse, les personnes locales peuvent connaître un isolement social, soit par rupture familiale, soit en raison d’un accident de la vie. Leur parcours est parfois compliqué. Elles peuvent manquer de repères et être en recherche d’une nouvelle dynamique.

Les entretiens ont également contredit les idées reçues sur la colocation multiculturelle. Les différences de religion, de culture, d’opinions ne posent de problème à personne. En revanche, comment s’adresser à l’autre, comment se comporter, dans la colocation ou en dehors, ont été des sujets de conversation et d’interactions. Pour les personnes locales qui étaient en reconversion, en création d’activité ou dans un entre-deux de leur vie, échanger avec des personnes venues d’horizons totalement différents les a aidées à mieux se positionner.

Deux facteurs de cohésion entre colocataires ont fait l’unanimité : la danse et la cuisine. Quand la cuisine a dû fermer pendant le confinement, cela a d’ailleurs été très compliqué !

 

Quelle va être l’incidence de la recherche sur la suite du projet ?

L’un des buts affichés dès le départ dans le partenariat avec la Fondation Paris Habitat était de doter l’association d’outils. Nous allons structurer l’ensemble des informations disponibles en une base de données solide, à même de mieux cibler l’action.

Nous allons également établir une typologie des colocations Caracol, de la plus autonome à la plus accompagnée. Cela sera très utile au moment de monter les projets et de décider de l’usage des bâtiments. Caracol pourra affiner le placement des personnes en fonction de leur besoin d’accompagnement.

La recherche-action alimentera aussi la réflexion autour de la dimension temporaire des colocations. Car il ne faut pas que l’aspect transitoire crée une nouvelle vulnérabilité au moment où cela se termine. Caracol a un travail à mener pour accompagner ses colocataires, au-delà des personnes réfugiées dont l’accompagnement social global est rendu possible grâce au financement de la DIAIR et DIHAL*, et déterminer à quel moment ils sont prêts à mener leur vie en autonomie.

 

En tant que chercheur, c’est important que la Fondation Paris Habitat vous donne les moyens de mener cette recherche-action ?

C’est ma conception de ce que doit être la recherche dans le champ anthropologique et social. La finalité d’un travail en immersion doit être de faire émerger des leviers d’action. Il faut pouvoir comprendre les mécanismes, les dynamiques, mais aussi apporter des solutions. Et c’est la démarche de la Fondation Paris Habitat, qui nous a fait confiance pour mener ce travail essentiel, concret, qui a vocation à être partagé avec l’écosystème de l’économie sociale et solidaire.

 

 

* DIAIR : Délégation interministérielle à l'accueil et à l'intégration des réfugiés DIHAL : Délégation interministérielle à l’hébergement et à l’accès au logement

 

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