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Par Carenews PRO - Publié le 21 novembre 2014 - 09:15 - Mise à jour le 11 février 2015 - 13:55
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[REPORTAGE] Les Afghans qui rêvaient de montagnes

En cette semaine de l’Afghanistan, Carenews a choisi de vous raconter aujourd’hui l’épopée extraordinaire d’un groupe d’Afghans qui, oubliant le conflit qui ronge leur pays, ont entrepris il y a quelques années l’ascension de l’un des sommets légendaires de l'Asie Centrale.

[REPORTAGE] Les Afghans qui rêvaient de montagnes
[REPORTAGE] Les Afghans qui rêvaient de montagnes

"Il y a un chemin vers chaque sommet. Même le plus haut" Dit un vieux proverbe afghan. Et le plus haut sommet en question domine un pays ravagé par plus de trente années de guerre. Il s'appelle Noshaq et culmine à 7492 mètres d'altitudes. "De là-haut, si le temps est clair, on peut voir Dieu" Nous dit Hameed, un jeune alpiniste afghan. "Je rêve d'y grimper un jour. Mais il faut que je trouve l'argent, ou que je rejoigne une expédition. Ces temps-ci, il n'y en a pas trop, et j'ai bien peur qu'il y en ait de moins en moins."

Le Noshaq est le point culminant de l’Afghanistan. Son nom est prononcé « Nowchar » par les Afghans (ce qui signifie « neuf vallées » en Dari). Il est situé sur la frontière afghano-pakistanaise, dans le massif de l’Hindou Koush, au nord-est du pays, près de l’entrée du corridor du Wakhan. Invisible depuis le corridor du Wakhan, le Noshaq se cache au fond d’une large vallée. Si les sommets de 6.000 m qui l’entourent sont raides, aériens et élégants, le Noshaq écrase tout de son incroyable masse. Son versant sud est une immense face glaciaire inclinée à 40 ° ; son versant ouest un infâme océan de roche douteuse. Entre les deux, l’arête ouest s’élève sur des kilomètres et près de 3.000 m de dénivelé. Si des dizaines d’himalayistes ont réussi l’ascension de 1960 à nos jours, aucun Afghan n’avait réussi à en atteindre le sommet. Jusqu’à ce jour de 2009.

Ils s'appellent Malang, dit "Le Philosophe", ancien soldat aujourd'hui défenseur de la paix, Afiat Khan "Le Seigneur", père de cinq enfants qui voulait être guide de haute montagne mais dont, comme tant d'autres, la guerre a changé le destin, Gurg Ali, qui ensigne à l'école de son village entre deux treks, et enfin Amruddin, le plus jeune, pirate dans l'âme, à qui rien ne fait peur. Tous partagent le même rêve : devenir les premiers Afghans à vaincre le Noshaq.

Il y a aussi les Français, Louis, Jérôme, Nicolas, Jean et Simon, tous alpinistes chevronnés qui, dans le cadre de leur association "Les Afghans au Sommet", ont monté cette expédition un peu folle qui, en ce petit matin frais du 13 juillet 2009, s'apprêtent à défier le Noshaq. « Tout a commencé autour d’une tasse de thé, racontent les membres de l'expédition dans leur journal de voyage. Malang a dit : « Et si on montait au Noshaq ? »

Le temps a passé, le projet a pris forme. Laissons parler le journal de voyage des alpinistes : « En ce jour de juillet, nous sommes à la veille du départ. Nous avons rejoint Afiat Khan, Gurg Ali, Amrudin et Malang à Iskashim il y a trois jours. Les Tigres du Wakhan – comme ils se sont eux-mêmes surnommés – sont en pleine forme et prêts à se lancer à l’assaut des 7.492 mètres du Noshaq, la plus haute montagne de leur pays. Ces derniers jours ont été employés à compléter les achats de vivres, remplir les nombreuses formalités administratives, rencontrer les autorités locales, et préparer les charges des 80 porteurs qui nous accompagneront jusqu’au camp de base. Jean et Simon, nos deux guides de Chamonix nous rejoignent demain par la frontière tadjike. Nous serons alors au complet et prêts pour l’ascension. »

Le temps est nuageux. La météo s’annonce difficile, avec de la neige dès 4.000 mètres, situation peu habituelle à cette saison selon les anciens. Mais l'expédition est déterminée à réussir - et bien équipée, ce qui est fondamental dans ce genre d’aventures. Dix jours plus tard, ils rejoignent le camp de base, à 4660 mètres d'altitude. Là-haut, le ciel est clair. Le Noshaq les nargue du haut de sa grandeur immaculée.

L’équipe fait alors route vers le camp 3 à plus de 6900 mètres d’altitude. Elle a pris deux jours de repos avant d’entamer cette nouvelle étape primordiale, de façon à s'acclimater à ces hautes altitudes. Certains Afghans se plaignent de violents maux de tête et de vertiges. À cette hauteur, le corps ne réagit plus de la même façon. Afiat Khan le père de famille et Gurg Ali le professeur sont au plus mal. Alors l’on décide de nouvelles périodes d’acclimatation, l’on se repose, mais rien n’y fait. Les deux malheureux alpinistes décident de rester au camp 3, tandis que les autres partent pour la dernière ligne droite, vers le sommet du Noshaq.

Nous sommes le 26 Juillet, treize jours après le début de l'expédition. Malang et Amruddin sont les seuls a tenter l'ultime ascension. Le plus vieux et le plus jeune, pour la belle histoire.

L'ascension est difficile, mais, passé la matinée, le temps s'éclaircit. Là-haut, les nuages ne sont plus qu'un tapis moëlleux qui s'étire au-dessus des vallées. L'air est piquant, le soleil vif. Et en début d'après-midi, à 14h30 exactement, les derniers mètres qui les séparent du sommet sont franchis. Sortant de leur sac à dos un drapeau afghan, et le font flotter sur l'un des toits du monde. Victoire.

« Concrétisant les attentes de leurs concitoyens, les deux alpinistes ont bravé le froid et le vent du Noshaq pour y planter le drapeau national, racontent les alpinistes français dans leur journal. C’est un beau message d’espoir pour l’Afghanistan, porté par ces deux jeunes qui se définissent comme Afghans et non comme Tajiks ou Wakhis (deux ethnies afghanes), au-delà des différences ethniques et régionales qui divisent leur pays. »

Au-delà de l’insurrection qui le ronge, aussi… Là-haut, sur le Noshaq, dans le domaine des dieux, la guerre n’existe plus.

De retour en bas, Malang, Amruddin et les autres sont fêtés comme des héros. La fête se prolonge à Kaboul. Le pays exulte d'un sentiment souvent oublié dans les contreforts de l'Hindo Koush: la fierté...

Quelques semaines plus tard les premières élections libres sont organisées en Afghanistan. C'est un échec, au vu des fraudes et des actes terroristes qui ont émaillé le processus électoral. La guerre reprend de plus belle, faisant des milliers de morts. Les différences ethniques se creusent. Les années passent et la situation empire. En 2014, le retrait des troupes commence.

Dans quelques mois, le pays sera livré à lui-même avec le risque de voir revenir les Talibans et les seigneurs de guerre. Que restera-t-il alors de cette héroïque expédition?

«  De l'espoir, selon le jeune Hameed. J'espère que mon pays s'en sortira. J'espère que je m'en sortirai. Et j'espère moi aussi avoir un jour la chance de monter là-haut. »

Quelques mois après que nous l'ayons rencontré, à Kaboul, Hameed a été incorporé dans l'Armée Nationale Afghane. Comme les autres, il mangera son pain noir. Et connaîtra les heures difficiles, avec peut-être au bout a concrétisation de son rêve. Peut-être Hameed pourra-t-il lui aussi monter aux camps sur les montagnes, gravir les falaises glacées et, au bout, sur le toit du Noshaq, dialoguer lui aussi avec Dieu. Peut-être...

 

Pour plus d’informations sur l’Afghanistan, découvrez l'association Afrane sur Carenews. 

Là où bat le cœur du monde, découvrez les reportages d’Alexandre Brecher

Co-fondateur de Carenews, Alexandre Brecher est un infatigable voyageur. Après avoir travaillé en France en tant que journaliste, il s’engage pour la mission des Nations Unies en Afghanistan. Depuis, il parcourt ces zones de conflit où l’histoire s’écrit à toute vitesse, comme le Libéria, la Côte d’Ivoire, l’Afrique du Nord, le Mali, la Centrafrique et l’Irak. Aujourd’hui basé à Yaoundé, au Cameroun, il présente sur Carenews ses reportages, récit des petites histoires qui font la grande, portraits d’une monde en perpétuel changement qu’il ne cesse d’explorer, fidèle à sa devise : « Les hommes pensent qu’il font des voyages, en fait ce sont les voyages qui nous font – ou nous défont. »

 

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