Droits des personnes handicapées : où en est-on ?
Déconjugalisation de l’allocation aux adultes handicapés, création d’une cinquième branche de la sécurité sociale, examen de la France par le comité des personnes handicapées des Nations unies… État des lieux des droits des handicapés en France.
Le 9 mars dernier, le Sénat a voté en faveur de la déconjugalisation de l’allocation aux adultes handicapés (AAH), en d’autres termes, elles souhaitent qu'elle ne dépende plus du revenu du conjoint. Une avancée très attendue comme en témoigne Patrice Tripoteau, directeur général adjoint de APF France Handicap, une association qui défend les droits des personnes handicapées : « Cela fait des années que nous portons cette revendication », avant de nous expliquer :
Selon les procédures parlementaires, la proposition de loi va devoir repasser à l’Assemblée nationale. Ce n’est pas certain qu’elle soit mise à l’ordre du jour rapidement car nous avons à faire à un embouteillage du calendrier des parlementaires. Par ailleurs, si elle passe en débat, il est possible que l’Assemblée nationale rejette cette disposition.
L'allocation handicap n’est pas un minima social comme les autres
Pour comprendre les enjeux de cette proposition de loi, il est important de revenir sur les conditions d’attribution de cette allocation. Son montant est calculé en fonction des ressources de la personne, « mais aussi de son conjoint, son concubin ou de la personne avec qui elle est pacsée », nous précise le directeur général adjoint avant de résumer : « Elle prend donc en compte l’ensemble des ressources du foyer. » D’un plafond maximum de 902,70 euros, l’allocataire la perd si le conjoint gagne plus de 2 200 euros par mois. C’est pourquoi les associations revendiquent donc une déconjugalisation de cette allocation.
- 13 février 2020 : l’Assemblée nationale adopte la proposition de loi concernant la suppression de la prise en compte des revenus du conjoint.
- 10 septembre 2020 : lancement d’une pétition sur le site du Sénat demandant la désolidarisation de l’AAH. Au 10 mars, elle recueillait 108 627 signatures.
- 3 mars 2021 : la commission des affaires sociales du Sénat confirme la déconjugalisation de l’AAH.
- 9 mars 2021 : le Sénat vote pour la désolidarisation de l’AAH.
- Prochainement : le projet de loi doit repasser devant l’Assemblée nationale.
Le gouvernement semble défavorable à cette doléance et s’appuie notamment sur la primauté de la solidarité familiale. L’APF France Handicap, membre du Collectif Handicaps qui rassemble les 50 associations de personnes en situation de handicap les plus importantes en France, conteste cet argument : « Nous, nous disons que c’est la solidarité nationale qui prime. L’AAH n’est pas un minima social comme les autres puisque ce sont des personnes à qui il est reconnu une incapacité durable et substantielle de travailler. C’est comme si on calculait vos droits de santé en fonction des ressources de votre conjoint. »
Patrice Tripoteau constate cependant que ce sujet est devenu un débat public qui a eu un écho dans la société : « On voit bien que le sujet évolue. Nous pensons d’ailleurs qu’il pourrait devenir un sujet pour les présidentielles de 2022. » La preuve en est, l’abandon du projet de « fusion-absorption » de l’AHH dans le Revenu universel d’activité (RUA). Initialement, ce projet prévoyait d’intégrer l’AAH dans le RUA, dont l’objectif est de rassembler neuf minimas sociaux en un revenu (dont le RSA, l’AAH, les APL, la prime d’activité et l’Aspa). Les associations étaient contre l’assimilation de l’AAH à ce dispositif. C’est pourquoi Emmanuel Macron a annoncé, lors de la Conférence nationale sur le handicap qui a eu lieu le 11 février 2020, qu’il excluait l’AAH du RUA.
L’autonomie : cinquième branche de la Sécurité sociale
Autre avancée : la création d’une cinquième branche « autonomie » de la Sécurité sociale, venant alors s’ajouter à celles de la maladie, la famille, les accidents du travail et de la retraite. Elle intervient dans le cadre de la loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) du 14 décembre 2020, adoptée le 30 novembre 2020 et entrée en vigueur le 1er janvier 2021.
Alors qu’auparavant, les prestations des personnes handicapées, aussi bien pour des aides humaines ou techniques, été gérées par différentes institutions (certaines par les départements, d’autres par l’État ou encore la Sécurité sociale), cette loi « permet d'asseoir un droit de sécurité sociale qui est un droit plus renforcé que l’aide sociale ou l’action sociale », précise Patrice Tripoteau. Autrement dit, elle reconnaît un nouveau droit de sécurité sociale lié à l’autonomie.
Le directeur général adjoint alerte cependant sur une mise en place trop lente : « Il faudra peut-être dix ans pour construire cette branche autonomie. » Un processus complexifié par des retards concernant le projet de loi « Grand âge et autonomie » qui doit venir compléter le financement de la loi PLFSS : « Ce projet de loi, qui est censé être reporté à 2022, aurait dû préciser un certain nombre de choses concernant la construction de cette branche autonomie. »
Quels sont les chiffres clés du handicap ?
Des mesures « qui vont dans le bon sens » mais qui, selon Patrice Tripoteau « n’engagent, parfois, pas beaucoup ». « Notre association fait face à la situation des personnes en situation de handicap. Ce qu’elles expriment, c’est la difficulté à vivre au quotidien car elles n’ont pas suffisamment de ressources et se retrouvent en situation de pauvreté. » Autre réalité : l’accessibilité limitée des lieux publics : « Actuellement, des personnes ont, par exemple, des difficultés à accéder à des centres de vaccinations », témoigne-t-il avant d’illustrer ce constat :
On pourra toujours dire qu’il y a deux ans, il y en avait dix et que ça a doublé, mais je pense que vous vous sentiriez discriminé et exclu. C’est le ressenti de ces personnes. C’est une population qui est invisible et il existe un déséquilibre entre l’expression des personnes et les réponses mises en place.
« La France bafoue le droit des personnes handicapées en France »
Pour l’APF France Handicap, « la France bafoue le droit des personnes en situation de handicap ». C’est d’ailleurs dans ce sens qu’elle a déposé, avec d’autres associations, une réclamation collective contre l’État français devant le Conseil de l’Europe en 2018. En parallèle de cette initiative, l’État est également en attente d’être évalué par le Comité international pour la protection des droits de l’homme (CIPDH) des Nations unies concernant la mise en œuvre de la Convention relative aux droits des personnes handicapées.
Une convention qu’elle a signée et qui l’engage à « garantir et promouvoir le plein exercice de tous les droits de l’homme et de toutes les libertés fondamentales de toutes les personnes handicapées sans discrimination d’aucune sorte fondée sur le handicap. » Un rapport a été publié par le Défenseur des droits et le comité de l’ONU devait se réunir les 16 et 17 mars 2021, mais, contexte sanitaire oblige, il a été reporté à la rentrée prochaine.
Lisa Domergue