Yan Thoinet (Impact for Animal) : « Notre objectif est de concilier économie et condition animale »
Impact for Animal est un réseau bénévole d’échange et de soutien entre associations et entreprises œuvrant, de près ou de loin, pour la cause animale. Depuis deux ans, Yan Thoinet met son expérience professionnelle au service cette communauté. Entretien.
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Comment est né i4A, Impact for Animal ?
C’est à l’édition de 2015 des Estivales de la question animale (université d’été ayant lieu chaque été depuis 2002, NDLR), en immersion totale pendant dix jours, que j’ai découvert la réalité, ou plutôt l’horreur, qui se cachait derrière l’utilisation des animaux. Je me suis dit que ce n’était pas possible, que nous n’avions pas le droit !
J’y ai rencontré beaucoup de membres du secteur associatif, qui pour certains, et malgré toute leur bonne volonté pour faire évoluer les choses, rêvaient un peu sur la façon de procéder... Je me suis alors demandé si mon expérience professionnelle, plutôt centrée sur l’économie et l’entrepreneuriat, pouvait les aider. Au début, j’envisageais de créer des fiches pratiques thématiques pour passer de l’idée à une activité dont ils pourraient vivre, un peu comme le font les CCI (chambres de commerces et d’industrie). Finalement, je me suis investi dans la création d’un réseau d’échange et de soutien pour des projets associatifs et entrepreneuriaux autour de l’animal, i4A.
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D’où vient votre intérêt pour la cause animale ?
Je me suis toujours occupé d’animaux, mais principalement d’animaux domestiques. Je me doutais bien que pour pouvoir manger les animaux, il fallait les abattre, mais je n’avais pas pas pris conscience de leurs conditions de vie et de mort déplorables. Les références qui ont vraiment tout changé pour moi sont Brigitte Gothière et Sébastien Arsac, les cofondateurs de L214. C’est cette association qui m’a incité à pousser ma réflexion et participer à des manifestations comme les Estivales de la question animale.
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Comment a été accueilli ce nouveau projet ?
Au début, en 2018, il y avait une certaine défiance de la part du secteur associatif. Nous étions vus comme des « ovnis ». Les gens se demandaient ce que l’entrepreneuriat pouvait apporter à la condition animale. Concilier économie et condition animale, contrairement à d’autres pays, n’est pas une vision coutumière en France. Nous étions trop souvent associés à ce monde économique, aux motivations financières... Comme je l’ai toujours dit, chez i4A, on n’est pas fâchés avec les mots militantisme et économie. Notre objectif est de concilier économie et condition animale.
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Comment fonctionne i4A ? Peut-on parler d’un incubateur, d’un accélérateur ?
i4A est à la fois un incubateur et un accélérateur, selon le stade de maturité des projets qui y entrent. Mais c’est avant tout un collectif de personnes bienveillantes, issues du monde associatif et entrepreneurial, mais aussi journalistique, juridique et même politique, qui ont à cœur de faire évoluer la place de l’animal dans la société. La bienveillance est de mise, puisque nous avons une multitude de projets très différents, qui vont de l’approche dite welfariste (promouvant l’amélioration du bien-être animal, NDLR) à des projets plutôt abolitionnistes. Tous les projets i4A ne font pas l’unanimité, même s’ils contribuent tous à une amélioration des conditions de vie des animaux. Par exemple, un projet sur les poules pondeuses comme Poulehouse peut susciter des débats. Certaines personnes préfèreront accompagner des projets n’ayant recours à aucune forme d’exploitation animale, comme le cuir végétal ou la viande de culture.
Nous comptons aujourd’hui plus de 230 membres, associations et startups, qui ont intégré le groupe par cooptation. Chacun accompagne, selon ses disponibilités et compétences, des porteurs de projets qui impactent positivement le monde animal. Cela passe par de la visibilité, du réseau, de la mise en relation avec des partenaires ou clients potentiels, du financement et de l’accompagnement autour du modèle économique... et beaucoup d’encouragements ! Pour donner un exemple d’entraide, Terpta, association œuvrant pour l’accueil des animaux de compagnie de nos séniors dans les Ehpad, était en recherche d’un parrain et d’une marraine. Une personne d‘i4A, proche de la Fondation Brigitte Bardot, a pu mettre Terpta en relation avec Brigitte Bardot et Henry-Jean Servat, qui sont devenus marraine et parrain de cette association.
L’aspect principal sur lequel nous pouvons apporter une aide est celui de la maturation des projets. Quel que soit le projet, les mêmes problématiques reviennent : trouver un modèle économique qui permette de vivre, se faire connaître, présenter son projet à des associés, clients, partenaires, investisseurs... Nous organisons aussi des ateliers à Paris, qui permettent de monter en compétences sur ces différents sujets. Ils ont lieu une à deux fois par an. Une vingtaine de startups suivies par i4A ont déjà pu en bénéficier gracieusement.
Témoignage de Thibaut Dancette, co-fondateur d’Eleplant et membre d’i4A
« C’était un vrai pari de réunir les associations et les entreprises. Il y avait un peu de défiance au départ, ou de crainte, entre ces deux milieux très différents. On s’aperçoit en fait qu’il y a de vraies passerelles entre les deux. Les associations sont généralement là pour informer, faire du travail de sensibilisation, tandis que les entreprises sont là pour mettre en place des alternatives. Les deux forment un prisme complet. On a un vrai point commun : la cause animale, l’impact positif sur la biodiversité. C’est le seul point commun qu’on ait entre nous, d’ailleurs, parce que politiquement on est tous très différents. C’est même assez surprenant ! Ce que Yan a réussi à faire n’était pas gagné d’avance. »
Témoignage de Christophe Hurbin, fondateur de myLabel et membre d’i4A
« Présenter son projet à la communauté i4A, c’est récolter énormément de feedback et de conseils. J’ai également eu la chance de suivre une formation à la levée de fonds organisée par Yan. Le collectif permet une forme de mécénat de compétence, c’est très riche. »
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Existe-t-il d’autres initiatives de ce type à l’international ?
Oui, aux États-Unis par exemple, mais qui sont davantage centrées sur les animaux domestiques. Même si le travail de ces acteurs est remarquable, notamment contre les abandons ou encore pour une meilleure inclusion de nos compagnons dans les villes, il nous a semblé inconcevable de ne pas traiter également l’enjeu des animaux d'élevage, qui sont bien plus nombreux à souffrir, ou encore de la faune sauvage que nous détruisons à grande échelle.
Tout ce qui touche à l’alimentaire est très important si nous voulons réduire la souffrance animale. De la même façon qu’il y a une transition énergétique, il nous faut une transition alimentaire. Les alternatives végétales et l’agriculture cellulaire sont des secteurs que nous surveillons de près. Ces sujets sont aussi repris par des gros acteurs du monde économique. C’est très encourageant ! On voit par exemple les plus gros producteurs de viande investir dans ces types de projets, ce qui est un signal assez fort que les choses peuvent changer. Le domaine des alternatives à l’expérimentation animale nous intéresse aussi beaucoup. Des technologies de substitution existent, par exemple des puces permettant de tester la toxicité de certaines molécules sans avoir recours à des modèles animaux. Le sexage in ovo est également un secteur prometteur. Rien qu’en France, cette technologie (qui permet de déterminer le sexe du poussin avant éclosion, NDLR) permettrait d’éviter des souffrances inutiles à plus de 50 millions de poussins mâles chaque année, aujourd’hui broyés vivants quelques heures après leur naissance parce qu’ils ne pondront pas d’œufs. i4A suit également tout ce qui est alternatives végétales au cuir animal, à base de champignons, de cactus ou encore d’ananas.
De la même façon qu’il y a une transition énergétique, il nous faut une transition alimentaire. Les alternatives végétales et l’agriculture cellulaire sont des secteurs que nous surveillons de près.
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Quel bilan faites-vous d’i4A, après deux ans d’existence ?
Aujourd’hui, il est plus facile pour moi de parler de ces questions que ça ne l’était avant, lorsque j’essayais de sensibiliser mes collègues et qu’on me répondait « Oui Yan, toi et tes animaux… ». Maintenant, ils le voient d’un autre œil et se disent qu’effectivement, ce n’est pas faire acte de sensiblerie que de se pencher sur ces questions-là.
Impact for Animal a réussi quelque chose de sympathique : mettre en relation des gens qui devaient se parler, commencer à construire un écosystème, aider à la maturation de quelques projets. Mais nous pourrions aller plus vite, plus loin et le faire plus efficacement. Comme tout dispositif de bénévoles, le travail repose toujours un peu sur les mêmes épaules... Je pense qu’il est temps de « passer la deuxième ». Ce sera l’objet d’une rencontre i4A prochainement.
Propos recueillis par Axelle Playoust-Braure