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Par Carenews PRO - Publié le 7 janvier 2021 - 08:00 - Mise à jour le 12 janvier 2021 - 11:57
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Laurent Terrisse : « Pour faire de la publicité responsable, une marque doit raconter le récit de son impact positif pour changer le monde »

La publicité peut-elle être responsable ? Quels sont ses enjeux en pleine crise sanitaire et économique et des habitudes de consommation en mutation ? Ce sont les grands défis qui attendent une profession sur la défensive suite aux propositions de la Convention citoyenne pour le climat et au projet de loi porté par le député Matthieu Orphelin pour réguler la publicité et la rendre plus respectueuse des ODD.

Laurent Terrisse répond à nos questions sur le rôle de la publicité responsable. Crédit : L. Terrisse
Laurent Terrisse répond à nos questions sur le rôle de la publicité responsable. Crédit : L. Terrisse

 

Alors que le monde de la publicité a connu plusieurs rebondissements depuis ces derniers mois, on a appris en décembre dernier que le futur projet de loi sur la réforme de la publicité, très attendu et contesté, porté par le ministère de la Transition écologique de Barbara Pompili, serait en passe de se vider de sa substance. Il ne concernerait au final que « certains » types de voitures SUV.  De nombreuses tribunes éditoriales se sont fait l’écho de prises de positions contradictoires dans la profession. Certains communicants ont appelé à un changement radical de la façon de concevoir le métier de publicitaire pour être plus en phase avec les ODD. 

Nous avons voulu comprendre comment la publicité pouvait faire (enfin) sa révolution, devenir plus responsable et compatible avec les enjeux environnementaux et sociaux. Rencontre avec Laurent Terrisse, président de l’agence LIMITE, spécialisée en communication responsable depuis vingt ans. 

 

 

  • Que pensez-vous du futur projet de loi qui vise à réguler ou à interdire la publicité de certains produits dits trop polluants ?

 

On pouvait s’attendre à une situation où il allait falloir arbitrer entre le moyen terme qui est l'urgence climatique et le court terme, la crise sanitaire, économique et sociale engendrée par la Covid-19. 

Les propositions de la Convention citoyenne me paraissaient intéressantes dans la mesure où elles obligent les publicitaires à remettre en question leurs modèles, les marques à réfléchir à la façon dont elles communiquent et les entreprises à ce qu'elles vendent. La question est donc de savoir si on vend de nouveaux produits ou de nouvelles façons d’agir pour se servir de ces produits de façon plus responsable. Avec un certain nombre de publicitaires, dont je faisais partie, nous avions fait des propositions en 2011, jugées « extrémistes » pour l’époque, afin de réformer la publicité dans ses pratiques et son message. Par exemple, nous proposions de facturer plus chers les espaces de pubs des marques de voitures polluantes ou autres produits alimentaires néfastes, et que ces surtaxes servent à diffuser des campagnes de pubs pour des ONG, ce qui contrebalancerait les messages uniquement à but lucratif.  

  • En quoi cela consistait concrètement ?

 

Le défi que nous nous étions donné, avec le collectif de publicitaires «  socio-innovants » composé de Sauveur Fernandez, Alexandre Pasche, Jean-Marc Gancille, Daniel Luciani et aussi Yonnel Poivre Le Lohé, Jacques-Olivier Barthes et bien d’autres, réunis au sein de l’Association pour une Communication Responsable, était de concevoir un outil de travail qui articule la méthode de production créative avec une logique de recherche d’impacts positifs dans les communications. 

En clair, nous avions dressé la liste de toutes les questions qu’il fallait se poser pour changer la communication afin qu’elle devienne plus responsable de l’élaboration de la campagne à sa sortie. En amont de toute stratégie publicitaire, la première grande étape consiste à établir une copy strategy. Et il faut donc changer aussi les méthodes de travail. 

Nous avions établi quatre principes clairs pour une copy strategy dite « responsable », allant de la promesse du message et qu'il correspond bien à la réalité du produit. Si je vante une lessive bio, elle doit l’être et certifiée par des tiers qui ont vérifié ou apposé un label ou la validation d’ONG, etc. Deuxièmement, un message publicitaire s’adressant à une personne, « l'homme multidimensionnel ». Et non pas à des cibles, comme on l’entend dans le discours de bon nombre de communicants.  Troisième principe, « l’empreinte immatérielle positive » où on fait passer des messages clés qui font évoluer la société (des hommes dans des pubs de produits d’entretien de la maison, des couples homosexuel·le·s qui achètent une maison, etc).  Et quatrième principe, penser « écoconception systématique ». En gros, c’est l’empreinte matérielle positive. Quand nous diffusons une pub, a-t-on choisi le moyen le plus respectueux pour l’environnement ? 

Quand on a lancé cette idée d’une publicité plus responsable, les confrères n’étaient pas nombreux à être prêts à changer quoi que ce soit. Cela voulait dire remettre en cause leur modèle culturel et économique. Et la culture de la publicité à l’époque, c’était la surconsommation, les images stéréotypées, séduire plutôt que convaincre, faire oublier le fond, marteler plutôt que partager, etc. 

 

  • D’ailleurs, quel est l’impact des messages publicitaires ?

On a mis beaucoup de temps à parler de l’impact positif ou négatif de la publicité. Pour les communicants, c’est le « message » qui a toujours été prépondérant. On a toujours mis énormément de moyens dans la construction du message publicitaire, que cela soit en espace média, en budget voire en termes de talents individuels dans les agences. Pourquoi ? Pour persuader les consommateurs d’acheter un produit ou d’aimer telle entreprise, telle marque sans trop se poser de question ! Et ce modèle fonctionne encore largement aujourd’hui. La preuve, les marques connues par les consommateurs mettent toujours autant de budget pour communiquer. 

Or, la façon dont on fait ce métier a non seulement une influence sur les représentations des gens et leur consommation, écologiquement, mais également socialement. Quand on conçoit une pub de façon éthique, il faut se demander comment est représentée la diversité culturelle, sociale et sexuelle de la population dans cette publicité. La représentation de la femme, par exemple. Jusqu’à très récemment, on a pu observer des femmes très maigres dans certaines publicités, ce qui a eu des impacts très nocifs sur les jeunes filles avec toutes les dérives qu’on connaît. L’impact est donc réel. 

 

  • Quels sont les enjeux aujourd’hui de la publicité ?

 

Aujourd’hui, je dirais que la communication arrive de moins en moins à convaincre les individus d’acheter telle ou telle marque. D'une façon générale, il y a une grande défiance du public envers les marques et les entreprises. Les gens pensent qu’on leur cache des choses, que telle entreprise n'est pas fiable, ou que la qualité n'est pas là. 

Nous sommes plusieurs professionnels à penser que pour faire aimer un produit ou une marque, il faut s'adresser à l’intelligence des gens, c’est-à-dire au cœur et à la raison, et leur proposer un message qui leur explique comment ils vont être utiles et agir avec l'entreprise qui communique. La marque doit être patiente aujourd’hui. Elle doit construire un récit où elle explique comment elle fait pour avoir un impact positif (ce qu’elle vend), établir une conversation, écouter et entraîner son public pour changer le monde (l’acte d’achat). Il y a eu des marques pionnières qui ont tenu ce discours il y a déjà quelques années, comme Ben & Jerry’s, Naturalia, etc. Aujourd’hui, on le voit dans de nombreux spots de pubs, les grandes marques se sont mises à communiquer sur des sujets d’intérêt général, comme l’écologie et la solidarité.

Autre enjeu de responsabilité citoyenne, mais aussi d’efficacité publicitaire : la prolifération des espaces publicitaires invasifs. Partout, dans l’espace public comme sur nos smartphones, les gens sont constamment soumis aux messages publicitaires. Je pense par exemple qu’il y a trop d’affichages dans le métro et beaucoup d’entre eux sont désormais lumineux, ce qui est très polluant voire fatigant pour les passants. Et moins il y en a, plus la publicité serait vue et plus le message aurait d’impact. Autre exemple, les pubs sur Internet, sous formes de pop-up, vidéos imposées, bannières clignotantes, sont, à mon sens, contreproductives sur le long terme. Au lieu d’avoir des publicités en petite quantité, bien placées, intuitives, c’est clairement la quantité qui est privilégiée. C’est tout un modèle qui doit changer en profondeur.  

 

  • Alors justement, qu’est-ce que la publicité responsable ?

 

Quand on travaille dans la communication responsable, se pose souvent le dilemme de devoir choisir entre un film publicitaire ou la diffusion en presse papier. Et donc de répondre aux questions « quel va être le bilan carbone de la campagne que je réalise ? », « je choisis la presse papier, car je soutiens une profession », etc. Très souvent, l’arbitrage est difficile à faire. 

Autre exemple, une agence de com’ « responsable » doit être en capacité de conseiller à son client de faire, ou pas, telle campagne selon si cette dernière répond à certains principes éthiques. On doit pouvoir vérifier la réalité du produit qui va être au cœur du message publicitaire. Par exemple, pour une marque de lessive qui souhaiterait communiquer sur ses qualités « écologiques », en tant que publicitaire, on se doit et on doit à l’annonceur de faire analyser un échantillon du produit pour s’en assurer. Et s’il s’avère que c’est faux, il faut déconseiller au client de communiquer sur ce mensonge commercial car le succès à court terme qu’il obtiendrait lui coûterait plus cher à moyen terme.

Il est donc important de suivre une cohérence dans la communication responsable, et cette cohérence correspond tout à fait à celle des principes des ODD. Une marque peut revendiquer vouloir protéger la planète, et en même temps, si elle fait fabriquer les produits à l’autre bout du monde en faisant travailler des enfants, c’est clairement contraire aux objectifs fixés par les ODD, et à ses intérêts, car tôt ou tard cela se saura...

Aujourd’hui nous sommes plus dans une logique de « comment on consomme » et celle du « toujours plus » doit disparaître. La marge de progression pour la publicité se trouve dans les pays qui sont loin de notre niveau de consommation. Chez nous, la question est plutôt de savoir comment on fait pour mieux répartir les biens de consommation avec ceux qui en ont moins. Nous avons plutôt besoin de réorganiser notre consommation pour être plus heureux, et retrouver du sens dans notre façon de consommer. Et en tant que publicitaire, cela passe, à mon avis, par la façon dont est faite la publicité et comment on la rend plus sensible, plus intelligente. 

On est arrivés à un moment où l’« insight », ce que le consommateur a dans la tête au moment d’acheter, est de plus en plus en lien avec le besoin réel de consommer tel ou tel produit. Et c’est exactement ce qu’a voulu faire la Convention citoyenne pour le climat avec la proposition d’ajouter une phrase en bas des publicités « en ai-je vraiment besoin ? ». C’est nous, les publicitaires, qui aurions dû faire cette proposition !

 

  • Finalement, la réforme de la publicité intervient en pleine crise, à un moment où les écoconsommateurs sont de plus en plus nombreux. Un changement des pratiques des publicitaires semble inévitable à court terme pour y répondre ?

 

De tout temps, ce sont les écologistes qui ont amené les citoyens à réfléchir sur leur façon de consommer. En 1974, René Dumont était le premier candidat écolo à se présenter à une campagne présidentielle. Et quand il est venu faire sa campagne devant les Français à la télévision, par manque de moyens, il s’est présenté un verre d’eau à la main. Il a eu ce message incroyable :  « Vous voyez ce verre d’eau, dans 30 ans, vous verrez cela vaudra de l’or ». À l’époque cela avait frappé les esprits.  Ensuite, en 2005, au moment de la grande sécheresse et de la flambée des cours du pétrole, le message écologique a commencé à prendre de l’ampleur dans les discours des communicants. Après quoi, en 2007-2008, certains publicitaires étaient réfractaires à ce genre de messages, d’autres ont cru surfer sur la tendance avec le greenwashing. D’où les retours de bâton et une défiance accrue du public. Il y a eu des efforts au sein de la profession, mais à reculons, en retard sur l’opinion. C‘est ce qui explique la réaction actuelle du monde de la publicité face à la réforme. 

 

  • Que pourrait faire le monde de la pub pour être plus responsable ?

 

J’aurais aimé une tribune, par exemple dans un grand média, de la part de l’AACC et de l’Union des marques et des patrons de pubs disant que les propositions de la Convention citoyenne étaient de bonnes mesures, qu’elles allaient dans le bon sens. On a eu tout le contraire. La mutation d’un certain nombre d’acteurs du milieu publicitaire prendra encore du temps. 

Je pense que nous sommes très en retard sur la société. Quand on repense au temps de Jacques Séguéla, qui était toujours en train d’imaginer de nouveaux concepts ! À l’époque, les publicitaires avaient un temps d’avance sur la société. Ils la faisaient. Aujourd’hui, c’est le contraire. La publicité ne fait que défendre une surconsommation, au nom de la chimère de la croissance, de la « reprise », d’une efficacité de plus en plus fictive... L’inversion des paradigmes entre les sujets d’intérêt général comme la santé, les discriminations ou les questions environnementales et les campagnes de pub, elle est déjà faite dans la tête des consommateurs, des chefs d'entreprises et des annonceurs. Mais pas encore chez les publicitaires. 

 

 

Christina Diego 

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