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Par Carenews INFO - Publié le 23 avril 2020 - 12:00 - Mise à jour le 23 avril 2020 - 16:46
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Najat Vallaud-Belkacem : « Il y a tant de leçons à tirer de cette épidémie et du confinement »

Il y a quelques semaines, l’ancienne ministre Najat Vallaud-Belkacem prenait la direction de l’ONG ONE et lançait la campagne ONE World, demandant une réponse mondiale à la pandémie de Covid-19. Elle nous a décrit sa vision des ONG, sa conception de l’engagement et ce qu’elle entrevoit de notre société post-coronavirus.

Crédit photo : ONE.
Crédit photo : ONE.

Fin mars, en plein confinement, Najat Vallaud-Belkacem a pris ses fonctions de directrice France de l’ONG ONE, qui lutte contre « l’extrême pauvreté et les maladies évitables, principalement en Afrique ». Un nouveau virage dans la riche carrière de l’ancienne ministre, qui, entre 2012 et 2017, a notamment été en charge des Droits des Femmes et du porte-parolat du gouvernement, puis de l’Éducation Nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. Avant, en 2018, de rejoindre l’entreprise de sondages Ipsos en qualité de directrice affaires publiques internationales, et, en parallèle, de prendre la direction de la collection qu’elle avait créée au sein de la maison d’éditions Fayard. Najat Vallaud-Belkacem préside également le conseil stratégique de la Fondation Tent Partnership for Refugees, qui mobilise les entreprises privées pour favoriser à l’inclusion économique des réfugiés.

Confinement oblige, c’est au téléphone qu’elle a répondu à nos questions. Elle nous a parlé de la campagne One World, qu’elle a lancée dans Le Monde avec une tribune demandant une réponse mondiale à la pandémie de Covid-19, de son regard sur le monde des ONG, sa conception de l’engagement et sa vision de l’après-crise.

  • Après vos hautes responsabilités politiques, votre poste chez Ipsos, pourquoi avez-vous choisi de rejoindre une ONG ? 

Prendre la parole dans l’espace public pour y défendre un projet, des valeurs, quelle que soit la façon dont on le fait, c’est Politique avec un grand «P» dans le sens le plus noble du terme. Pour moi, ce qui étouffe nos sociétés, c’est qu’un grand nombre de combats « d’humanité » ne soient pas portés haut et fort avec fierté comme ils devraient l’être. Depuis quelques années déjà, nous vivons une période de discrédit des institutions politiques ou médiatiques. Les ONG, et les activistes de manière générale, sont aujourd’hui les rares acteurs perçus comme cherchant authentiquement à changer le monde, ce sont des tiers de confiance sur les sujets d’intérêt général. Cette capacité à toucher et embarquer les gens est extrêmement précieuse. Car on n’obtiendra rien sur ces grands sujets d’humanité si on ne fait pas masse. 

Ce que j’ai particulièrement aimé chez ONE, c’est qu’il s’agit d’une ONG de grande qualité, reconnue comme telle, qui travaille depuis longtemps sur les dysfonctionnements du monde à travers son combat contre l’extrême pauvreté mais aussi pour prévenir les maladies évitables, notamment en Afrique. Cette expérience lui a donné une expertise essentielle concernant l’accès des populations les plus éloignées de tout aux traitements contre les pandémies ainsi que l’amélioration de l’aide au développement — en particulier pour combattre l’extrême pauvreté. Je me suis donc complètement reconnue dans ses valeurs et son action. 

  • Est-ce une façon différente de vous engager pour les causes qui vous sont chères ?

J’ai toujours été engagée au sens où on l’entend généralement : poursuivre un objectif qui dépasse sa seule situation personnelle. Je dirais qu’à travers le temps, le champ de vision de mon engagement s’est agrandi, amplifié. Durant mes années d’étudiante, mon engagement prenait la forme de participations à des associations caritatives de quartier, d’aide au devoir par exemple. Mon champ d’action était micro-local. Puis j’ai commencé à faire de la politique, dans un champ d’action devenu local, avant d’être ministre, donc engagée sur un plan national.

Aujourd'hui, que ce soit lors des deux années passées chez Ipsos ou maintenant chez ONE, mon engagement a trouvé une dimension bien plus vaste, cohérente avec l'interdépendance dans laquelle nous vivons toutes et tous dans ce monde. Aucun d'entre nous n’est vraiment à l’abri de ce qu’il se passe à l’autre bout de la planète. Avant même ce Covid-19, prenez la question des réfugiés, sur laquelle je suis impliquée : n’est-ce pas en soi une illustration en continu de ce que les désordres géopolitiques du bout du monde peuvent importer de misère dans des pays qui se croyaient protégés ? Mon engagement n’a pas changé d’intensité ou de forme, mais il a changé de champ d’action.

  • Quels sont vos objectifs avec ONE ? 

Actuellement, nous sommes mobilisés sur la campagne ONE World pour appeler l'attention des dirigeants mondiaux sur le caractère global de la pandémie et la nécessité d'y apporter une réponse mondiale si nous ne voulons pas passer les prochaines décennies à courir après ce virus. Cela devrait nous occuper encore quelque temps, puisque ce plan d’action se décline en de multiples chapitres. Il s’agit à la fois de répondre à la question de l’urgence, avec notamment la nécessité pour le G20, la banque mondiale et le FMI d’aider les pays d’Afrique subsaharienne à fournir traitements, protections et soins à leurs populations, et de faire face à l’insécurité alimentaire qui est en train de s’installer — nous craignons même une épidémie de famine.

La semaine dernière, nous avons beaucoup évoqué la question des dettes des pays les plus pauvres, car pour faire face à la crise, ils ont besoin de consacrer plus d’argent à leur santé qu’à leur dette. La semaine prochaine arrive une autre actualité de taille : la question de la reconstitution de Gavi, l’Alliance du Vaccin, pour éviter que l’on détourne les yeux de la nécessité vitale de continuer à soigner d’autres pandémies si on ne veut pas devoir gérer plusieurs crises en même temps. Nous sommes donc en train de mobiliser les gouvernements pour qu’ils annoncent des montants à la hauteur des enjeux. 

Ensuite, quand nous sortirons de l’épidémie, les sujets phares de ONE reprendront leur place. Avec, sans doute, une attention particulière à la question de l’accès à l’éducation, tant il est vrai que pour lutter contre l'extrême pauvreté, il faut savoir investir dans l’avenir, et qu'il n’y a pas de meilleur investissement que l’humain. Dans la même logique, les questions climatiques seront primordiales, les premières populations touchées par les perturbations climatiques étant les plus pauvres du monde.   

  • Malgré les bouleversements actuels de son quotidien, le public français se montre-t-il sensible aux appels de ONE ?

Pour être franche, je ne ressens pas d’hostilité envers nos messages, alors que j’avais craint qu’il y en ait, que l’espèce de repli sur soi, sur son entourage très proche, qu’occasionne nécessairement le confinement, amène les gens à oublier les autres, plus lointains. Nos actions de plaidoyer se font dans un contexte un peu particulier en ce moment, à distance.  Comme les gens sont chez eux et passent beaucoup plus de temps sur les réseaux sociaux qu’habituellement, ils lisent davantage nos messages. Je suis agréablement surprise par le taux d'ouverture de nos mails, beaucoup plus important que tout ce que j’ai connu dans le passé. On touche donc davantage de gens. Toutefois ils passent aussi rapidement à autre chose, à d’autres contenus, et c’est bien normal : il y a tant de sujets tous plus préoccupants les uns que les autres. C’est une forme d’attention qui se disperse et nous devons souvent revenir à la charge. 

Pour moi, les ONG sont des lanceuses d’alerte auprès de l’opinion publique, à laquelle elles communiquent leur expertise sur des sujets qui jusqu’alors passaient un peu sous les radars. Cette démarche produit des effets en deux temps : il y a la partie de l’opinion publique qu’on arrive directement à embarquer, et c’est tant mieux. Mais il y a aussi ceux qui ne réagiront pas sur le moment, mais que nos informations auront sensibilisés et qui s’en souviendront lorsque le sujet arrivera sur le devant de la scène médiatique. La pédagogie est en partie une affaire de répétition.

  • L’épidémie pourrait-elle renforcer la coopération internationale ?

Je l’espère, d’autant plus que c’est aussi à cause de notre incapacité à collaborer au niveau international que nous avons aujourd’hui une pandémie de cette ampleur. La situation serait certainement bien différente si les pays avaient respecté les engagements pris il y a des années concernant la sécurité sanitaire mondiale. En 2005, 195 pays avaient signé le Règlement sanitaire international suite à l’épidémie de Sras. Chacun d’entre eux s’engageait notamment à mettre au point sa communication avec l’OMS en cas d’événement sanitaire urgent, afin de mettre en place un process évitant la dissémination de pandémies dans les autres pays. Quinze ans après, aucun État du monde ne le respecte. Si cela avait été le cas, dès lors que l’épidémie s’est déclarée en Chine, l’information aurait circulé beaucoup plus vite, l’ampleur de la crise aurait été prise bien plus au sérieux et la gouvernance internationale aurait mieux fonctionné.

Là encore, il est nécessaire de faire preuve de pédagogie pour que les gens comprennent bien où sont les dysfonctionnements. L’écueil que nous essayons d’éviter est que les gens confondent mondialisation néolibérale et débridée, dont la plupart ne veulent plus, et solidarité internationale. Car si la mondialisation sans règle et la financiarisation à outrance sont néfastes, la solidarité internationale, elle, est plus indispensable que jamais.

  • Pensez-vous que la société de « l’après » sera vraiment plus solidaire ?

Il y a tant de leçons à tirer de cette épidémie et du confinement. En France, il faut s’attaquer sérieusement aux fragilités dont souffrent beaucoup de gens et qui ont été mises en lumière d’une façon terrible par cette crise. Qu’il s’agisse de la solitude des personnes âgées, de la vulnérabilité économique de certains ménages, ou encore de celles des femmes victimes de violences et confinées avec leur agresseur... La gestion de ces fragilités doit devenir une priorité politique majeure. Ensuite, comme beaucoup de personnes l’expriment, on a clairement pris conscience collectivement qu’il y a les métiers indispensables et les autres. Valorisons ces métiers comme il se doit.

Enfin, en France et dans bien d’autres pays, avoir choisi d’arrêter l’activité économique au motif qu’il fallait sauver des vies signifie qu’on accorde une valeur plus forte que tout à la vie des personnes. C’est très bien, et nous devons en tirer les conclusions qui s’imposent dans tous nos grands débats récurrents, par exemple autour des réfugiés. Est-ce normal de laisser des personnes se noyer dans la mer Méditerranée au motif que cela nous couterait économiquement que de leur porter assistance ? Une vie est une vie, voilà une des valeurs essentielles que nous devons repenser dans un certain nombre de politiques.

Bien sûr, je ne suis pas naïve. Je sais très bien qu’au sortir du déconfinement, les gens aspireront surtout à revenir à la vie d’avant et ne seront pas exactement dans les dispositions très généreuses d’esprit que nous observons en ce moment. Mais je pense vraiment qu’il en restera quand même quelque chose. Ne serait-ce que parce que l’expérience de l’angoisse pour ses proches ou des contraintes du confinement aura cette fois-ci véritablement été faite par tous, universellement. 

Propos recueillis par Mélissa Perraudeau 

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