Reportage : Soli’Malte, une maraude inédite pour répondre à l’urgence sociale et sanitaire
Dès l’annonce du confinement, l’Ordre de Malte a su s’adapter à la crise sanitaire en mettant en place Soli’Malte, un nouveau dispositif de maraude « quatre en un » en faveur des sans-abri. Reportage.
Jeudi 19 novembre. 20h. Changement de dernière minute. Cédric Chalret, secrétaire général de l’Ordre de Malte et responsable de la maraude Soli’Malte de ce soir, attend des indications de sa direction. Une équipe de bénévoles devait initialement tourner entre le 7e et 8e arrondissement. Exceptionnellement, un deuxième camion circulera.
Nous accompagnons Cédric Chalret, deux collègues et un ami de longue date. Une fois le véhicule chargé et les chasubles enfilées, nous démarrons vers Châtelet, un lieu central où de nombreux SDF se rendent pour passer la nuit.
En coopération avec le Samusocial, les quatre bénévoles partent pour une maraude unique en son genre qui vise non seulement à distribuer des denrées alimentaires et créer du lien social mais aussi à proposer aux SDF une première approche médicale avec des prises de constantes.
Un protocole sanitaire à respecter
Pour chaque personne rencontrée, les bénévoles suivent un protocole bien précis. Cédric Chalret s’assure ainsi que les bénéficiaires portent bien un masque, et dans le cas contraire, il leur en donne plusieurs. Ayant une formation de secouriste, c’est également lui qui propose aux SDF de prendre leurs constantes : température et taux d’oxygène, des premiers gestes pour vérifier la présence, ou non, de premiers symptômes de la Covid-19.
Constance est, quant à elle, chargée de prendre le nom, l’âge et la localisation des personnes rencontrées. Ces informations, qui sont ensuite remontées au Samusocial, permettent de recenser les personnes vivant dans la rue.
Une fois ce protocole respecté, l’équipe propose aux sans-abri une boisson chaude et des en-cas. Les discussions commencent. Un échange bien trop bref. On se rend compte qu’il faudrait en faire davantage. Malgré tout ce contact est important pour ces personnes. Quelques minutes chaleureuses dont beaucoup sont reconnaissants même si nous savons que ce n’est pas assez pour les aider.
Des rencontres et autant d’histoires
Nous rencontrons dix, vingt, une trentaine de personnes et autant d’histoires et de discussions. Le froid commence à se faire sentir et il pleut. Une météo hivernale qui rend encore plus insoutenable la situation.
Les personnes à la rue, en majorité des hommes, tentent de trouver des abris, à l’entrée d’un magasin, ou d’un restaurant, mais on se rend compte que c’est insuffisant en ce début de l’hiver. Dans le camion, l’Ordre de Malte a quelques duvets que les bénévoles n’ont pas de peine à écouler.
Vers la fin de la maraude, rue du Louvre, Cédric Chalret aperçoit un homme allongé près du passage piéton. En s’approchant de lui et en discutant, il comprend que cet homme, âgé d’une soixantaine d’années et recouvert d’un simple bout de carton en guise de couverture, préfère s’installer au-dessus d’une sortie d’air chaud plutôt que de s’abriter de la pluie.
Si nous n’étions pas dans un contexte de crise sanitaire, Cédric, Jonathan, Constante et Loys auraient pu l’emmener dans un centre d’hébergement ou encore dans l'une des deux péniches de l’Ordre de Malte aménagées pour accueillir des personnes en situation d’urgence. Depuis le début de la crise, cela n’est plus possible.
Cédric appelle alors le 115, mais sait d’avance que l’attente sera longue. Il n’y a plus de duvet à disposition et l’unique couverture de survie a été donnée un peu plus tôt. Alors, à situation d’urgence, mesure d’urgence. Constance arrête un véhicule de la RATP qui lui donne une couverture en sa possession. Puis nous croisons deux pompiers dans leur véhicule qui nous proposent de les suivre dans leur caserne pour nous en donner d’autres. Nous retournons rue du Louvre pour recouvrir la personne rencontrée un peu plus tôt.
Il est plus de minuit. Les personnes tentent de trouver, difficilement, le sommeil. Il est alors temps de rentrer au siège social de l’Ordre de Malte dans le 15e. Sur le chemin du retour, nous repensons à tous ces hommes croisés, que nous avons aidés le temps d’un instant. Ce soir, plus que les autres, nous nous endormirons en pensant que nous sommes au chaud, et eux, inlassablement dehors, dans le froid.
300 000 SDF en France
Nous avons croisé d’autres associations, formelles ou informelles, qui, comme Cédric, Jonathan, Constance et Loys, se libéraient le temps d’une soirée pour venir en aide aux personnes qui vivent dans la rue.
Rappelons que la Fondation Abbé Pierre a recensé mi-novembre 300 000 SDF en France, soit plus du double par rapport à 2012. La situation de ces personnes n’est pas forcément corrélée à la crise de la Covid-19 comme le fait remarquer Jonathan, l’un des bénévoles. Les conséquences de la crise sanitaire sur le nombre de personnes à la rue s’observeront dans quelques mois. Les associations craignent d’ailleurs déjà une première vague lors de la fin de la trêve hivernale, début avril 2021.
Lisa Domergue