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Par Observatoire B2V des Mémoires - Publié le 28 décembre 2022 - 09:59 - Mise à jour le 2 janvier 2023 - 23:23
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Magie de Noël ou trouble mnésique : pourquoi un enfant ne reconnaît-il pas son père déguisé en Père Noël ?

Les fêtes de Noël sont magiques pour les plus petits et beaucoup de familles se réunissent et rivalisent de ruse pour faire croire au Père Nöel. La neurologue Catherine Thomas-Antérion nous éclaire sur le comportement des jeunes enfants en termes de mémoire dans une situation vécue par beaucoup de familles la nuit ou le jour de Noël.

Illustration d'une petite fille et du Père Noël - Getty Images
Illustration d'une petite fille et du Père Noël - Getty Images

Voici une question d’importance qui nous a été récemment posée. Nous allons tenter d’y répondre et ce même si plus qu’une réponse, il faut essayer d’apporter un faisceau d’arguments expliquant cette étrange situation ! La fête bat son plein. Nous sommes au sein d’une famille dans laquelle les enfants croient au Père Noël. Leur crédulité a été alimentée par toutes sortes de fake news, mais ce avec l’ambition noble de stimuler leur imaginaire, leurs désirs (raisonnables), les émotions, autant d’éléments propices à un développement progressif et harmonieux. Parfois, la famille va jusqu’à disposer un verre de lait, un biscuit et des carottes pour le Père Noël et ses rennes ou à entrebâiller une fenêtre dans un appartement qui ne dispose pas d’une cheminée. Le père (ou l’oncle) sort de la pièce et le Père Noël arrive. Certains seront désolés que leur père (ou leur oncle) rate cela tandis que d’autres ne s’apercevront même pas de la disparition. L’âge passé de croire à ce type de dispositif, les enfants seront ravis de renouveler l’expérience avec les plus petits et de participer à l’illusion.

Le jeune enfant croit au Père Noël le plus souvent jusqu’à l’âge de 7 ans même si certains font durer le plaisir : le leur et celui des adultes en y croyant un peu au-delà… Il identifie fort bien le visage de son père (ou de son grand-père, son oncle...) et ce depuis longtemps ainsi que son allure, sa taille ou sa voix. L’identification des personnes étant un tout, certains patients prosopagnosiques qui ne reconnaissent pas les visages isolés, n’ont pas d’agnosie des personnes (pas de trouble de la reconnaissance) lorsqu’ils sont confrontés à d’autres éléments notamment la voix. Certains attributs : coiffure, lunettes, etc. sont également des indices puissants à la reconnaissance ; dans les tests évaluant cette capacité humaine, les visages sont en principe présentés sans ces attributs.

Le Père Noël n’a pas d’âge ! C’est toutefois un homme, un homme barbu, cheveux et barbe hirsute sont blancs et il est vêtu d’une grande houppelande rouge. L’enfant le sait et le mémorise à travers de multiples répétitions… Certains plus malins que d’autres peuvent s’étonner de croiser dans la rue, au fronton de certains magasins, plusieurs Père-Noël. Il suffit de dire comme Françoise Dolto le faisait avec ses enfants, que « ceux-là » sont pour de faux ! Des imitateurs…

La réussite de l’affaire ne dépend pas d’une faille de la mémoire… mais plutôt de l’immaturité du cortex préfrontal de l’enfant.

Ainsi l’enfant bien conditionné… aura une bonne chance de ne regarder que les attributs : vêtement, barbe, cheveux sans chercher plus loin ! Il est recommandé de quitter sa montre fétiche, de cacher ses mains dans les manches et de ne pas parler, grommeler tout au plus ou prendre une grosse voix ! La réussite de l’affaire ne dépend pas d’une faille de la mémoire… mais plutôt de l’immaturité du cortex préfrontal de l’enfant. Les fonctions exécutives ou fonctions de contrôle s’organisent progressivement dans cette région en trois grandes fonctions : flexibilité, inhibition et mémoire de travail et sont opérationnelles vers 7 ans [1]. Ce sont ces fonctions qui sous-tendent la résolution de problème : mais pourquoi le Père Noël ne parle-t-il pas ? Pourquoi papa ne revient-il pas ? Il est vrai que même adulte, lorsqu’on est convaincu de quelque chose, on se pose parfois curieusement peu de questions… Il n’y a qu’à penser aux anniversaires surprise où le jour J, mille choses bizarres ont lieu sans que la curiosité ne soit éveillée.

Le test du gorille invisible

L’attention a des limites quand elle est focalisée sur quelque chose : ici la houppelande rouge et l’extraordinaire danse du Père-Noël devant le sapin sortant de sa hotte des paquets occultent tout ! On peut rapprocher cela du test du gorille invisible mis au point par deux chercheurs en psychologie cognitive de l’Université Harvard : Christopher Chabris et Daniel Simons [2]. Il illustre les limites de nos ressources attentionnelles quand nous sommes impliqués dans une tâche qui requiert « toute notre attention » et explique comment nous pouvons être frappés de « cécité d’inattention », et ce y compris à l’âge adulte ! Pour ceux qui ne connaissent pas celui-ci, il suffit de cliquer sur Youtube sur la vidéo The invisible Gorilla et de lire les lignes suivantes uniquement après l’avoir visionnée… La consigne est donnée aux participants de regarder attentivement une vidéo où deux équipes de basket, l’une habillée en blanc, l’autre en noir, se lancent un ballon et de compter le nombre de passes entre les joueurs de l’équipe blanche. Cinquante pour cent des personnes ne voient pas passer le gorille… comme aveugles à l’inattendu…

Que se passe t-il dans le cerveau de l'enfant ?

Le développement du cerveau affectif et social de l’enfant dépend quant à lui en partie de la maturation du cortex orbito-frontal, la région du cortex préfrontal qui contrôle nos émotions et nos impulsions et qui se développe activement entre 5 et 7 ans, notamment la Théorie de l’esprit [3]. Les étapes d'acquisition de la théorie de l'esprit semblent universelles si l’on en croit une étude menée auprès d'enfants appartenant à cinq cultures différentes : le Canada, l'Inde, Samoa, le Pérou et la Thaïlande. La théorie de l’esprit est la capacité à comprendre et à se représenter ses états internes et ceux des autres, ainsi que la capacité à attribuer des états aux autres. Le développement mature se situe à la fin du primaire. Cette théorie se manifeste dans les interactions sociales ainsi que dans la compréhension du monde qu’ont les enfants. Les fausses croyances sont difficiles chez le jeune enfant à décoder.

 

bonnet de noelCroire au Père Noël au point d’être aveugle et sourd aux gaffes des enfants qui n’y croient pas ou plus et aux exclamations des adultes dépend donc d’une fenêtre temporelle en lien avec le développement du lobe frontal soutenant fonctions exécutives, théorie de l’esprit et fonctions attentionnelles !

Joyeux Noël et belles fêtes !

 

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Notes

[1] Best JR et al. Executive functions after age 5: Changes and correlates. Developmental Review 2009, 29 : 180–200.

[2] Simons DJ, Chabris CF. Gorillas in our midst : sustained inattentional blindness for dynamic events. Perception 1999, 28 (9) : 1059-74.

[3] Houdé O. La psychologie de l’enfant. Paris : PUF, Que sais-je, 2020.

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