À HEC, la fabrique d'une élite sociale et écolo ?
La prestigieuse école HEC accueille de plus en plus d’étudiants qui refusent les carrières toutes tracées et souhaitent se diriger vers des métiers qui, selon eux, ont plus de sens. Finance verte, entrepreneuriat social, mobilité... Carenews a recueilli les témoignages de trois d’entre eux.
Passer par l’école de commerce HEC à Jouy-en-Josas garantit aux étudiants un emploi prestigieux à la sortie avec un salaire conséquent. Mais s’il ne s’agissait plus de la motivation première de ces futurs leaders économiques ? Si, désormais, leur souhait le plus cher était de trouver un métier qui a du sens quitte à réviser leurs ambitions salariales à la baisse ?
Il faut dire que cette volonté de sens est plus générale et s’étend hors des murs d’HEC. Selon une étude réalisée par Ipsos en 2020, l’adéquation aux valeurs de l’entreprise est le troisième critère le plus important pour les jeunes salariés lors du choix d’un emploi… La rémunération arrive, elle, en dixième position.
Une grande école pour plus d’impact
Les étudiants d’HEC que nous avons rencontrés s’inscrivent entièrement dans cette tendance. Pour Maëlle, 21 ans, qui débute sa deuxième année, intégrer cette prestigieuse école est même une façon de s’assurer un avenir qui a du sens :
Au moment du choix, j’avais déjà en tête que si j’étais dans une grande école de commerce et que par la suite je parvenais à des postes à responsabilité, j’aurais la possibilité d’avoir un impact assez grand sur la société.
Maëlle étudie actuellement en master 1 du programme Grande Ecole et souhaite par la suite se diriger vers de la finance verte.
À 23 ans, Lucie entame, elle, son master 2 en entrepreneuriat dans la prestigieuse école de Jouy-en-Josas. Après ses années de prépa, la jeune parisienne s’est décidée sans convictions à continuer son cursus à HEC : « J’étais une bonne élève. J’ai donc intégré l’école sans trop me poser de questions », explique-t-elle. C’est finalement au gré de ses voyages et ses expériences professionnelles qu’elle se découvre une fibre sociale et écolo.
L’impératif de sens face aux grands défis actuels
Petit à petit, Lucie affine son projet professionnel. Aujourd’hui, elle le sait : elle veut créer une startup à impact. Elle aimerait par exemple se diriger vers le secteur de la santé, pourquoi pas réfléchir à la question du post-partum, période qui survient pour la mère après la période d’accouchement.
Pierre, un autre étudiant interrogé, possède plus une fibre environnementale que sociale. Il souhaite se diriger vers le secteur de la mobilité ou de l’énergie. Après des années d’études à Rotterdam, il a intégré le master d’HEC axé sur le développement durable et l’innovation sociale. Le jeune lillois explique : « Ça me semblait un peu fou de me dire que j’allais faire un métier qui ne servirait à rien alors qu’on doit régler, dans les années à venir, le plus gros challenge qu’on ait jamais eu à régler ».
Les valeurs sont-elles compatibles avec un bon salaire ?
Mais sur le salaire, Pierre n’est pas prêt à toutes les concessions : « Je ne vais pas faire le discours tout rose en disant que l’argent, pour moi, ce n’est pas important », avoue le jeune homme :
Quand tu investis autant d'argent pour un master, tu as envie que ce soit rentable et que ça te permette de toucher un salaire conséquent.
Les attentes de l’étudiant restent cependant inférieures à ce qu’il pourrait prétendre à la sortie d’école. En 2019, le salaire moyen à la sortie d’HEC était supérieur à 7 400 euros brut par mois selon le Financial Times. Difficile, sauf à de rares exceptions, de toucher de telles sommes avec des métiers liés à l’environnement ou au social.
Maëlle, elle, souhaite se tourner vers la finance verte. Pourquoi pas dans le private equity. Les salaires n’y sont pas fondamentalement différents de ceux envisageables à des postes d’investisseurs classiques. « Peut-être que le fait de travailler dans la finance, ça m’assure un salaire confortable que je n’aurais pas si je montais ma boite dans l’économie sociale et solidaire », concède l’étudiante.
Comme huit jeunes sur dix interrogés par Ipsos lors de l’étude citée précédemment, elle considère qu’il n’y a pas forcément d’arbitrage à faire entre utilité du travail et bonne rémunération.
Contrairement à ses deux camarades, Lucie, la future entrepreneure sociale, ne se soucie que très peu du salaire :
J’ai fait ces études pour pouvoir faire ce que je veux après. Je ne suis pas obligée de prendre la porte du prestige et de l’argent. Je suis prête à refuser ça pour quelque chose qui me rende plus heureuse.
« A HEC, ils sont complément à la traîne »
Pour l’instant, ces trois jeunes sont encore sur les bancs de l’école et ont le temps d’affiner leurs projets professionnels. Mais pour l’heure, quelle relation entretiennent-ils avec HEC, cette école qui a formé d’innombrables générations de décideurs ? Est-elle à la hauteur de ces nouveaux enjeux ? « À HEC, ils sont complètement à la traîne », tranche Lucie.
Récemment, l’administration de l’école a annoncé la destination du voyage de fin d’étude de son master : ce sera San Francisco, à la découverte de l’écosystème entrepreneurial californien. Et ça ne passe vraiment pas pour Lucie. « On est plusieurs à gueuler et à dire qu’on ne veut pas y aller ». Elle justifie sa position par l’empreinte carbone d’un tel voyage et le coût, 2 500 euros, qui représente une barrière pour certains étudiants.
Maëlle, de son côté, dresse un tableau négatif en ce qui concerne les cours délivrés qui, selon elle, n’ont pas pris le virage vert : « Dans les cours de comptabilité, on ne parle pas du tout de comptabilité alternative. La finance verte, on l’aborde pendant 30 secondes ». Elle n’incrimine cependant pas HEC car, selon elle, changer l’ensemble des programmes prend beaucoup de temps.
Du lobbying pour changer HEC
Pour prolonger son engagement, la jeune femme s’est engagée chez Esp’r, une association qui promeut l’ESS et le développement durable au sein d’HEC. Face à ces lents changements de pratiques et d’enseignements, l'association fait du lobbying auprès de l’administration et s’attèle à faire prendre conscience des manquements sur ces sujets : « On fait pression sur l’administration pour que les thématiques environnementales soient intégrées aux cours car c’est actuellement assez inexistant. On a réussi à obtenir des cours spécifiques dès le début de la licence 3 et même en deuxième année ».
En effet, depuis peu, 200 heures du programme Grande Ecole, post prépa, sont consacrées à ces questions environnementales.
L’association Esp’r tente également de sensibiliser les autres étudiants notamment lors de la Earth Week, semaine de la Terre. Elle crée aussi des passerelles avec le monde de l’entrepreneuriat social notamment en proposant des missions bénévoles pour des startups via l’accélérateur ESS d’HEC.
Quelle direction emprunte HEC ?
Dans son master développement durable et innovation sociale, Pierre se forme au quotidien aux problématiques écologiques et sociales. Son constat est donc différent : il estime qu’HEC est en avance par rapport aux autres écoles sur les questions de développement durable. Mais selon lui, le fait d’avoir un master spécialisé comme le sien n’est pas forcément bon signe : « Cela prouve bien qu’ils n’ont pas encore compris le souci », tranche l’étudiant. « Le développement durable devrait être présent dans tous les masters d’HEC et dans tous les masters de n'importe quelle école ».
Reste qu’HEC a été élue école la plus écologique par Le Figaro en 2020. Un classement qui pourrait permettre de renouveler l'attrait pour l’école de ces étudiants en quête de sens.
Théo Nepipvoda