Cinéma et publicité : pourquoi produit-t-on si peu de nouveaux récits ?
Les Deauville Green awards, festival du film responsable, avaient lieu les 12 et 13 juin sur la côte fleurie. Ce fut l’occasion d’établir un constat : le secteur audiovisuel ne s’est pas encore emparé des nouveaux récits promouvant une société durable.
Striatum est un projet de série comique en six épisodes. Si elle voit le jour, elle raconterait les aventures de Bruno, maire d’une petite ville connu pour son égoïsme. À la suite d’un accident rocambolesque touchant son cerveau, il va devenir altruiste et bienveillant, sans vraiment savoir comment mettre en pratique ses nouvelles valeurs. Il va petit à petit mener une vraie révolution dans sa ville pour améliorer les conditions de vie de ses habitants, notamment en prenant en compte la question écologique. Mais pas sûr que ce projet plaise à tout le monde... Voici un synospis qui propose un récit autour de questions de futurs souhaitables. Il a été conçu et est en train d'être produit par l'Assemblée citoyenne des imaginaires.
« On ne montre pas la coopération et la bienveillance »
Les Deauville Green awards accueillaient Philippe Enola, coauteur du projet, pour présenter le synopsis de cette série. Ce festival international du film responsable, s’est déroulé les 12 et 13 juin à Deauville. Outre une compétition qui a récompensé un certain nombre de productions, le festival accueillait pour sa 13e édition des débats autour du cinéma et de l’audiovisuel.
Comme cinq autres synopsis tout aussi originaux, Striatum est le fruit de l’Assemblée citoyenne des imaginaires. Il s’agit d’une démarche qui permet aux citoyens de prendre part à la création de films, séries, BD autour de nouveaux imaginaires, d’une société souhaitable, qui aurait réussi sa transition.
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Un projet nécessaire selon Valérie Zoydo, son initiatrice, en réponse à la rareté des fictions racontant une société durable. Elle a pris part aux échanges organisés par le festival : « Ayant grandi dans les années 1980, j’ai regardé la série Dallas dont le générique vante le pays du dollar et du pétrole. Nous étions abreuvés de ce type de série », se remémore, un brin amusée, celle qui est également réalisatrice. « Dans ces séries, les gens qui réussissent ont souvent des métiers comme publicitaires, leurs valeurs sont la compétition et le cynisme. Au contraire, on ne montrait pas la coopération, la bienveillance et la symbiose ».
Comment convaincre les producteurs de s’y mettre ?
Depuis, a-t-on fait un pas en avant ? « Il n’y a toujours pas de culture populaire de la société post-carbone compatible avec le vivant. Le storytelling vert ne plait pas beaucoup car il est culpabilisant et pas toujours très glamour ». Certains films s’inscrivent dans cette lignée, notamment le récent Règne animal, mais pas encore énormément de divertissements grand public et notamment de séries. Pourtant, ces productions peuvent avoir un rôle pour mettre davantage de personnes en mouvement.
L'Assemblée citoyenne des imaginaires a débuté par une consultation nationale début 2023 qui a permis de recueillir 50 000 avis. Ensuite, des ateliers de co-écriture avec des citoyens ont été organisés. Finalement, des scénaristes professionnels ont construit des synopsis à partir de la matière citoyenne. « Avec cette consultation, on a voulu montrer le potentiel de succès de ces nouveaux récits. Les citoyens demandent à cor et à cri de raconter une société qui remet en question le capitalisme, qui parle d’écologie », explique Valérie Zoydo. Une façon notamment de convaincre les producteurs, diffuseurs, plutôt inactifs en la matière, de s’engager. Jusqu'à récemment, un certain nombre étaient persuadés que ces projets ne trouveraient pas leur public.
La responsabilité de la publicité en matière de nouveaux récits
Pour former ces producteurs de récits, un autre outil existe : le parcours « nouveaux imaginaires » de la convention des entreprises pour le climat. Il réunit 62 entreprises telles que des agences, producteurs, créateurs, pour les faire réfléchir à la construction de ces nouveaux récits. Parmi eux, Netflix, Bayard ou encore Unisoft.
« Les récits dominants ne fonctionnent pas. Concernant les fictions, on nous propose surtout des dystopies et des récits alarmistes. Du côté de la publicité, on promeut des récits de réussite par la possession », abonde Marguerite Laborde copilote du parcours et également directrice global de la marque Mustela. « Nous avons besoin de produire des récits qui donnent envie, car l’envie est le premier levier pour passer à l’action. Or, nous manquons de récits de ce type ».
« Nous manquons de récits de ce type »
Thomas Parouty, Mieux.
Thomas Parouty a fondé l’agence de conseil en communication RSE Mieux. Il est membre du parcours nouveaux imaginaires et s’intéresse en particulier aux récits délivrés par les marques : « Les histoire que nous nous racontons depuis l’après-guerre nous ont fait basculer dans une société de consommation. Tous les récits qu’on a produits nous poussent à consommer », considère-t-il. « Pour les marques, il va falloir trouver une nouvelle façon de raconter des histoires ». Il prend pour exemples les pubs de la marque de vêtements Jules qui promeuvent une nouvelle masculinité. Qui plus est : « cela fait gagner la marque en popularité », se réjouit-il.
Théo Nepipvoda
Carenews est partenaire des Deauville Green awards.