Conventions citoyennes locales : un outil démocratique important pour la transition écologique
Des citoyens habitant les territoires de Bordeaux, Grenoble ou Est Ensemble se sont réunis ces dernières années pour rendre aux élus des propositions destinées à accélérer la transition écologique. Même si les résultats dépendent fortement de la méthodologie et des moyens, ils peuvent toutefois être significatifs.
Entre octobre 2023 et février 2024, 100 bordelais tirés au sort se sont réunis pour participer à un « grand dialogue », afin de réfléchir collectivement aux moyens d’agir pour adapter leur territoire « à l’urgence climatique ». Le 9 février, ils ont rendu à la ville de Bordeaux un avis de 72 pages décrivant leurs propositions. Parmi celles-ci : former les professeurs et les agents de la ville au changement climatique, orienter la commande publique vers l’économie sociale et solidaire, intensifier la végétalisation ou diminuer le nombre de panneaux publicitaires.
Le schéma vous est sûrement familier : il reprend celui de la Convention citoyenne pour le climat, lancée à l’échelle nationale en 2019 par le président Emmanuel Macron. Depuis, en Occitanie, à Rouen, à Clermont-Ferrand ou encore à Marseille, des conventions ont réuni les citoyens pour parler transition. Mais toutes les conventions organisées ne se valent pas : leur méthodologie et leur échelle diffèrent, elles n’ont pas toutes un impact important.
« Les solutions miracles n’existent pas »
Premier critère destiné à garantir le bon fonctionnement d’une convention : la mise en place d’un comité indépendant pour contrôler la méthode choisie. « Il faut que la personne publique commanditaire ne soit pas celle qui organise la convention, il y a des risques d'instrumentalisation volontaire ou complètement involontaire », explique Sabine Lavorel, enseignante-chercheuse en droit public à l’Université Grenoble Alpes. Elle a co-présidé le comité opérationnel (Comop) qui a rempli ce rôle pour la métropole de Grenoble-Alpes en 2022. Il a réuni dix personnes, principalement des universitaires. « Il serait très facile pour les organisateurs d’orienter les réponses en orientant les questions, le choix des formateurs ou des experts consultés », illustre Philippe Quirion, président du Réseau action climat et directeur de recherche au CNRS. Il a accepté en 2022 de faire partie du comité de garants et protecteurs de la convention d’Est Ensemble, un établissement public territorial réunissant neuf communes de Seine-Saint-Denis.
« Il faut que la personne publique commanditaire ne soit pas celle qui organise la convention, il y a des risques d'instrumentalisation volontaire ou complètement involontaire. »
Sabine Lavorel, enseignante-chercheuse en droit public à l’Université Grenoble Alpes et co-présidente du comité opérationnel de la convention citoyenne de la métropole de Grenoble-Alpes
La formation des citoyens est essentielle. Au début de la convention de Grenoble, « les niveaux de connaissances sur le changement climatique étaient très différents », confirme Sabine Lavorel. La première des six sessions organisées était dédiée à l’information par des experts, que le Comop a sélectionnés pour leur fiabilité et la solidité de leurs travaux. « Nous avons compris que tout était tellement enchevêtré que les solutions miracles n’existent pas », raconte Nicolas Chartrain, consultant indépendant de 49 ans qui a participé à la convention de Grenoble. « Les centrales nucléaires, par exemple, sont décarbonées. Mais ce n’est pas si simple que ça : elles entraînent des conflits d’usage de l’eau », illustre-t-il.
Peu de radicalité dans les propositions
Cette formation était d’autant plus importante à Grenoble que les citoyens avaient été sélectionnés pour représenter la population en termes de sensibilité au changement climatique. Ils n’étaient donc pas tous connaisseurs ! Ce critère de sensibilité a été ajouté au genre, à l’âge, la catégorie socio-professionnelle, au niveau de diplôme et à l’adresse, afin de mieux assurer la représentativité de la population et garantir la légitimité de la convention. « C’est hyper important que le choix des citoyens ne se fasse pas sur la base du volontariat et soit représentatif », abonde Nicolas Chartrain. « Sinon, ne viennent que des gens qui ont envie de faire passer leurs propres idées ».
Au contraire, à Grenoble, « nous nous sommes retrouvés entre personnes qui étaient prêtes à échanger, nous étions dans l’écoute et le partage », raconte-t-il. Il l’explique par la méthode de travail. Les citoyens se réunissaient par petits groupes de trois ou quatre personnes, avant une mise en commun des réflexions. Un moyen de permettre à chacun d'avoir la possibilité de s’exprimer, même parmi les plus timides.
La discussion a-t-elle permis un consensus des participants ? Certainement, estime Nicolas Chartrain, qui décrit une « négociation » : « sur certains sujets comme la voiture, quelqu'un pouvait dire “ça je ne lâche pas, c’est trop important, mais je suis prêt à accepter à faire un effort si tu acceptes ma proposition sur d’autres sujets” ». Les propositions inscrites dans le rapport ont été votées par 60 % des participants, un « consensus fort », affirme-t-il.
La méthode de la convention grenobloise a conduit à « beaucoup de nuances dans les propositions, le terme “imposer” apparaît assez rarement », continue Nicolas Chartrain. « Nous ne sommes pas dans la radicalité mais dans quelque chose de beaucoup plus édulcoré, nous ne proposons que des choses qui sont facilement acceptables, par le plus grand nombre », indique-t-il. C’était l’objectif, appuie Sabine Lavorel. « La plupart des recommandations sont déjà connues, parce qu’il y a énormément de publications sur le sujet. Un certain nombre reprennent des actions déjà engagées par la métropole » constate-t-elle. Mais « le but, ce n’est pas que des nouveautés apparaissent, mais que les citoyens disent “cette solution est acceptable pour moi” ».
Un effet « tâche d’huile »
« En termes de sensibilisation, l’exercice a été très productif », poursuit la chercheuse. « La lutte contre le changement climatique implique un tel changement de comportement au niveau individuel et collectif que l’information ne suffit pas, ça ne peut passer que par l’investissement des citoyens dans la décision publique ». Nicolas Chartrain donne l’exemple de ceux et celles qui sont devenus végétariens. A ses yeux, l’utilité de la convention réside précisément dans cet « effet tâche d’huile ». « Au début de la convention, on nous a expliqué que 50 % de nos émissions sont importées et liées dans nos modes d’achats », raconte-t-il. Cette information a conduit à des changements de comportements chez les citoyens et dans leur entourage. « Nous avons aussi obtenu une légitimité qui permet d’engager un dialogue avec les autres citoyens, non impliqués dans la convention, qui sont très réceptifs. Nous échangeons d’égal à égal et nous arrivons à les sensibiliser, certainement de façon bien plus efficace que quand le discours vient des élus », affirme-t-il.
« Nous avons aussi obtenu une légitimité qui permet d’engager un dialogue avec les autres citoyens »
Nicolas Chartrain, participant à la convention de Grenoble et membre de son comité de suivi.
« Le travail qui a été fait localement est regardé par d'autres zones du territoire, comme Angers, Bordeaux ou Marseille », ajoute-t-il. Certes, l’impact en termes d’atténuation des émissions de gaz à effet de serre est minime à l’échelle de la métropole : « les décisions extrêmement importantes sont prises au niveau européen et national », confirme Philippe Quirion. En revanche, l’adaptation ne peut se faire qu’au niveau local. Les métropoles détiennent aussi des compétences pertinentes sur les questions écologiques comme les transports ou les déchets. Et il est plus facile d’interpeller les élus locaux que nationaux, pour s’assurer des suites de la convention. « On est à la bonne échelle à ce titre », considère Nicolas Chartrain. Avec quelques citoyens, ils tentent de réunir les parlementaires de l’Isère afin d’essayer de trouver des mesures qui pourraient être portées collectivement. Pour qu’une convention fonctionne bien, il faut choisir des territoires du quotidien, où les citoyens travaillent et habitent, mais surtout où ils votent, abonde Philippe Quirion.
Les suites données à la convention, c’est un enjeu central pour montrer que ce travail chronophage et coûteux n’a pas été vain, d’où l’importance de la création d’un comité de suivi, comme à Grenoble ou en Occitanie. Et surtout, d’une réaction des élus, pour que le rapport se traduise par des mesures concrètes. À Grenoble, 54 millions d’euros sont dédiés à des programmes issus de la Convention dans le budget 2024.
Célia Szymczak