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Par Carenews INFO - Publié le 30 avril 2024 - 10:00 - Mise à jour le 7 mai 2024 - 10:51 - Ecrit par : Elisabeth Crépin-Leblond
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Dans l’agriculture biologique, une crise sans précédent depuis 3 ans

Alternatives au système conventionnel, les labels biologiques promeuvent un modèle d'agriculture sans produits chimiques de synthèse ni OGM, avec pour volonté de préserver l’environnement et la santé humaine. Mais le modèle, reconnu en France depuis 1981, traverse depuis trois ans une crise sans précédent. Décryptage.

En 2023, Biocoop a dû fermer 39 magasins. Crédits : Biocoop
En 2023, Biocoop a dû fermer 39 magasins. Crédits : Biocoop

 

« Depuis trois ans, on se pose chaque année la question de faire marche arrière », témoigne Emmanuel Courtier. L’agriculteur, cultivateur de légumes de plein champ, de céréales et de luzerne dans la Somme a commencé la transition de ses deux exploitations vers l’agriculture biologique il y a dix ans, avec sa femme et son fils. Un travail étalé sur six ans qui  « comprend beaucoup de contraintes », affirme-t-il, à la fois agronomiques et réglementaires.

À l’époque, le marché du bio est à plus de 10 % de croissance annuelle et les aides de l’Union européenne incitent à la conversion.

Le développement économique de la filière motive les trois associés, aussi poussés par une volonté de produire des aliments plus sains et d’entretenir une activité plus respectueuse de leurs sols et de la biodiversité. La conversion pose de nombreux défis, confie Emmanuel Courtier, mais a du sens pour eux. « On croit en ce qu’on fait », assure l’agriculteur.

 

L’arrivée de la crise en 2020-2021

Jusqu’à la crise du Covid « tout allait bien », se souvient-t-il. Les deux exploitations réussissent à se tailler une place dans le secteur bio. Mais deux mois après le début du premier confinement, le marché se renverse nettement et les volumes de vente des légumes bios commencent à baisser. 

Après des années de croissance, les achats des légumes bios baissent de 9 % en 2021, ce qui fait passer les quantités achetées en dessous de leurs niveaux de 2019, selon l’Insee. Le déclin de la demande continue les années suivantes, alimenté par l’inflation, tandis que l’offre augmente, achevant d’entériner la crise.

Aujourd’hui, la situation économique est délicate, assure l'agriculteur. « On gagne moins qu’avant. On tient bon car on ne fait pas de déficit mais les prix et donc la rentabilité ont chuté », explique-t-il. 

Autour de lui, dans cette région de grande culture, « il n’y a plus grand monde qui se convertit en bio », soutient-il. Certains exploitants qui avaient entamé une conversion décident même de rétropédaler.

 

Le bio équitable aussi impacté

Le constat est similaire chez Christelle Garnier, cultivatrice de céréales dans l’Yonne, membre depuis 5 ans du conseil d’administration de la coopérative Biocoop et vice-présidente du label « Bio Équitable en France », créé en 2020.

L’agricultrice a repris en 2004 l’exploitation familiale avant d’entamer sa conversion vers l’agriculture biologique en 2007. Confrontée de plein fouet à la crise, elle confie que « sans aide, cela risque d’être compliqué ».

Cocebi, la coopérative de producteurs céréaliers 100 % bio dont fait partie Christelle Garnier, vend désormais 16 % de sa production en label Bio Équitable en France. « Le reste, on vend comme on peut. On est obligé de déstocker en Europe », explique l’agricultrice qui fait partie d’un des secteurs les plus frappés par la crise.

L’association du label Bio Équitable en France, portée par plusieurs organisations de producteurs alliées à des entreprises de la bio, défend une agriculture à la fois biologique et mieux-disante en termes de commerce équitable.

Néanmoins dans le contexte de l'inflation, « il a fallu que tout le monde fasse des efforts », explique Christelle Garnier. Les critères, notamment le calcul des prix à partir des coûts de production, ont été conservés mais les marges et les primes versés au producteur ont été réduites pour que les produits puissent rester accessibles au consommateur.

Pour continuer à exister, le label souhaite que l’État aide les acteurs du commerce équitable à rester dans les prix du marché. Des revendications qui font écho à celle des agriculteurs conventionnels en février dernier, soutient la vice-présidente du label.


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Le marché du bio prisonnier « d’un effet ciseaux » 

Pour Christelle Garnier, la crise est la résultante d’une augmentation des conversions en bio couplées à des récoltes très abondantes. « La surproduction nationale de la bio a complètement désorganisé les filières de production », affirme-t-elle.

D’une manière générale, le marché de l’agriculture biologique a été victime d’un « effet ciseaux » ces trois dernières années. La demande, impactée par l’inflation, a chuté au moment où l’offre s’est élargie, résultat des conversions d’exploitations entamées au minimum trois ans auparavant.

« Dès 2017, la croissance annuelle des produits bio a été moins importante », décrit Magali Catteau, chargée d’études agriculture biologique aux Chambres d’agriculture France. En 2021, la crise apparaît réellement avec un basculement qui s’opère dans les ventes. 

Le marché du bio enregistre ainsi une perte de son chiffre d’affaires de 172 millions d’euros en 2021 par rapport à 2020, et de 585 millions d’euros en 2022 par rapport à 2021.

Le nombre d’exploitations en production biologique en France est quant à lui passé de 28 814 en 2015 à 60 483 en 2022, selon l’Agence Bio. Dans la même période, les surfaces en production biologique sont passées de 1 315 680 à 2 876 053 hectares faisant passer leur part dans la surface agricole utilisée française (SAU) de 4,88 % à 10,44 %

Les prix des produits labellisés bios, en surnombre, chutent pour les producteurs et certains agriculteurs sont même contraints de vendre leurs productions à des prix conventionnels malgré leurs coûts de production plus élevés que dans l’agriculture conventionnelle.


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Une perte de confiance dans le label bio

La baisse de la demande s’explique aussi « par des raisons plus structurelles », analyse Magali Catteau. Parmi elles, la multiplication des labels, qui engendre une nouvelle concurrence pour les produits biologiques. « Certains ont des promesses plus claires que le label bio pour le consommateur, comme l’affirmation “zéro pesticide”, ou défendent d’autres valeurs comme la rémunération juste des producteurs sans être biologiques », détaille la chargée d’études.

Le baromètre mené par la société Obsoco pour l’Agence Bio en 2023 rapportait ainsi que 62 % des consommateurs estimaient que le label bio était marketing. L’Agence Bio estimait également en 2022 que 73 % des pertes du bio en valeur allaient vers d’autres offres labellisées.

La situation peut s’expliquer par une communication plus réduite du label bio, installé depuis longtemps et dont le marché avançait sûrement jusqu’en 2021. « Il est aussi plus compliqué de communiquer sur un cahier des charges qui fait référence à des pratiques agronomiques », ajoute Magalie Catteau.

Les contraintes des autres labels sont aussi parfois plus légères, ce qui achève de les rendre plus compétitifs en termes de prix.

 

Une fin de crise difficile à trouver

Or, les produits issus de l’agriculture biologique comportent certains coûts de production incompressibles. 

« Le bio est un marché un peu à part », explique Emmanuel Courtier. La société agricole familiale est passée, depuis la conversion en bio, de trois à sept salariés travaillant à temps complet toute l’année, auxquels s’ajoutent environ 25 saisonniers durant les deux mois et demi d’été. 

La main d'œuvre, essentielle dans l’agriculture biologique en l’absence de produits chimiques de synthèse, ne permet pas de vendre à des prix trop faibles, assure l’agriculteur qui vend ses productions à des négociants ou à des coopératives.

Aujourd’hui les deux exploitations fonctionnent surtout grâce à la production de légumes, un secteur porté par des prix soutenus en conventionnel. Mais, « il suffirait d’une année de production très généreuse pour que les prix tombent bas dans le secteur conventionnel. On ne sait pas alors comment le bio réagira. Si les prix s’effondrent, nous serons contraints d’arrêter », s'inquiète l’agriculteur. 

Christelle Garnier de son côté espère une prise de conscience des consommateurs, notamment sur les pesticides, qui les conduirait à acheter davantage de produits labellisés biologiques. Signe d’espoir pour le secteur, en février, Biocoop, qui a dû fermer 39 magasins en 2023, disait percevoir des signes de reprise et une croissance positive.

Pour Magali Catteau, il y a un risque néanmoins que la crise crée un traumatisme chez certains agriculteurs et éleveurs déconvertis à la suite de celle-ci. « La filière des porcs bios est une de celles qui a le plus souffert », affirme-t-elle. De quoi constituer un potentiel frein aux objectifs nationaux qui prévoient d’atteindre 18 % de SAU bio pour 2027. Le Pacte vert européen pose quant à lui l’ambition de 25 % de SAU en bio dans l’Union européenne d’ici 2030.

La part de stock encore importante continue également de soutenir la baisse des prix pour les producteurs même en cas de reprise des ventes, explique la chargée d’études.

Le gouvernement de son côté a annoncé en février une revalorisation de 40 millions d’euros de l’aide d’urgence pour les producteurs bios en difficulté, portant à 90 millions le montant du fonds destiné à soutenir l’agriculture biologique. Une décision validée début mars par la Commission européenne.

 

Élisabeth Crépin-Leblond

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