Dans un essai, la directrice générale de Foodwatch attaque les dérives de l’industrie agroalimentaire, créatrice « d’une société de malbouffe »
Dans Les Dangers de notre alimentation. Dérives et conséquences du système agroalimentaire sur nos vies, Karine Jacquemart dénonce « un système à deux vitesses » qui privent les plus précaires d’une alimentation de qualité. Des solutions existent pourtant, plaident à ses côtés le nutritionniste Serge Hercberg ainsi que Pauline Scherer et Mikaele Moine Cérame, toutes deux impliquées dans la caisse alimentaire commune de Montpellier.

Karine Jacquemart a choisi la salle du « consulat », une ancienne usine du 11e arrondissement de Paris réaménagée en un café militant, pour célébrer la publication de son essai Les Dangers de notre alimentation. Dérives et conséquences du système agroalimentaire sur nos vies, paru le 5 mars aux éditions Payot.
Celle qui dirige l’association Foodwatch France depuis maintenant neuf ans, après être passée par Greenpeace et Action contre la faim, présente son premier ouvrage comme « un cri de colère d’une citoyenne » contre un « système inacceptable ». Dans son viseur, les dérives de l’industrie agroalimentaire, dont elle dénonce les conséquences néfastes sur la santé humaine, l’environnement et la justice sociale.
Auprès d’elle, lors d’une table ronde qu’elle anime avec conviction, sont présents le médecin nutritionniste Serge Hercberg, professeur émérite à la Sorbonne et concepteur du nutriscore, ainsi que la sociologue Pauline Scherer, qui coordonne la recherche et les expérimentations au sein de l’association montpelliérienne Vrac et Cocina. Mikaele Moine Cérame, une retraitée qui a pris part à l’expérimentation de caisse alimentaire commune de Montpellier, prend également part à la discussion.
L’accès à une alimentation saine et abordable, « un droit fondamental bafoué »
« Il faut un peu secouer le système, ne pas accepter l’inacceptable », attaque d’emblée la directrice générale de Foodwatch France. Face au « constat général d’une société de malbouffe », Karine Jacquemart plaide pour l’accès de tous à une alimentation saine et abordable. Un droit « plus que fondamental », mais loin d’être garanti pour l’ensemble de la population, rappelle-t-elle.
« Un agriculteur sur six vit en-dessous du seuil de pauvreté, tandis que la grande distribution contrôle 70 % du marché alimentaire », décrit Karine Jacquemart. Pour la directrice de Foodwatch France, dont l’objet est d’enquêter sur la réalité de l’industrie agroalimentaire et de militer contre les dérives sanitaires dans le secteur, il existe aujourd’hui « un système à deux vitesses » qui opère des marges fortes sur les produits les plus sains et en prive ainsi l’accès à des milliers de personnes aux revenus les plus faibles.
En début d’année, l’association a par exemple publié une enquête révélant que sur plus de 400 produits analysés dans 12 catégories alimentaires différentes, 99 % des produits les moins chers appartiennent à des marques distributeurs et sont systématiquement plus sucrés que les produits les plus chers du même rayon.
« Les personnes en situation de précarité n’ont pas le choix, alors que les petits prix ont un coût sur la santé et sur la dignité qui se chiffrent à des milliards d’euros », dénonce Karine Jacquemart, tout en affirmant que cette situation « n’est pas une fatalité ».
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L’alimentation, un enjeu de santé publique
« La nutrition est un facteur majeur qui intervient dans le déterminisme des maladies chroniques », abonde en ce sens Serge Hercberg. Pour le médecin nutritionniste et ancien membre du Haut conseil de la santé publique, l’alimentation est « un levier sur lequel il est possible d’agir » pour prévenir de nombreuses maladies. « Nous en savons suffisamment aujourd’hui pour traduire les connaissances scientifiques en actions de santé publique, mais nous nous heurtons à un manque de volonté politique et à des intérêts économiques », estime-t-il.
Pendant des années, l’action publique s’est limitée à des actions de pédagogie. Aujourd’hui, nous ne pouvons plus porter uniquement la responsabilité sur les individus. Il est nécessaire d’agir sur l’environnement alimentaire.
Serge Hercberg appelle notamment à « une révolution culturelle dans le champ de la nutrition ». « Pendant des années, l’action publique s’est limitée à des actions de pédagogie. Aujourd’hui, nous ne pouvons plus porter uniquement la responsabilité sur les individus. Il est nécessaire d’agir sur l’environnement alimentaire », soutient-il.
Son propos vise à engager davantage les pouvoirs publics, actuellement rétifs à mettre en place certaines mesures comme la nouvelle version de l’étiquetage nutritionnel nutriscore. Ce dernier, plus sévère à l’égard des produits transformés par l’industrie agroalimentaire pour tenir compte de travaux scientifiques récents, est défendu également par Foodwatch contre l’avis de la ministre actuelle de l’agriculture Annie Genevard.
La caisse alimentaire commune de Montpellier, un exemple mis en avant
Pour l’association comme pour Karine Jacquemart, qui détaille des pistes de réflexion à la fin de son livre, des solutions existent afin d’améliorer le système alimentaire. Et il est urgent de les mettre en place.
« Pendant deux ans, j’ai dû me rendre à des distributions d’aide alimentaire mais je ne trouvais presque que des produits ultra transformés », témoigne ainsi Mikaele Moine Cérame, vivant une situation de précarité depuis la maladie de son mari et son placement dans un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ephad).
Par la suite, la retraitée a rejoint le comité citoyen de la caisse alimentaire commune de Montpellier, mise en place par l’association locale Vrac et Cocinas. Cette expérimentation permet à des adhérents d’acheter à prix coûtant des produits bios et locaux grâce à des commandes groupées, dans des établissements conventionnés. « Le système repose sur une cotisation libre et autodéterminée et le prix des produits est fixé par le producteur. C’est une façon innovante de reprendre notre vie en main », considère Mikaele Moine Cérame qui se réjouit désormais de pouvoir consommer davantage de fruits et légumes.
« L’idée est inspirée de la sécurité sociale de l’alimentation », explique Pauline Scherer. « L’objectif est de faire de l’alimentation un sujet de démocratie et de mettre en place un budget alimentaire garanti pour tous », détaille-t-elle.

Karine JACQUEMART, Les Dangers de notre alimentation, Payot, 2025, 240 pages
Élisabeth Crépin-Leblond