Des associations chiffrent « l’injuste prix de notre alimentation »
19 milliards d’euros sont dépensés chaque année par les pouvoirs publics pour réparer ou compenser les dégâts de notre système alimentaire, rapporte une étude publiée le 16 septembre. Ses auteurs appellent à un changement de paradigme politique en faveur d'une alimentation de qualité.
Combien coûte réellement une alimentation à bas prix mais de mauvaise qualité ? Selon une étude publiée le 16 septembre par le Secours Catholique, le réseau des centres d’initiatives pour valoriser l’agriculture et le milieu rural (Civam), le mouvement Solidarités Paysans, la Fédération française des diabétiques, et réalisée avec le bureau d’analyse sociétal d’intérêt collectif Basic, le prix réel de notre alimentation dépasse largement celui payé à la caisse.
Intitulée « L’injuste prix de notre alimentation », l’étude met ainsi l’accent sur « les coûts cachés de l’alimentation » en renseignant les effets négatifs sur la santé, l’environnement et la société de notre système agroalimentaire actuel et pris en charge par la puissance publique. Au total, 19 milliards d’euros sont dépensés chaque année par les pouvoirs publics pour réparer ou compenser les dégâts de notre système alimentaire, révèlent ainsi les auteurs.
Pour arriver à ce chiffre, l’étude a calculé les dépenses publiques effectivement engagées pour compenser ou réparer les impacts négatifs. « Les montants exacts ont été calculés selon la part de responsabilité estimée du système alimentaire pour ces impacts négatifs. Responsabilité elle-même identifiée à partir de données scientifiques existantes. Les montants retenus sont des montants a minima. Ils sont très en deçà de la réalité de ce que l’on paye », précisent ses auteurs citant par exemple l’absence de données disponibles sur l’impact des pesticides dans l’alimentation, les coûts pris en charge directement par les ménages et les acteurs économiques, et les impacts non quantifiables comme « le sentiment d’impuissance et d’angoisse à nourrir ses enfants correctement ».
La santé, première victime de notre système alimentaire
Le premier impact négatif de nos régimes alimentaires, constitués d’aliments de plus en plus gras, salés et ultra transformés, est celui sur la santé et sur le développement exponentiel de maladies reliées.
Sur l’ensemble des dépenses publiques comptabilisées par l’étude, 11,7 milliards d’euros par an sont ainsi engagés pour soigner « les maladies des mangeurs », comme le diabète, l’obésité ou encore les maladies cardiovasculaires. En vingt ans, le nombre de personnes diabétiques a augmenté de 160 %, pointe notamment l’étude.
« Si l’on y ajoute les maladies professionnelles liées à l’usage des pesticides, nous atteignons 12,3 milliards d’euros de dépenses pour la santé, sans que cela couvre la totalité des effets de la destruction de notre environnement sur notre santé », ajoute le document qui chiffre à 675 millions d’euros les dépenses consacrées pour les maladies professionnelles des acteurs du système alimentaire.
De l’autre côté, l’étude met en parallèle les 5,5 milliards d’euros investis en 2023 par les acteurs privés dans le marketing et la publicité sur l’alimentation, dont une grande partie est dédiée à de la nourriture industrielle. « 5,5 milliards, c’est plus de 1 000 fois le budget de communication du programme national Nutrition Santé, qui finance des campagnes de sensibilisation comme le célèbre “5 fruits et légumes par jour” », relèvent les auteurs de l’étude.
À cet impact sur la santé physique, s’ajoute le coût mental de ne pas pouvoir accéder à une alimentation de qualité. « Ce que les dépenses ne diront jamais, c’est la honte et le stress de ne pouvoir se nourrir par soi-même, et de nourrir ses enfants sainement. Ce sont l’isolement social et les problèmes de santé mentale, faute de pouvoir inviter amis ou petits-enfants à passer à la maison », mettent en avant les associations qui œuvrent auprès de personnes en situation de précarité.
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L’impact sur l’environnement, une dépense sous-estimée
Le coût caché de l’alimentation se retrouve également dans les dégradations causées à l'environnement par le système de production alimentaire moderne. Selon l’étude, les montants des dépenses publiques s’élevaient ainsi à 3,4 milliards d’euros en 2021 pour réparer les dégradations écologiques.
Ces dépenses concernent entre autres l’atténuation du changement climatique, la gestion des déchets, la dépollution de l’eau ou encore la prise en charge des maladies liées à la pollution de l’air, chacun de ces facteurs étant considérés par l’étude au prorata de la responsabilité de notre système agricole et alimentaire.
Les dépenses publiques liées à l’impact du système agricole sur la biodiversité sont quant à elles estimées à 418 millions d’euros. « Cette somme ne traduit pas le réel déclin de la biodiversité en France. Une politique publique à hauteur de l’enjeu se matérialiserait probablement par une hausse importante des crédits alloués à la protection de la biodiversité et donc à une hausse « du coût » de l’impact sur la biodiversité », analyse les auteurs de l’étude.
Le déclin de la biodiversité se manifeste par des pertes concrètes enregistrées par les scientifiques. En quinze ans, les oiseaux des champs ont disparu de 30 %, rappellent-ils par exemple. Entre 2010 et 2021, 437 captages d’eau potables ont été abandonnés en raison des nitrates et pesticides en France, ajoute l’étude.
L’alimentation, un choix politique « à rebâtir »
D’un autre côté du tableau du système alimentaire, l’étude rappelle que 18 % des agriculteurs français vivent sous le seuil de pauvreté et ne parviennent pas à tirer un revenu décent de leur travail. Ces derniers encourent également deux fois plus de risque de suicide que le reste de la population.
« Du point de vue du coût des impacts sociaux, nous dépensions 3,4 milliards d’euros en 2021 pour compenser la faiblesse des rémunérations dans le secteur agricole et tout au long de la chaîne », analyse l’étude qui pointe encore « l’épuisement physique et mental des paysans et paysannes pris dans la course aux gains de productivité, ou de ceux et celles qui travaillent dans les abattoirs ».
Pour les auteurs, les dégâts occasionnées par l’industrialisation croissante risquent de s’accumuler au fil des années. Loin d’être une fatalité, ce système alimentaire est pourtant nourri par des choix politiques qui peuvent être modifiés, mettent-ils en avant.
En 2021, 48, 3 milliards d’euros de soutiens publics ont ainsi été versés pour soutenir notre système agricole et alimentaire par le biais de subventions, d’achats directs et d’exonérations fiscales ou sociales, indique l’étude. « Ces soutiens ne sont pas neutres : en consolidant la rentabilité des acteurs économiques, et en fonction de leurs cibles et de leurs conditionnalités, ils aident à structurer le système alimentaire et à orienter son fonctionnement », analysent ses auteurs qui appellent à « rebâtir le contrat social » autour de l'alimentation.
Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’objectif défendu par les pouvoirs publics a été celui d’une alimentation abondante, relativement bon marché et sûre d’un point de vue sanitaire, atteint par une industrialisation en amont et en aval du système alimentaire, met en avant l’étude.
« C’est ce contrat social, pertinent au sortir de la guerre, qu’il nous faut rebâtir aujourd’hui », concluent les auteurs face aux chiffres calculés. Parmi les solutions envisagées, se retrouvent notamment la régulation du commerce international, un meilleur encadrement de la publicité, la revalorisation des revenus des plus pauvres ou encore le soutien à l’agroécologie.
« Les champs sur lesquels sont investies nos quatre associations – la lutte contre la précarité alimentaire, le soutien social aux paysans, la santé et la promotion de pratiques agricoles plus écologiques – ne peuvent plus être traités l’un sans l’autre, encore moins érigés l’un contre l’autre », défendent les associations.
Élisabeth Crépin-Leblond