Des entreprises divisées sur la mobilisation pour les législatives
Si plusieurs organisations et chefs d’entreprise appellent à voter contre l’extrême droite, d’autres considèrent qu’il faut mettre sur le même plan le Rassemblement national et le programme de gauche du Nouveau Front populaire.

Accorder deux demi-journées de congés aux salariés pour leur permettre de s’engager dans des initiatives ayant vocation à lutter contre l’abstention : c’est le choix de l’entreprise Omie, qui distribue des produits d’épicerie durables. Elle diffuse aussi cette semaine une campagne de communication sur les réseaux sociaux destinée à rappeler l’importance du vote et des politiques publiques sur les enjeux de transition sociale et environnementale.
« Nous sommes convaincus que l’entreprise a un rôle à jouer dans la transition. C’est un lieu de sociabilisation et de politique, même si c’est apartisan », raconte Joséphine Bournonville, cofondatrice de l’entreprise, qui a été à l'initiative de cette mobilisation avec les autres cofondateurs. Leur démarche a été « très bien reçue par les salariés, elle reflète nos valeurs internes », ajoute Joséphine Bourneville. « C’est apartisan mais je n’ai pas de problème à dire que le Rassemblement national [RN] a un programme qui n’est pas du tout compatible avec les enjeux », poursuit-t-elle. Une position claire, issue d’une entreprise à impact de 24 salariés. Mais loin d’être partagée dans l’ensemble du monde économique.
Appels au vote contre l’extrême droite
Certains choisissent de se positionner encore plus franchement contre le RN. C’est le cas des entreprises de l’économie sociale et solidaire (ESS) : leur chambre représentative, ESS France, a publié le 13 juin une résolution adoptée à l’unanimité par l’Assemblée générale appelant à voter contre l’extrême droite. Le Mouvement Impact France (Mif), organisation qui rassemble des entreprises engagées, a aussi publié un communiqué le 12 juin indiquant qu’une « victoire de l’extrême droite signifierait un déclin économique de la France ». Le Mouvement impact France comme ESS France soulignent les conséquences très concrètes d’une arrivée au pouvoir du RN sur les entreprises engagées et de l’ESS. Un gouvernement d’extrême droite « empêchera toutes ces transformations d’intérêt général », affirme le Mif. « Partout où l’extrême droite a pris le pouvoir, elle s’est attaquée à la société civile organisée », ajoutent ESS France.
Une autre tribune, initiée par l’indépendant Thomas Burbidge, a été signée par plus de 800 entrepreneurs. « Il y a urgence que les entrepreneurs du pays sortent de leurs postures dépolitisées et silencieuses pour prendre leurs responsabilités », écrivent-ils, appelant à voter contre le RN. Le Centre des jeunes dirigeants (CJD), un mouvement d’entrepreneurs se définissant comme « engagés et humanistes », appelle à voter sans mentionner de parti. Le communiqué qualifie toutefois le vote de « décisif, à l’heure où les partis d’extrême droite atteignent des niveaux de suffrages historiques ».
D’autres voix se sont exprimées à titre individuel dans les médias et sur les réseaux sociaux. « Ne laissons pas à l'extrême droite l'opportunité de mener une politique écocidaire et fratricide pour se rendre compte de leur incompétence », alerte sur LinkedIn la directrice impact et RSE de l'entreprise Yves Rocher, Alexandra Ferré. « La RSE ne peut pas s’affranchir de la politique », affirme-t-elle. « J'appelle donc tous les responsables économiques, leaders, dirigeant.es à oser sortir du silence pour faire barrage, une fois de plus, mais plus fort que jamais », écrit sur le même réseau Thomas Breuzard, co-président de l’ONG de certification des entreprises responsables B Lab France et directeur de l’entreprise engagée Norsys. Tous deux partagent par la même occasion le communiqué du Mouvement impact France. Quant à Mathieu Pigasse, banquier d'affaires et patron de presse, il a appelé à « tout faire pour faire barrage au Rassemblement national » et « à voter Nouveau Front populaire » sur France info, le 20 juin.
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La gauche perçue comme une menace
Plutôt que le barrage à l'extrême droite, c'est surtout le positionnement sur le Nouveau front populaire qui divise les entrepreneurs. Ainsi, Philippe Zaouati, membre du conseil d’administration d’Impact France, a décidé de quitter sa fonction après la publication du communiqué. Il considère que le mouvement aurait dû condamner l’« extrémisme de gauche ». « Le programme du RN est dangereux pour l’économie française, la croissance et l’emploi, celui du Nouveau front populaire l’est tout autant, voire plus », a déclaré le président du Medef, Patrick Martin, dans un entretien au Figaro le 20 juin. La Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) dénonce aussi le programme du Nouveau Front populaire. Elle l’estime « inquiétant » et « pas sérieux » dans un communiqué publié le 14 juin.
L’élection « crée un risque inédit que notre pays soit gouverné dans les prochaines semaines par des forces qui proposent le repli, la fermeture et la régression, ou bien par des forces qui invitent à la confrontation, à la division et à des transformations radicales de notre économie », écrivent 73 responsables d’entreprises signant à titre personnel une tribune dans Les Echos le 19 juin. Pour les signataires, la victoire de ces forces politiques - qui ne sont pas explicitement nommées - menacerait les « acquis » économiques de la France. « La priorité est à l’intégration européenne, à la diversité des talents et à l’attractivité des financements internationaux. Pas au retour du nationalisme ni à la tentation des extrêmes ou au repli sur soi », avance l’association de start-ups France Digitale, dans une tribune publiée le 13 juin appelant au vote sans mentionner de parti.
Avec ces positionnements, les entreprises outrepassent-elles leur fonction économique ? Ce n’est pas si sûr. 54% des salariés considèrent que les entreprises devraient inciter leurs employés à aller voter, selon un sondage Odoxa pour Entreprise & progrès réalisé fin mai. Et 56 % des répondants estiment qu’elles ont un rôle pour « changer les choses en France ».
Célia Szymczak