Au congrès d’ESS France, la menace de l’extrême droite dans toutes les têtes
Les acteurs de l’économie sociale et solidaire se réunissaient les 12 et 13 juin à Paris lors du congrès national organisé par ESS France à l'occasion des 10 ans de la loi ESS. Mais le programme et les discours ont été chamboulés par les résultats des élections européennes et l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale.

Au congrès national d'ESS France, les personnes présentes devaient célébrer les dix ans de la loi relative à l’économie sociale et solidaire. Fêter la passation de pouvoir entre le président sortant Jérôme Saddier et son successeur Benoît Hamon. Mais il n’est pas vraiment question de joie. Le congrès débute à Paris le 12 juin, trois jours après la victoire de l’extrême droite aux élections européennes et l’annonce par Emmanuel Macron de la dissolution de l’Assemblée nationale, ouvrant la porte à l’arrivée au gouvernement du Rassemblement national (RN).
Dès l’ouverture, Jérôme Saddier prononce un discours grave et déterminé. « Nous voici projet contre projet », affirme avec fermeté le président sortant d'ESS France. S’il se félicite que les représentants de l’ESS n’aient pas tous les mêmes convictions politiques, il constate une « incompatibilité entre ce que nous défendons et ce que promet l’extrême droite ».
À lire aussi : Les acteurs de l'engagement se mobilisent contre l'extrême droite
L’ESS comme réponse à « l’obscurantisme »
Jérôme Saddier salue la vision de la société commune aux acteurs du secteur, caractérisée par un « humanisme forcené » qu’il oppose à la xénophobie. « Il est avéré que le vote RN libère le racisme », dénonce-t-il, appelant les dirigeants de l’ESS à agir contre l’extrême droite. « L’ESS ne peut pas être partisane, il ne s’agit pas de donner des consignes de vote (...). Mais [elle] ne peut pas être neutre quand il s’agit d’atteintes délibérées à l’État de droit, à la justice sociale, à l’égalité entre les personnes en raison de leur genre et de leurs origines ».
« Nous travaillons à un monde meilleur, continue-t-il. Il suffit de le dire fort pour recommencer à gagner du terrain sur l’obscurantisme, sur l’injustice et sur l'égoïsme ». Jérôme Saddier conclut en évoquant son successeur Benoît Hamon. « Je suis sincèrement fier qu’il ait été choisi par le conseil d'administration d’ESS France », déclare-t-il, saluant ses « atouts déterminants pour la période qui s’ouvre, celle de nouvelles ambitions pour l’ESS bien sûr, mais aussi potentiellement celle de la résistance ».
Tous les secteurs de l’ESS concernés
Le programme de la table ronde organisée à la suite de son intervention a été chamboulé après l’annonce des résultats des élections. Le débat porte donc sur la lutte contre l'extrême droite. Katy Lemoigne, membre du Conseil national de protection de l’enfance et directrice générale de l’association Chanteclair, s’inquiète des « reculs sur les avancées obtenues à la sueur de notre front » que causerait selon elle l’arrivée du RN au pouvoir. Vincent Carry, directeur de l’association Arty Farty et président du tiers lieu culturel La Gaîté Lyrique, à Paris, dénonce des mesures délétères pour la culture promues par les partis d’extrême droite en Europe, de la Suède à l’Italie en passant par les Pays-Bas.
Kamaldine Attoumani, président de la chambre régionale de l’économie sociale et solidaire (Cress) de Mayotte, est venu pour évoquer les conséquences de la prévalence de l’extrême droite dans le département. Il mentionne des « extrémistes se faisant appeler collectifs citoyens », responsables de blocages pendant la crise ayant eu lieu ces dernières semaines sur le territoire. Il accuse ces « groupuscules » du blocage d’un hôpital accueillant des étrangers, d’arrêter des ambulances afin de vérifier la nationalité des patients ou de refuser que des enfants en situation de handicap se rendent dans des établissement médico-sociaux. « Il y a quand même des raisons d’espérer », veut-il rassurer, citant notamment l’action des structures de l'ESS pour l’insertion sociale.
Les défis sont grands, mais notre force et notre potentiel sont encore plus grands".
Marion Lelouvier, présidente du Centre français des fonds et des fondations
Tout au long du congrès, le sujet de l’extrême droite n’est jamais vraiment absent des tables rondes. Tous les intervenants de celles du jeudi 13 juin matin, « Pour un travail du bien vivre » et « Pour une société juste et qui protège » font part de leur inquiétude. « Nous allons avoir besoin de vendre du rêve et pas que de la peur sur les trois semaines qui viennent », avance par exemple Joséphine Delpeyrat, la déléguée générale du réseau d’associations étudiantes Animafac. Elle rend hommage par la même occasion à la jeunesse engagée et mobilisée pour s’opposer au Rassemblement national.
Marion Lelouvier, présidente du Centre français des fonds et des fondations pointe pour sa part les effets négatifs d’une politique d’extrême droite et d’un « contexte social encore plus tendu » sur le mécénat. « Les défis sont grands, mais notre force et notre potentiel sont encore plus grands (...). La société idéale aux yeux des Français est finalement très proche de celle que nous portons », garantit-elle cependant.
Résolution contre l’extrême droite
Dans son long discours de clôture du congrès, Benoît Hamon rappelle le danger que représente l’extrême droite pour l’ensemble des structures de l’ESS. Il annonce ainsi la publication d’une résolution officialisant leur engagement contre l’extrême droite, votée à l’unanimité par l’assemblée générale d’ESS France. « Les entreprises citoyennes que nous sommes ne pouvaient pas rester à l’écart de ce combat-là, elles le disent avec beaucoup de clarté et beaucoup de force », résume le nouveau président de l'organisation représentative de l'ESS. Dans ce document, les acteurs de l’ESS revendiquent le fait de porter « des solutions concrètes d’alternatives positives qui font la preuve de la capacité de nos organisations à intégrer, insérer et répondre aux urgences sociales, climatiques et territoriales ».
En même temps que ce texte, ESS France publie un manifeste précisant la méthode « pour réussir le passage à l’échelle de l’ESS ». L’objectif : donner plus de poids à cette économie porteuse d’un modèle différent. « Nous sommes la forme la plus moderne de l’économie, revendique Benoit Hamon en conclusion. L’économie sociale et solidaire est la première à avoir pensé le lien entre l’économie, l’emploi, le social et l’écologie ».
Célia Szymczak