Des menaces sur le modèle non lucratif
Depuis plusieurs années, le modèle non lucratif français est mis à mal par les règles du marché européen. L’arrivée au pouvoir du Rassemblement national représenterait une menace supplémentaire pour les acteurs de l’intérêt général.
Défendre le modèle non lucratif : c’est déjà un défi pour les acteurs de l’économie sociale et solidaire (ESS) face aux règles de marché imposées par l’Union européenne (UE). Ce le serait encore plus si le Rassemblement national (RN) arrivait au pouvoir et remettait en question l’action des associations engagées sur des causes qui ne lui plaisent pas, qu’il s’agisse d’aide aux migrants, d’hébergement d’urgence ou de protection de l’environnement.
C’était aussi le thème de la table ronde de clôture de l’Atelier des fondations, l’événement annuel du Centre français des fonds et fondations (CFF), le 26 juin dernier.
Une logique croissante de marchandisation
Martin Bobel, représentant du Mouvement associatif au Conseil économique, social et environnemental (Cese), était l’un des deux rapporteurs de l’avis présenté récemment au Cese sur le financement des associations. L’avis s’est concentré plus précisément sur les associations relevant de l’intérêt général, qu’elles soient employeuses ou non. Rappelons que les associations d’intérêt général sont celles qui peuvent, au vu des critères fixés par l'administration fiscale (activité non lucrative, gestion désintéressée et cercle étendu de bénéficiaires), émettre des reçus fiscaux à destination de leurs donateurs et bénéficier des financements issus du mécénat.
Or, l’avis du Cese alerte sur la dégradation des conditions de financement de ces structures depuis une vingtaine d’années. Il insiste surtout sur la « marchandisation » que leur font subir les pouvoirs publics sous l’influence de l’Union européenne. La tendance est notamment de remplacer les subventions par des marchés publics, qui ont pour effet de mettre en concurrence les acteurs associatifs entre eux.
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L’avis formule plusieurs propositions pour sécuriser ces financements et permettre aux associations de continuer à jouer leur rôle central pour la vitalité démocratique de notre pays. « Dans cet avis, nous avons voulu souligner à quel point les associations d’intérêt général jouent un rôle essentiel dans notre système démocratique, car elles constituent l’un des vecteurs privilégiés de l’engagement des citoyens », souligne Martin Bobel. Il note également que l’avis a été adopté à l’unanimité du Cese, sans aucune abstention.
La doctrine française de l’intérêt général menacée ?
Que change une logique de marché pour les acteurs de l’intérêt général ? Le risque est précisément que les associations et les fondations finissent par perdre leur qualification d’intérêt général et la possibilité d'être financées par les pouvoirs publics ou par le mécénat privé pour les missions qu'elles assurent au service de l'intérêt général.
Comme l’explique Martin Bobel, « l’UE ne reconnaît pas la spécificité des associations ; elle les considère comme des entreprises comme les autres, qui doivent suivre les règles du marché, avec quelques possibilités de recevoir des subventions mais aux plafonds très bas. Pour l’instant l’exception de la doctrine d’intérêt général française continue d’exister, mais elle peut être mise à mal à tout moment si l’UE venait à considérer que les subventions versées aux associations sont désormais illégales. » Ce qui représenterait un risque important pour les acteurs non lucratifs français.
Francis Charhon, ancien directeur général de la Fondation de France, renchérit : « Nous devons nous battre en permanence avec Bercy pour qu’ils ne considèrent pas la doctrine sur l’intérêt général comme une niche fiscale, mais comme un investissement d’avenir. »
« Nous devons nous battre en permanence avec Bercy pour qu’ils ne considèrent pas la doctrine sur l’intérêt général comme une niche fiscale, mais comme un investissement d’avenir. » Francis Charhon, ancien directeur général de la Fondation de France.
Et si le RN arrivait au pouvoir ?
« Actuellement l'État entretient une distance mesurée avec le travail des associations et des fondations, ajoute Benjamin Blavier, délégué général du CFF. Il n’est pas très enthousiaste mais ne fait pas non plus preuve d’une forte hostilité. Mais si le RN arrivait au pouvoir, les risques seraient très forts. Le contrat d’engagement républicain (CER), notamment pourrait être utilisé pour attaquer certaines associations qui ne lui plairaient pas. »
« Si le RN arrivait au pouvoir, les risques seraient très forts. Le contrat d’engagement républicain (CER), notamment pourrait être utilisé pour attaquer certaines associations qui ne lui plairaient pas. » Benjamin Blavier, délégué général du CFF.
Il ajoute que « les organisations à but non lucratif sont un trésor national qu’il faut absolument préserver. Elles permettent de prendre en charge le dernier kilomètre de l’action publique, qui ne peut être assuré que par le service public ou par les acteurs non lucratifs. Qui plus est, nos organisations ont une capacité d’innovation et d’adaptation aux besoins sociaux que le service public n’a pas. »
Camille Dorival