(Entretien) Les cinémas associatifs, Prix du Livre sur l’ESS 2023
Avec sa coautrice Mathilde Rolland, Lola Devant est partie à la rencontre de nombreuses personnes impliquées dans des projets de cinémas associatifs pour comprendre leur façon de considérer le septième art. Interview.
Le Prix du Livre sur l’ESS, organisé par Le Toit Citoyen, a été remis ce 21 septembre. Dans la catégorie « Témoignage », Lola Devant et Mathilde Rolland ont été récompensées pour leur livre Les cinéma associatifs, un autre paysage des salles françaises (ed. Warm) . Les deux autrices sont parties à la rencontre d’une centaine de personnes impliquées dans de tels projets partout sur le territoire. L’objectif : mettre un coup de projecteur sur ces projets qui représentent un tiers des cinémas en France, essayer d’en dresser un portrait grâce à ces expériences vécues plurielles. Les entretiens sont complétés par des illustrations réalisées par Élise Kasztelan. Nous avons discuté avec Lola Devant, l’une des deux autrices qui est également programmatrice du festival Jeune Public au musée du quai Branly à Paris.
- Il existe une diversité de cinémas associatifs, de la salle qui va diffuser un film de temps en temps au multiplexe. Peut-on dresser le portrait du cinéma associatif ?
Près d’un tiers des 2 000 cinémas en France sont associatifs. C’est difficile de proposer une définition exacte car il existe de nombreuses formules différentes. Cependant, le cinéma associatif se caractérise par la place donnée à l’humain et le sens de l’accueil.
- Dans le livre, vous expliquez que les salles associatives se trouvent majoritairement là où les inégalités sociales sont importantes. Pourquoi ?
C’est une question de rentabilité. Les cinémas associatifs sont majoritairement implantés dans les toutes petites villes et les milieux ruraux. Ils s’installent là où les structures privées ne vont pas car il s’agit de lieux qui ne sont pas rentables.
- Beaucoup de témoignages parlent de l’ancrage particulier des cinémas associatifs dans le territoire. Pourquoi est-il aussi fort ?
Il y a souvent un sentiment d’appartenance plus fort que dans les autres salles de cinéma. Beaucoup de bénévoles sont impliqués. Il s’agit de personnes qui habitent le village ou la ville. Le cinéma va donc se construire autour de cela, en réseau local fort.
- Ce qui est frappant dans le livre c’est que beaucoup de cinémas ont un projet social fort. Comment ces projets se matérialisent-ils ?
Tous les cinémas associatifs ont une volonté sociale assez forte car ils ont tous cette dimension d’ancrage. Ils essaient de faire venir des publics éloignés et mènent tous des politiques d’action culturelle. Certains vont proposer une programmation généraliste pour toucher un grand public.
- Quels exemples de projet social vous ont marqué ?
Le Cinématographe à Nantes a fait le choix de passer uniquement des films de patrimoine,ce qui amène un public plutôt étudiant, très cinéphile. Par ailleurs, comme ils ont construit des liens importants avec la ville de Nantes et le département de la Loire-Atlantique, ils mènent en parallèle une politique sociale notamment auprès des scolaires. Ils coordonnent à l’échelle départementale les dispositifs « École et cinéma » et « Collège et cinéma ». Autre exemple, plusieurs cinémas proposent l’initiative du billet suspendu. En y venant, on peut mettre deux euros de plus sur le prix du billet. Cela permet d’offrir une place de cinéma à quelqu’un qui ne peut pas se le permettre. Enfin, de manière générale, il existe une politique d'accessibilité, puisque les cinémas associatifs ont en général des prix beaucoup plus faibles que les autres cinémas.
- Pourquoi le modèle associatif permet-il d’avoir une programmation différente, de montrer des films que l’on n’aurait pas montrés autrement ?
Le privé se doit de diffuser des créations qui sont susceptibles de marcher. C’est plus facile de passer des films comme Barbie ou Oppenheimer car on sait que l’on va faire salle pleine. En passant un documentaire de création qui dure trois heures, le cinéma n’est pas sûr de remplir sa salle. Mais comme les cinémas associatifs ne sont pas dans cette recherche de rentabilité, ils peuvent se permettre de faire des choix aussi forts que ceux-là.
- Est-ce dur de mener de tels projets ? Qu’avez-vous ressenti en menant ces entretiens ?
Les entretiens ont été effectués avant la crise du Covid, peut-être que des choses ont changé depuis. C’est difficile car cela demande un investissement humain très fort. Par ailleurs, se sont des gens passionnés par ce qu’ils font, qui croient en leurs projets.
- Est-ce que vous pensez que le cinéma associatif est un modèle d’avenir ?
Les salles alternatives qui se créent n’optent pas forcément pour la forme associative. Beaucoup d’exploitants s’intéressent à la forme coopérative avec la SCIC ou la SCOP, qui garde la dimension collective de l’associatif mais qui est peut-être plus structurée. Cependant, l’associatif est une forme qui reste attrayante.
Propos recueillis par Théo Nepipvoda