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Par Carenews INFO - Publié le 4 janvier 2024 - 14:19 - Mise à jour le 8 janvier 2024 - 09:57 - Ecrit par : Célia Szymczak
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Essor des startups numériques de santé mentale : un pari gagnant ?

Les solutions numériques pour la santé mentale semblent présenter un bon nombre d’avantages pour les patients. À condition de bien réguler leur mise en vente.

Certaines de ces solutions mettent les utilisateurs en lien avec des professionnels ou leur proposent des programmes personnalisés. Crédits : iStock.
Certaines de ces solutions mettent les utilisateurs en lien avec des professionnels ou leur proposent des programmes personnalisés. Crédits : iStock.

 

Petit Bambou est une application gratuite de méditation guidée. Sur Google Play, elle est la troisième la plus populaire dans la catégorie « santé et remise en forme » et elle a été téléchargée plus de cinq millions de fois. Les utilisateurs peuvent avoir accès à plus de contenu moyennant un abonnement de près de 60 euros par mois ou avec un achat unique de 240 euros. 

À ce jour en France, il existe une centaine de startups proposant des solutions numériques de santé mentale de ce type, selon la cartographie réalisée par le collectif MentalTech, créé en 2020 et dédié à l’émergence de ces solutions numériques. Elles mettent en lien les patients avec des psychologues, proposent des dispositifs de téléconsultation ou encore offrent aux utilisateurs la possibilité d’échanger avec leurs pairs. Leur essor est significatif, mais récent puisqu’elles ont en moyenne quatre ans et huit mois selon le collectif. 

 


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des enjeux préexistants à l'épidémie de covid-19

Pourtant, les problèmes de santé mentale sont bien plus anciens. Quelles raisons expliquent alors ce développement ? L’ampleur de ces troubles et la prise de conscience de la réalité de ces problèmes, avance David Labrosse, médecin spécialisé en santé publique et président de MentalTech. À cela s’ajoutent les avancées technologiques, qui rendent les solutions « plus performantes, plus efficaces et plus éthiques ». 

Dans ce contexte, l’épidémie de Covid-19 constitue un accélérateur. À ce moment, les troubles touchent davantage de personnes. S’opère aussi une « acculturation de l’ensemble de la population » à l’utilisation du numérique, en sus de la « levée de pas mal de verrous réglementaires et législatifs sur la consultation », précise Xavier Briffault, chercheur en santé mentale et spécialiste de la e-santé. La demande devient plus importante

 

Des startups comme Teale à la conquête du monde professionnel

En France, près d’un cinquième de la population est atteint de troubles de santé mentale. Un marché florissant ? C’est la perspective du cabinet de conseil Deloitte Global, qui écrivait en 2021 que « le marché potentiel de ces applications est considérable ». En France, les levées de fonds de la mental tech s’élèvent en tout à 16,9 millions de dollars en 2023. MentalTech identifie aussi un « un paysage ambitieux et prometteur pour le développement de solutions numériques innovantes dans le domaine ». Le ministère de la Santé et de la Prévention a par exemple attribué 25 millions d’euros au numérique en santé mentale dans le cadre de sa feuille de route santé mentale et psychiatrie en mars dernier. 

Mais les bénéfices ne sont pas (encore) là. Pour l’instant, les startups rencontrent des difficultés à trouver leur modèle économique. Les particuliers ne sont pas prêts à payer, la plupart des applications sont gratuites. « Le marché n’est pas très mature », appuie David Labrosse. « Beaucoup de ces acteurs courent après le remboursement de l’Assurance maladie, qui est difficile à obtenir », ajoute Xavier Briffault. Mais certains dispositifs pourraient y accéder prochainement. Et le spécialiste prévoit une dérégulation de l’offre de santé dans les années à venir, avec l’arrivée d’acteurs économiques lucratifs dans le secteur. Cela offrirait des perspectives importantes aux entreprises de la e-santé. 

 

« Beaucoup de ces acteurs courent après le remboursement de l’Assurance maladie, qui est difficile à obtenir. »

Xavier Briffault, chercheur spécialiste de la e-santé

 

L’opportunité économique se situe plutôt du côté des entreprises clientes : elles sont rendues responsables par le code du travail de la protection de la santé mentale de leurs salariés. La startup teale, qui a levé dix millions d’euros en août, illustre cette tendance. Elle propose une ligne d’écoute à destination des collaborateurs, à qui elle permet aussi de « faire le point » sur leur santé mentale ou d’accéder à des téléconsultations. Les services de ressources humaines disposent quant à eux d’un tableau de bord qui permet de suivre le bien-être de leur équipe. Enfin, teale peut organiser des ateliers collectifs de qualité de vie au travail. « Notre prix va de quelques dizaines de centimes à quelques euros par mois et par collaborateur. Il dépend du nombre de collaborateurs questionnés et des services que vous souhaitez leur offrir. », peut-on lire sur le site de la startup. 

 « Ce marché n’est pas encore totalement mature, mais va se confirmer dans les prochaines années, c’est là où l’argent se trouve », déclare David Labrosse. « Il y a des pressions sur les entreprises au sujet de la qualité de vie au travail », ajoute Xavier Briffault. 

 

L’enjeu de la protection des données

Quant à la prise en charge des questions de santé numérique par des acteurs lucratifs, elle est évidente pour les deux spécialistes. L’État manque de moyens financiers et humains, mais surtout de flexibilité et de compétences internes pour imaginer ce type de solutions innovantes, selon Xavier Briffault. Les associations, pour leur part, ne disposent pas d’une capacité de levée de fonds suffisante pour assurer l’investissement initial en recherche et développement « très important ». En novembre dernier, Callyope a levé 2,2 millions d’euros pour développer sa plateforme de télésurveillance basée sur la voix, qui estime à l’aide de l’intelligence artificielle l’évolution des symptômes de personnes souffrant de schizophrénie, de troubles bipolaires ou de dépression sévère.

Un des enjeux, toutefois, réside dans la possession par des entreprises privées de données personnelles dites sensibles. La réponse de MentalTech se trouve dans une charte éthique et déontologique qui engage les signataires à la « gestion et à [la] protection » des données en santé mentale. 

 

Une nécessaire régulation

Les avantages de ces solutions, pour les utilisateurs, sont multiples selon les spécialistes : amélioration de l’accès au soin, de l’autonomie des patients dans leur traitement, possibilité d’utiliser des outils de sensibilisation et de thérapie à domicile, amélioration du suivi et des échanges avec les thérapeutes. 

Les limites, selon Xavier Briffault, portent plutôt sur le fond que sur les outils en tant que tels. Les solutions numériques reposent sur les mêmes principes que les traitements psychiatriques mis en œuvre en cabinet, mais « plus il y a d’études d’efficacité [sur ceux-ci], plus on s’aperçoit que cette efficacité est trop faible pour résoudre le problème énorme des troubles mentaux », regrettera-t-il. Il s’arrête sur un cas particulier qui « n’apporte strictement rien » à ses yeux  : les solutions consistant à remplacer des professionnels de santé par des intelligences artificielles dites génératives. Il explique que ces intelligences artificielles ne sont pas capables de réaliser un raisonnement au même titre que les professionnels de santé, et de répondre aux besoins des patients.  

 

« Les inconvénients sont classiques dans toutes les stratégies thérapeuthiques qui ne sont pas contrôlées. »

Xavier Briffault, chercheur spécialiste de la e-santé

 

Quid des applications qui n’auraient pas de fondement scientifique et ne rempliraient pas les objectifs qu’elles s’assignent ?  « Les inconvénients sont classiques dans toutes les stratégies thérapeutiques qui ne sont pas contrôlées », juge Xavier Briffault. « Les solutions proposées par les applications peuvent être complètement absurdes, détourner du soin ou de l’accès à des professionnels », il faudrait donc mettre en place des stratégies de régulation adaptées. Pour cela, la charte d'engagement éthique et déontologique de MentalTech appelle notamment à instaurer des dispositifs de « numérico vigilance », qui, comme pour la « pharmacovigilance », préciseraient le caractère médical ou non médical des dispositifs de santé mentale avec l’appui des autorités sanitaires. Une manière de limiter les cas graves où la solution d’une entreprise aurait des effets néfastes sur la santé des patients.

 

Célia Szymczak  

 

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