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Par Carenews INFO - Publié le 29 avril 2021 - 09:00 - Mise à jour le 25 août 2022 - 09:39 - Ecrit par : Christina Diego
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Estelle Maruzzo (Cultures & Compagnies) : « Être respectueux des écosystèmes pour avoir un impact positif »

Estelle Maruzzo est la directrice générale de Cultures & Compagnies, une entreprise ESUS qui place l’agroécologie au cœur des zones périurbaines. Un projet innovant qui fait du bien aux maraîchers et aux habitants. Rencontre.

Interview d' Estelle Maruzzo sur le projet d'accompagnement en agroécologie.  Crédit : Cultures & Compagnies.
Interview d' Estelle Maruzzo sur le projet d'accompagnement en agroécologie. Crédit : Cultures & Compagnies.

 

  • Comment est né le projet de Cultures & Compagnies ?

Notre objectif chez Cultures & Compagnies est d'accompagner collectivités locales et entreprises à développer des projets de maraîchage agroécologique sur les zones vertes de leur site. Ce projet est né d’une idée de Claudio, mon associé. Claudio et moi ne sommes pas issus du monde agricole. Nous avons fait des études supérieures dans le management et après plusieurs années passées dans une PME pour ma part et au sein d’une startup digitale pour Claudio, nous nous sommes interrogés sur le sens de notre quotidien, de nos valeurs et de ce que nous faisions.

Nous avions envie de nous rapprocher de la terre et de nous engager dans un projet à un impact. Claudio s’est rendu compte le premier qu'il y avait une vraie douleur dans le monde agricole au niveau des porteurs de projets. Ils avaient des difficultés pour trouver du foncier sur lequel s'installer. Et des difficultés financières pour vivre décemment de leur activité après avoir dû s’endetter énormément pour démarrer leur activité. Le constat est parti de cette réflexion.

Nous avons donc réfléchi à un concept pour que toutes les parties soient gagnantes, les maraîchers et les porteurs de projets agricoles et les propriétaires fonciers que sont les entreprises et collectivités locales. Nous avons lancé l’entreprise Cultures & Compagnie en 2018 avec l’ambition de recréer des ceintures nourricières au plus proche des villes et des habitants avec un mode d’agriculture la plus respectueuse possible de la terre, du producteur et des consommateurs. 

 

  • Quel est le modèle spécifique de Cultures & Compagnies ?

Notre entreprise Cultures & Compagnies est une SAS labellisée ESUS, statut qui promeut notre volonté d’avoir un impact positif via notre activité. Nous sommes cinq personnes à plein temps entourés par des experts et des freelance à des moments précis du projet. Nous accompagnons les propriétaires fonciers à toutes les étapes du projet, de la phase de conception de la ferme, ensuite sur la partie de sa construction et au niveau de l’animation du site.

Nous visons des surfaces assez grandes, autour d’un hectare de terre, en zone périphérique des villes. Cela correspond à une surface relativement petite pour de l’agriculture, c’est un choix pour garantir la viabilité économique de l’exploitation avec la présence d’une personne à plein temps de façon pérenne.

Aujourd’hui, il existe plusieurs modèles d’installation dans le monde agricole. Il y a le mode d'installation classique avec un bail rural ou de fermage. L’exploitant s'installe sur un terrain et le loue au propriétaire foncier. Il va devoir investir dans le matériel nécessaire à son exploitation. Ce format est très protecteur pour l'exploitant, car il prend tous les risques. Et il est très difficile pour le propriétaire foncier de se séparer de cet exploitant au cas où il aurait un autre projet sur son terrain. 

Le second modèle est celui que nous portons chez Cultures & Compagnies, c’est l’idée de partager les risques entre le maraîcher et le propriétaire foncier. Nous demandons à ce dernier de mettre à disposition son terrain gracieusement et d’investir dans l’achat du matériel agricole nécessaire pour l’exploitation. Ensuite, c’est le maraîcher qui prend le risque de mener à bien l’exploitation. Des experts juridiques nous suivent pour convenir d’un montage peu courant qui est flexible et protecteur pour les deux parties.   

Enfin, la troisième installation est celle de la régie agricole, où tous les risques sont assurés par le propriétaire foncier. Il doit fournir tout le matériel agricole et salarier le maraîcher qui s’installe sur ses terres. Ce modèle entraîne pas mal de risques, notamment sociaux pour le maraîcher qui travaille souvent plus de 55 heures par semaine pour un salaire équivalent au Smic. Ce n’est pas forcément valorisant pour le travail de l'exploitant, mais cela lui assure un revenu constant. 

 

  • Quels sont les avantages de ce modèle ?

Nous sommes vraiment spécialisés sur ce modèle intermédiaire du partage de risques. C’est avantageux pour le maraîcher pour qui la mise à disposition des sols lui est garantie sur une durée de cinq à douze ans. Autres avantages : le maraîcher n’a pas besoin de s’endetter pour son installation au départ, avec l'achat conséquent de matériel. Il gère son temps de salariat et il profite d’une certaine sécurité grâce aux débouchés économiques possibles notamment par la commercialisation de ses produits en circuit court en étant installé à proximité des habitants de la zone périurbaine.

L’ entreprise ou la collectivité, quant à elle, reste propriétaire de son foncier et peut récupérer les sols quand elle le souhaite. C’est vraiment un partage des risques, au départ par l’entreprise ou la collectivité pour l'installation matérielle du maraîcher et ensuite par ce dernier dans l’exploitation de la ferme.   

Au moment de la phase de conception, nous étudions quels sont les enjeux et besoins des parties prenantes. Par exemple, pour une collectivité, il peut y avoir un enjeu productif dans le cas où elle souhaiterait approvisionner les cantines scolaires de son territoire. Des contrats entre le maraîcher et la cuisine centrale sont passés pour une production d’une certaine quantité de légumes. Pour d'autres projets, la dimension de productivité n’est pas la plus pertinente. Le maraîcher est dans ce cas libre de mettre en place les circuits de vente les plus pertinents pour lui, comme la vente directe aux consommateurs, aux restaurateurs ou dans une AMAP.  

Dans le cas d’une entreprise, il peut y avoir une cinquantaine de collaborateurs intéressés par l’achat de paniers hebdomadaires. Le modèle économique proposé au maraîcher sera de créer une AMAP pour les personnes de l’entreprise. Pour des entreprises de plus petite taille, nous pouvons proposer aux maraîchers de vendre aux collaborateurs et une autre partie de la production sera vendue sur les marchés de la commune. L’idée est de vendre exclusivement en circuit court. 

 

  • À quels engagements cela correspond ?

Nous avons véritablement à cœur de porter des projets qui prennent soin de l’environnement. Cela veut dire prendre soin des sols, des écosystèmes, de la biodiversité, du producteur et des consommateurs en leur proposant des produits de bonne qualité.

Nous sommes dans une démarche d’ agroécologie qui préconise des modes de cultures bio-intensives, techniques culturelles inspirées de ce que fait par exemple Jean-Martin Fortier au Québec. L’idée est d’être à la fois respectueux des écosystèmes et également productif pour avoir un impact positif de ce mode de culture grâce au développement de la consommation de ces produits et de leur vente pour assurer une activité économique sur l’espace exploité. 

Le maraîchage bio-intensif permet d’être plus productif. Il se traduit par un faible travail du sol, avec pas ou peu de mécanisation pour permettre une haute densité de plantation au mètre carré, sans utiliser d’intrants chimiques pour favoriser uniquement le bio.

L’intensité de ce genre de maraîchage repose sur un travail humain beaucoup plus important du fait de l’absence de mécanisation. C’est ce qui, in fine, va garantir une activité économique pérenne sur le territoire avec de la création d'emploi grâce à ce type d’exploitation. 

 

  • Comment concevez-vous l’installation des maraîchers ? 

Notre accompagnement se compose de trois phases : la conception, la construction et l’animation. Tout d’abord, la conception débute en amont du projet. Elle s’appuie sur un diagnostic agro paysager, une étude de faisabilité par rapport aux besoins du client et à ce qui est possible de faire sur l’espace. Une étude des sols est réalisée pour vérifier leur état, l'orientation de l’espace, la présence des arbres et des ombres portées, l’ accès à l’eau, etc. 

Ensuite, nous proposons un volet plus sociologique, avec des enquêtes menées auprès des bénéficiaires dans l'entreprise ou collectivité de la future ferme. Par exemple, cela servira à mettre en place des distributions de paniers bio ou à faire des animations spécifiques. Nous nous assurons ainsi que le projet est viable pour le maraîcher qui s’installe et qu'il répond aux attentes des propriétaires fonciers. 

À la fin de cette phase de conception, nous allons pouvoir proposer une modélisation de la ferme et pouvoir définir les différents objectifs du projet économiquement ou en termes de production en adéquation avec les observations des bénéficiaires, comme faire revivre les légumes oubliés ou l'importance d’avoir des œufs dans les panier il faudra prévoir l'installation un poulailler dans la ferme. Cet avant-projet complet est totalement chiffré et il met en avant le modèle économique le plus précisément possible.

Deuxième phase, la construction du projet défini. Une fois que le propriétaire foncier l’ a validé, nous passons au montage juridique et à l’ appel à manifestation d’intérêt pour trouver un maraîcher partenaire qui va s’ installer sur le site. Ensuite, nous entrons dans une phase d' assistance à maîtrise d’ouvrage du suivi du chantier à proprement parler pendant laquelle le projet de la ferme prend vie.

La troisième phase est celle du programme d’ animation une fois que la ferme existe. L’ idée est d’ ouvrir la ferme sur le territoire pour sensibiliser les riverains aux enjeux de l' agroécologie, notamment au respect des sols, à la pénibilité du travail du maraîcher aujourd’hui, aux bonnes pratiques pour valoriser une agriculture durable, etc.

Nous essayons de maximiser notre impact pour que ces publics ne soient pas uniquement des consommateurs des produits issus de la ferme, mais qu'ils aient de vraies prises de conscience grâce aux ateliers sur le site. Notre accompagnement s'étend sur un an. La phase de conception prend environ trois mois comme celle d’identification du maraîcher partenaire, plus le temps de la construction et des travaux, cela correspond à une année entière. 

 

  • Comment mesurez-vous l’impact de votre activité ? 

Nous pouvons mesurer un impact de notre activité sur la protection des sols et de la biodiversité avec un premier axe qui est une analyse de l’avant et après l'installation de la ferme, au niveau des différentes populations d’insectes présentes, la variété des plantes et le retour des vers de terre dans les sols.

Deuxièmement, nous regardons de plus près le niveau de revenus moyens du maraîcher sur la durée. En moyenne, un maraîcher français gagne aujourd’hui environ 740 euros net mensuels dans une installation classique. Nous espérons que notre modèle puisse garantir un niveau de revenus plus conséquent, voire le double de cette somme. 

Et le troisième volet concerne le bien-être social pour les bénéficiaires ou les riverains, à travers les produits consommés ou les animations et ateliers mis en place dans la ferme. Cela va concerner tous les changements de vie ou de consommation que la ferme va inspirer aux populations.  Le volet carbone est, quant à lui, plus difficile à mesurer pour le moment, notamment pour le stockage carbone sur le site ou le changement de comportement des personnes car, en consommant en circuit court, on sait qu’on réduit son empreinte carbone. Mais c’est encore trop tôt pour le définir.

Il y a eu les élections municipales et cela a été une belle opportunité de nous faire connaître auprès des nouvelles équipes pour amorcer des projets avec certaines collectivités territoriales. Les questions liées à l'autonomie alimentaire d’un territoire sont revenues sur le devant de la scène. C’est devenu un vrai sujet politique aujourd'hui au niveau national. L’agriculture durable prend de l' ampleur au niveau des collectivités territoriales. La loi Egalim prévoit d’ailleurs de nombreuses mesures pour le secteur de la restauration collective, notamment, dès le 1er janvier 2022, au moins 20 % des produits devront être issus de produits biologiques. 

 

  • Quels sont les projets à venir pour Cultures & Compagnies ?

Depuis ce début de l'année 2021, nous continuons d’accompagner la ville de Saint-Martin-d’Hères, située vers Grenoble, dans sa stratégie de développement d’agriculture urbaine sur son territoire.  Et plus récemment, nous avons été nommés Lauréats pour deux projets dans le cadre du programme de Quartiers Fertiles de l’ANRUE (Agence Nationale pour la Rénovation Urbaine). Leur objectif est de financer des projets d’agriculture urbaine dans les quartiers prioritaires de la ville (QPV). Nous allons donc accompagner la conception et construction d’une ferme dans la ville du Blanc-Mesnil ainsi qu’ au sein de la commune d’Epinay-Sous-Sénart pour leur projet Coeur de ville. Nous allons développer la culture maraîchère en pleine terre sur les berges à proximité des zones péri-urbaines.

Nous avons aussi commencé l’accompagnement de la commune de Palaiseau pour la construction d’une ferme agroécologique sur un foncier de la ville. Les nouvelles sont positives et prometteuses. 

 

Découvrez le dossier complet :
Pour aller plus loin, Carenews vous propose un dossier complet "Alimentation et agriculture durables"

 

Christina Diego 

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