« Il faut passer d’une économie linéaire à une économie à visée régénérative », entretien avec Fabrice Bonnifet (C3D et GenAct)
Face à l’urgence écologique et sociale, les entreprises doivent revoir la profondeur de leur stratégie de durabilité, estime Fabrice Bonnifet. Il souligne la nécessité de ne pas se contenter de faire un peu mieux sans rien changer à leurs modèles économiques.

Dans un contexte de backlash écologique, de nombreuses entreprises temporisent sur leurs engagements environnementaux et sociaux, voire même reviennent dessus. Dans un entretien, Fabrice Bonnifet explique à Carenews pourquoi elles devraient au contraire plus que jamais agir pour faire évoluer leurs modèles économiques, afin de les rendre plus circulaires.
Le président du Collège des directeurs du développement durable (C3D) et de l’association GenAct défendra également ce point de vue dans deux tables rondes organisées dans le cadre du salon Produrable, qui aura lieu les 8 et 9 octobre prochain au Palais de Congrès à Paris.
- Carenews : Vous présidez le C3D depuis 2018 (Collège des directeurs du développement durable). À ce titre, quel regard portez-vous sur le backlash, le retour en arrière, sur les questions environnementales et sociales, que l’on peut observer au niveau européen et mondial depuis quelques mois ?
Fabrice Bonnifet : Le backlash écologique était latent car nombre d’acteurs économiques avaient compris que prendre en compte le vivant et le climat dans leurs modèles d’affaires ne serait pas sans conséquence sur leur profitabilité. L’arrivée de Donald Trump a désinhibé les insincères de la transition et donc ceux qui demeurent hostiles à toute régulation sociale ou environnementale des entreprises. Nombre d’entre eux, mais surtout les fonds de pensions, particulièrement aux États-Unis, ont considéré que c’était le moment de desserrer l’étau réglementaire.
La dictature de la rentabilité court terme l’emporte sur la nécessité d’investir à moyen terme pour réorienter l’économie vers de la soutenabilité forte. Deux visions s’opposent : il y a ceux qui pensent que la technologie va nous permettre de ne quasiment rien changer à nos modes de vie, et ceux qui sont réalistes sur son incapacité à prendre en compte tous les enjeux. En outre, le technosolutionnisme se heurte à la finitude des ressources minérales et aux impacts négatifs sur le climat et la biodiversité associés à leur exploitation.
L’arrivée de Donald Trump a désinhibé les insincères de la transition. »
- Le C3D, de même que l’association GenAct initiée par le C3D il y a quelques mois, défendent la transition vers une économie « à visée régénérative ». Que voulez-vous dire par là ?
Nous devons passer d’une économie linéaire, prédatrice d’une quantité gigantesque de ressources naturelles pour fabriquer et vendre des produits à obsolescence programmée qui finissent en déchets très faiblement recyclables, à une économie de la fonctionnalité et de la coopération qui privilégie l’usage de produits robustes à pérennité programmée. Autrement dit des produits et surtout leurs composants, qui deviendront des « banques de matériaux » pour les générations futures.
Ce modèle est beaucoup plus rentable que l’approche classique, très écocide. Cela permettrait de réaffecter les profits dans la régénération du capital naturel des entreprises.
- Pour quelles raisons est-on encore loin de la généralisation de ces modèles de production et de consommation ?
Des verrous sociotechniques subsistent alors que l’évidence s’impose. Les collaborateurs, les décideurs dans les entreprises ne sont pas formés à ce type de modèle. C’est la raison pour laquelle le C3D a été à l’origine de la création de GenAct, association qui vise à rassembler tous ceux qui souhaitent monter en compétences sur les nombreuses thématiques des modèles d’entreprises à visée générative et surtout qui entendent les déployer dans leurs organisations.
Il faut parvenir à ringardiser la notion de propriété pour tout et n’importe quoi. On ne sera pas plus heureux en possédant des objets que nous n’utilisons que très peu de temps dans notre vie. »
Il existe aussi des verrous réglementaires et fiscaux. Mais ce sont les aspects culturels qui freinent le plus l’adoption de ces modèles d’entreprises. Pour les surmonter, il faut parvenir à ringardiser la notion de propriété pour tout et n’importe quoi. On ne sera pas plus heureux en possédant des objets que nous n’utilisons que très peu de temps dans notre vie. La vraie liberté c’est de pouvoir jouir de tout, sans forcément tout posséder. Le partage et la coopération sont des valeurs à promouvoir.
- Quelles ont été les conséquences du backlash écologique sur les directions RSE, selon vos observations ?
Nous n’avons pas fait de travaux pour les quantifier, mais nous observons que, dans beaucoup d’entreprises, les plans de transition sont ralentis, les ambitions revues à la baisse, les recrutements liés à la RSE sont reportés. Cela semble toutefois assez variable selon les secteurs d’activité.
- Avez-vous pour autant constaté une diminution des adhésions au C3D ou à GenAct ?
Non, heureusement. Le C3D, association qui réunit des directeurs et directrices du développement durable et de la RSE, continue de se développer et compte plus de 400 membres en 2025. Nous sommes plus que jamais mobilisés pour accompagner nos membres dans leur processus de transition écologique.
Quant à GenAct, l’association s’adresse à tous les salariés. Nous voulons les fédérer, les former, les encourager car ils sont indispensables pour faire advenir concrètement des modèles d’entreprises à visée régénérative. L’association a été lancée en avril 2025 et nous comptons déjà 2 200 adhérents.
Propos recueillis par Camille Dorival
La 18e édition du salon Produrable aura lieu les 8 et 9 octobre 2025 au Palais des Congrès, Porte Maillot, à Paris. Organisé par le groupe AEF info, dont Carenews est une filiale, ce salon rassemble chaque année, pendant deux jours, 15 000 visiteurs, 750 intervenants, plus de 340 partenaires et une communauté de 50 000 décideurs.
Fabrice Bonnifet y interviendra dans deux tables rondes :
- Quel modèle d’entreprise pour concilier performance économique, justice sociale et transition écologique ?, en dialogue avec Benoit Hamon, président d'ESS France. Un débat organisé par Carenews, le 8 octobre de 15h15 à 16h.
- Pour une économie au service du Vivant, avec également Marine Calmet, juriste à Wild Legal, le 8 octobre de 16h à 17h15.
Carenews animera trois autres temps d'échange pendant le salon :
- Entreprises et changement climatique : s’adapter ou disparaître ?, le 8 octobre de 12h45 à 13h30 avec Ilian Moundib, ingénieur en résilience climatique, Rosana Techima Salsano, directrice de la durabilité Groupe de CNP Assurances, Isabelle Sucra, directrice RSE de Heineken France, et Denis Geffroy, directeur durabilité, affaires publiques et philanthropie de Generali France.
- Comment sensibiliser vos collaborateurs à la RSE ? – Le Grand Quizz Mission RSE, avec Emilie Thiry, CEO de Talk the Walk, et Agathe Hocquet, responsable de la communication et des projets éditoriaux de Carenews, le 8 octobre de 16h30 à 17h15.
- Diversité, mécénat, santé mentale : quand l'engagement sociétal devient un levier d'héritage collectif, avec Frédéric Mazzella, président-fondateur de Blablacar et de Dift, Sophie Jayet-Creusot, directrice de la communication et des affaires corporate France d'Unilever, Anne Perette-Ficaja, directrice de la communication de l'Alliance pour la santé mentale, Yann Borgstedt, fondateur de la Fondation Womanity, et Yann Queinnec, délégué général d'Admical. Le 9 octobre de 14h à 15h15.
Renseignements : www.produrable.com