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Par Carenews INFO - Publié le 8 décembre 2021 - 14:00 - Mise à jour le 15 décembre 2021 - 16:53 - Ecrit par : Théo Nepipvoda
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La Grande Sécu : « il y a une méconnaissance globale des mutuelles qui est très surprenante »

Le débat sur une « Grande Sécu », qui réduirait considérablement le champ d’action des mutuelles, a refait surface. L’occasion de revenir avec l’historienne Charlotte Siney sur la place des mutuelles et ses liens parfois houleux avec la Sécurité sociale.

Charlotte Siney, historienne. Source : la Mutualité Française.
Charlotte Siney, historienne. Source : la Mutualité Française.

 

Ces dernières semaines, l'idée d'une « Grande Sécu »  a refait son apparition dans le débat public. Le ministre des Solidarités et de la Santé, Olivier Véran, a sollicité l’avis du Haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie sur l’extension du périmètre de la Sécurité Sociale, au détriment des mutuelles. Les mutualistes ont été vent debout contre ce projet qui réduirait automatiquement leur poids. Charlotte Siney, historienne spécialiste du mouvement mutualiste, revient sur l’évolution historique de la place des mutuelles dans la société et sur les relations parfois tendues qu’elles entretiennent avec la Sécurité sociale.

 

  • Comment sont nées les premières mutuelles en France ?

Le mouvement mutualiste est un des plus anciens mouvements sociaux français. On en trouve même des traces dans l’Antiquité. Mais si on veut revenir aux fondements principaux de la mutualité, il faut aller au Moyen-Âge, dans les associations ouvrières, les confréries de métiers, dans lesquelles on avait déjà cette tradition solidaire de s’assurer face aux risques sociaux dans une société qui était  totalement démunie.

Cette tradition solidaire va être reprise à la fin du 18e siècle par des mouvements qui apparaissent dans une société artisanale et urbaine. Ces mouvements sont des sociétés de secours mutuel. Elles reprennent un héritage solidaire médiéval mais le modernisent en une tradition démocratique avec des règles précises de fonctionnement. Elles apportent cette protection minimale mais qui, à l'époque, est une amélioration considérable : une protection face à la maladie, à la vieillesse, des indemnités journalières quand on ne peut pas aller travailler. 

Cela reste vraiment très ancré dans une petite minorité française. On estime qu'à la fin du 18e siècle, il existait une cinquantaine de sociétés de secours mutuel en France. C’est quelque chose de vraiment fragmentaire, qui se développe dans ce milieu d’artisans qualifiés lettrés. 

 

  • Comment les mutuelles vont-elles gagner du terrain pour devenir de vrais acteurs dans la société française ?

À la Révolution française, les sociétés de secours mutuel vont subir la loi Le Chapelier qui interdit toute forme de rassemblement dans le monde du travail. Ce qui est paradoxal, c’est que malgré cette interdiction juridique drastique, les sociétés de secours mutuel continuent de se développer en France. Il y en avait une cinquantaine avant la révolution. Il y en a 60 en 1800 et 2 500 en 1848. 

Les autorités sont tolérantes avec les sociétés de secours mutuel pour une bonne raison : le monde ouvrier se développe dans des conditions de vie extrêmement miséreuses. Finalement, la mutualité rend de grands services à la société. 

En 1852, la mutualité est légalisée par Napoléon III, dans l’idée de contrôler les mouvements ouvriers, de réprimer les masses ouvrières. On a un mouvement totalement contrôlé par l’empereur mais qui obtient des moyens de développement importants. C’est à partir de là que les mutuelles vont gagner les classes moyennes, les fonctionnaires et de plus en plus de catégories sociales.

 

  • Comment en arrive-t-on à la Sécurité sociale ?

La Sécurité sociale est le fruit d’une très longue évolution et d’un très long débat des pouvoirs publics sur l’obligation et la liberté qui commence dès la fin du 19e siècle. L’Etat républicain hésite entre ce système de liberté individuelle et le système obligatoire à l’allemande. La Grande Guerre va tout changer car elle provoque une explosion inédite des problématiques sociales. On prend conscience à ce moment-là que l’Etat doit les prendre en charge.

On va très lentement s’orienter vers un système obligatoire. D’autant plus que l’on récupère nos départements d’Alsace et de Moselle qui avaient été confisqués par l’Allemagne et qui eux bénéficient du système social allemand. Le premier système obligatoire est mis en place en 1930 avec les assurances sociales. Il s’agit d’un brouillon de la Sécurité sociale, très lacunaire sur la prise en charge. Mais c’est une amélioration énorme pour les gens de cette époque. C’est un système obligatoire mais qui permet aux gens de rester libres de choisir l’organisme qui va gérer leur protection sociale. Les mutualistes vont être les chefs d’orchestre du système. Cela dure jusqu’en 1945 et la création de la Sécurité sociale. 

 

  • Comment les mutuelles vont-elles vivre l’arrivée d’un système universel ?

1945 constitue un retournement intégral qui va être un choc pour la mutualité. Le système est créé sur les bases du programme du Conseil national de la résistance (CNR). Le système va être universel et unifié. Il couvre toute la population et tous les risques avec un système unique. Les caisses vont être confiées de manière démocratique aux partenaires sociaux. On laisse donc complètement de côté la mutualité. 

La mutualité est totalement contre la sécurité sociale. Elle fait même une campagne d’affichage dans les rues. 

La situation va s’arranger au bout de quelques mois, en 1947, car plusieurs éléments vont être favorables aux mutuelles. D’abord, le ticket modérateur, qu’on appelle aujourd’hui la complémentaire santé et qui devait être temporaire, perdure. On la confie aux mutuelles. 

Aussi, beaucoup de groupes professionnels ne veulent pas intégrer le régime général. On va être obligé de maintenir des régimes particuliers pour lesquels la mutualité peut proposer ses services. 

Le troisième élément fondateur, c’est la loi Morice. Elle va réconcilier la mutualité avec la Sécurité sociale en disant : reconnaissez le système obligatoire et en échange, on vous autorise à gérer certaines sections locales de la Sécurité sociale. 

 

  • Comment s’est fait le lien entre Sécurité sociale et mutuelles ?

Les mutuelles vont adhérer au système obligatoire et vont devenir les principales alliées de la Sécurité sociale. À partir des années 60, les mutuelles descendent dans la rue pour défendre la Sécurité sociale contre les réformes. Il y a un vrai rapprochement. Et cela ne s’est jamais arrêté : la mutualité défend une protection sociale au plus haut niveau. 

 

  • Pourquoi réfléchit-t-on aujourd’hui à la « Grande Sécu » ?

Les mutuelles ont une mauvaise image de marque. Il y a une méconnaissance globale qui est très surprenante. Une méconnaissance par  le grand public, peu surprenante, car il est un peu perdu avec les complémentaires santés. Aujourd’hui, les mutuelles sont sur un marché extrêmement concurrentiel, en face des compagnies d’assurances privées, des groupes lucratifs. Il est très compliqué de faire la différence entre elles car elles répondent aux mêmes normes.

Cette méconnaissance de la mutualité existe aussi au niveau du pouvoir politique. On a tendance à faire des mutuelles les gros méchants qui s’en mettent plein les poches au détriment des assurés sociaux. Ce qui est stupide car les mutuelles sont des groupes de personnes et n’ont pas d’actionnaires à rémunérer. 

Le débat sur une « Grande Sécu » revient de manière cyclique. Ce qui interpelle, c’est qu’en 1945, on n’a pas réussi à le faire, c’est ce qui a donné une survie aux mutuelles, alors que le projet politique était là. Aujourd'hui, on est passé dans un système où l’argument économique, financier, est devenu la norme.

Finalement, le projet a été abandonné car ce n’est pas très viable. Comment le finance-t-on ? Comment en vient-on à assurer tous ces risques alors que depuis 70 ans, la Sécurité sociale a plutôt reculé qu'avancé au profit des complémentaires ?

 

  • La défiance vis-à-vis des mutuelles ne vient-elle pas de la concurrence qui a poussé les mutuelles à avoir d’autres logiques ?

Aujourd’hui, il y a une confusion des genres entre mutuelles et assurances, entretenue par la législation européenne. Depuis une vingtaine d’années, les mutuelles sont contraintes de fonctionner sur un modèle qui a été façonné pour le monde des assurances.

Aussi, avec la réglementation française sur les contrats solidaires et responsables, les mutuelles ne peuvent pas du tout se distinguer des compagnies d’assurances. 

Il y a également une responsabilité du côté des mutuelles qui ne se font pas assez reconnaître, qui ne font pas assez de pédagogie sur leurs valeurs, leur enracinement dans l’ESS. Il y a un déficit d’image du monde mutualiste qui est très dommageable aujourd’hui et qui est leur fait. Il est urgent que les mutuelles sortent de leur réserve historique et qu’elles fassent connaître leurs principes, leurs valeurs, leur fonctionnement par rapport aux concurrents à but lucratif.

 

Propos recueillis par Théo Nepipvoda

 

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