Aller au contenu principal
Par Carenews INFO - Publié le 20 novembre 2025 - 14:16 - Mise à jour le 20 novembre 2025 - 16:08 - Ecrit par : Elisabeth Crépin-Leblond
Recevoir les news Tous les articles de l'acteur

« La restauration est un milieu malade » : avec le mouvement Restaure, Éloi Spinnler s’attaque aux violences en cuisine

Le chef Éloi Spinnler a cofondé trois restaurants à Paris et compte plusieurs centaines de milliers d’abonnés sur ses réseaux sociaux. À côté de ses recettes de cuisine, il utilise sa visibilité pour dénoncer les violences psychologiques et physiques en cuisine. Un problème qu’il estime systémique dans la restauration et qu’il combat par l’instauration d’un management particulier au sein de ses équipes, mais aussi en s’impliquant dans le mouvement Restaure, réunissant professionnels et associations.

Avant d'ouvrir ses propres restaurants et de s'engager sur le sujet, Éloi a lui-même été victime de violences lors de ses débuts dans les cuisines. Crédit : Élisabeth Crépin-Leblond / Carenews
Avant d'ouvrir ses propres restaurants et de s'engager sur le sujet, Éloi a lui-même été victime de violences lors de ses débuts dans les cuisines. Crédit : Élisabeth Crépin-Leblond / Carenews

 

Sweat à capuche sur le dos et casquette à cœur sur la tête, Éloi Spinnler nous accueille devant le dernier-né de son entreprise Bonaloi : le restaurant Envie, proposant une formule de buffet à volonté, à Paris. Le chef cuisinier de 31 ans a déjà ouvert deux autres restaurants dans la capitale et s’est fait connaître du grand public grâce à des vidéos sur les réseaux sociaux mêlant conseils culinaires et divertissement.  

Sur Instagram, YouTube et TikTok, il use de son influence pour sensibiliser régulièrement au zéro déchet en cuisine. Depuis quelque temps, Éloi Spinnler prend également la parole sur un sujet plus difficile : les violences présentes dans le secteur de la restauration.  

  

L’excellence de la gastronomie française justifierait de passer par une forme de bizutage. Il y a cette idée que, pour arriver à l’élite, il faut souffrir ». Éloi Spinnler. 

Des violences courantes 

  

« La restauration est un milieu malade », dénonce-t-il d’emblée. Une formulation forte pour désigner un phénomène dont il a été lui-même victime lors de ses débuts dans la profession. « J’ai vu des jeunes laver le sang de leur pantalon au savon le soir. Les supérieurs les piquaient derrière les cuisses pour qu’ils travaillent plus vite », raconte-t-il par exemple.  

 


À lire aussi : Bio, proximité, conditions de travail... Comment transformer le secteur de la restauration ? 


 

Dans les commentaires de ses vidéos dénonçant les violences en cuisine, d’autres retours d’expérience pleuvent. Brûlures volontaires, intimidations, insultes…  Il ne s’agit pas d’actes isolés : Éloi Spinnler décrit un système qui dysfonctionne dans son ensemble, en produisant des violences physiques comme psychologiques. « L’excellence de la gastronomie française justifierait de passer par une forme de bizutage. Il y a cette idée que, pour arriver à l’élite, il faut souffrir », rapporte-t-il. Arrivé à des postes à responsabilité, le chef se surprend à reproduire certains des comportements qu’il a subis. « La restauration est un métier d’artisan où l’on reproduit par nature. De plus, le cerveau humain essaie de trouver une raison à ces violences. Même si on n’est pas d’accord, on les intègre », analyse-t-il.  

 

Instagram Eloi Spinnler
À gauche, Éloi dans une vidéo avec le streamer et vidéaste français Squeezie, à droite une vidéo de dénonciation des violences en cuisine postée sur compte.  Crédit : capture d'écran du fil Instagram d'Éloi Spinnler.
 

 

Pour Éloi, cette situation est non seulement douloureuse, mais aussi paradoxale. « Le but de la restauration est de faire plaisir aux gens. Si on va au travail la boule au ventre, ça n’a pas de sens ! ». Afin de lutter contre ce cercle vicieux, il décide alors de changer sa manière de fonctionner avec ses équipes. « C’est le travail du manager et du fondateur de trouver une solution », argumente-t-il.  

  

UN Management « collaboratif »

  

Au sein des restaurants Bonaloi, le groupe qu’il a cofondé, la prévention des violences passe donc par la mise en place « d’un management collaboratif », détaille-t-il. Au programme, une culture de l’écoute et surtout, de nombreuses réunions. « Bien traiter les personnes en restauration demande de se creuser la tête », estime Éloi Spinnler. 

En plus des réunions quotidiennes au sein des équipes, les différents managers se réunissent au cours de la semaine pour partager les problématiques qu’ils rencontrent et y trouver des réponses ensemble, dans un système de « codéveloppement ». « L’idée est de dédier des espaces de discussion avec l’obligation pour les managers de débriefer et de gérer les problèmes », explique-t-il. Le chef veut aussi valoriser le travail des jeunes salariés, en les encourageant rapidement à prendre des responsabilités, selon un processus par étapes. 

 


À  lire aussi : Ces entreprises qui partagent mieux le pouvoir 


 

Dans un contexte de crise du recrutement rencontrée par le secteur de la restauration depuis quelques années, « notre énorme chance est que nous n’avons pas à nous inquiéter du taux de remplissage de nos restaurants, qui est bon. Cela nous permet de recruter et de prendre du temps pour les réunions », reconnaît-il. D’après l’Insee, le taux de rotation des salariés atteignait en effet 44 % dans la restauration, contre 15 % en moyenne dans les autres secteurs en 2024. En outre, selon l’étude « Besoin en main d’œuvre » 2025 de France Travail, le besoin des entreprises de la restauration atteignait 126 000 postes, avec un taux de turn-over de plus de 50 %. De quoi forcer les entreprises à évoluer ? « Vous surestimez les chefs. Ils pensent juste que les jeunes ne veulent plus bosser », déplore le fondateur d’Orgueil, son premier restaurant, nommé comme un pied-de-nez à l’égo de certains de ses confrères. 

L’autre axe d’évolution majeur du groupe a été la suppression des heures supplémentaires excessives et non payées, largement répandues dans le secteur. « Réduire la fatigue est un pas important. Quand on est épuisé, on n’arrive pas à gérer ses émotions », fait valoir le chef, se souvenant de semaines de travail de 100 heures lorsqu’il travaillait comme salarié à Londres, provoquant à la fois « le pire et le meilleur ». 

  

L’intégration du mouvement Restaure 

  

« Nous apprenons aussi en faisant », considère le chef, préférant « tendre la main plutôt que pointer du doigt » les personnes responsables de comportements inadaptés. Dans cette optique, Éloi Spinnler a rejoint le mouvement Restaure, rassemblant professionnels de la restauration, associations et journalistes dans un combat pour faire du secteur de la restauration « un environnement de travail bienveillant et inclusif aux nouvelles générations ».  

La structure est à l’origine d’un manifeste appelant à mettre un terme aux violences et au harcèlement dans les cuisines, ainsi qu’à agir pour une meilleure place des femmes dans le métier, pour une restauration plus écoresponsable et contre la précarité alimentaire. Un programme que ses membres défendent à l’occasion d’évènements de sensibilisation réguliers et à travers des formations, notamment destinées à prévenir les violences et construire un management juste. 

« La médiatisation dont bénéficie Éloi nous permet de toucher de nombreux professionnels », se réjouit Iris Liberty, coordinatrice nationale du mouvement. Passée par l’antenne marseillaise de l’association Refugee Food et membre de l’association Festin à l’initiative de Restaure, elle fait partie de la « brigade violences en cuisine » avec Éloi Spinnler. « L’enjeu aujourd’hui pour notre association est de toucher au-delà du cercle des convaincus », témoigne-t-elle.  

 

Cela implique de repenser le système. Cela prendra peut-être 30 ans mais tout pourra être durable ». Éloi Spinnler.

  

Un contexte plus large de dénonciation des violences 

  

Depuis quelques années, les violences en cuisine font l’objet de dénonciations de la part de différentes personnalités du secteur, désireuses de briser ce qu’elles considéraient comme une omerta. « Il y a eu un gros travail de fond avant nous », appuie Éloi. Parmi les voix de ce mouvement, se trouve par exemple la cheffe étoilée Manon Fleury, cofondatrice de Bondir.e. Cette association, également membre de Restaure, est destinée à combattre les violences sexistes et sexuelles dans l’hôtellerie-restauration.  

Les messages ont fini par alerter les institutions. Le 7 juillet 2025, une proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sur les violences en cuisine a été déposée à l’Assemblée nationale, suivi d’un colloque en septembre au Palais Bourbon. Y était notamment présente la journaliste Nora Bouazzouni, autrice de l’ouvrage Violences en cuisine : une omerta à la française, publié en mai 2025, recoupant les témoignages d’une centaine d’employés de la restauration. « Il y a un truc qui se passe », relève Éloi. « Mais pour les victimes, c’est toujours compliqué d’en parler », souligne-t-il. 

 

Des formations pour changer les pratiques 

  

Pour Iris Liberty, la prise de conscience est davantage développée aujourd’hui au sein des grandes entreprises de la restauration. « C’est plus délicat dans les petites entreprises et dans les restaurants familiaux. Mais notre enjeu est de nous adresser à tous les types de structures. Nous savons que c’est un travail de longue haleine », appuie-t-elle.  

« Pour éviter une évolution à deux vitesses », la réponse doit passer par la formation et par un travail de pédagogie dans les écoles de cuisine et auprès des détenteurs de postes à responsabilité, considèrent les deux membres de la brigade. « Pour l’instant, ce n’est pas dans le cursus classique de cuisine qu’un restaurateur trouvera des outils. Il faut que les nouvelles générations soient les plus formées possible », prône Éloi.  

Volontairement optimiste, le chef milite par ailleurs pour une cuisine plus écoresponsable. « Cela implique de repenser le système. Cela prendra peut-être 30 ans mais tout pourra être durable », assure-t-il. 

 

 

Élisabeth Crépin-Leblond 

Fermer

Cliquez pour vous inscrire à nos Newsletters

La quotidienne
L'hebdo entreprise, fondation, partenaire
L'hebdo association
L'hebdo grand public

Fermer