Législatives : peut-on s’engager politiquement en entreprise ?
Des salariés peuvent faire part de leurs opinions politiques à leurs collègues et se mobiliser, des managers peuvent appeler au vote. Dans les deux cas, il faut prendre des précautions afin que ces prises de positions ne soient pas malvenues.
Juste après l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale par le président de la République le 9 juin, quelques salariés de Vendredi créent une boucle de discussions en ligne. Ils organisent un déjeuner ouvert à tous les collaborateurs pour échanger sur le sujet. Ils décident d’aller manifester ensemble. Héloïse Arnold, responsable de la communication et de la RSE de la start-up labellisée entreprise solidaire d’utilité sociale (Esus) et B-Corp, crée une affiche appelant à aller voter « contre l’extrême droite » et la placarde dans l’entreprise. Les salariés pouvant prendre une procuration ou en ayant besoin peuvent y inscrire leur contact.
Cette mobilisation réunit une minorité de la cinquantaine de salariés. Pour autant, Héloïse Arnold dit ne pas avoir reçu de commentaires négatifs de ses collègues ou de ses supérieurs. « C’est plutôt facile dans notre culture d’entreprise, nous avons l’habitude d’aborder des sujets engagés », assure Héloïse Arnold. Vendredi propose des solutions permettant aux salariés de s’engager sur leur temps de travail en soutenant des associations, par exemple. « Je ne crois pas trop en la séparation entre la vie professionnelle et la vie personnelle. On garde nos convictions au travail, c’est complètement logique d’en parler, poursuit-elle. J’ai été très affectée par l’annonce de la dissolution et ne pouvais pas ne pas le montrer ».
Des discussions devant la machine à café
Si Héloïse Arnold est soutenue dans son entreprise, il est judicieux de prendre des précautions avant d’initier une telle démarche. « C’est délicat », réagit maître Caroline André-Hesse, avocate au Barreau de Paris et spécialiste du droit du travail, associée du cabinet Ayache. « Le vote est une affaire privée ; afficher des convictions politiques peut être vécu comme intrusif et une violation du secret du vote ».
Un employeur décidant d’envoyer une communication à ses salariés doit aussi faire preuve de retenue. Pour l’avocate, un mail faisant référence aux droits civiques peut être acceptable, à l’inverse d’un message appelant à voter pour ou contre un parti. En revanche, un chef d’entreprise peut s’exprimer publiquement au nom des valeurs de son organisation s’il ne s’adresse pas seulement aux équipes mais au grand public.
Et il est tout à fait possible de parler politique à la pause déjeuner ou devant un café. « La pause, c’est un moment où le salarié n’est pas sous la subordination de son employeur, il fait ce qu’il veut », explique Caroline André-Hesse. La liberté d’expression des salariés ne peut pas être restreinte si les restrictions ne sont pas « justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché », selon le Code du travail. Par ailleurs, les opinions politiques et les activités syndicales sont reconnues par la loi comme des critères de discrimination.
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Mobilisation syndicale
Les débats politiques posent problème à partir du moment où ils se déroulent pendant les heures de travail et qu’ils perturbent le bon fonctionnement de l’entreprise. « La sphère professionnelle est censée être apolitique », indique maître André-Hesse. Un salarié causant des troubles dans l’entreprise ou créant un inconfort pour ses collègues risque même un rappel à l’ordre ou une sanction disciplinaire.
Quid des syndicats ? La CFDT a appelé à voter contre l’extrême droite, tandis que la CGT s’est prononcée en faveur du Nouveau Front populaire. « Ils ont pour rôle d’assurer la défense des intérêts des salariés et non de donner des consignes de vote », déclare Caroline André-Hesse. « Un certain nombre de fédérations l’ont fait, les délégués syndicaux et organisations dans l’entreprise peuvent reprendre ces consignes. Mais les discussions dans l'entreprise doivent être exclusivement en lien avec l’activité professionnelle ». Il est prohibé de tracter pendant les horaires de travail. Mais rien n’interdit à un salarié de distribuer des tracts aux abords de l’entreprise.
Les communications syndicale doivent concerner la mission des syndicats, soit « l'étude et la défense des droits ainsi que des intérêts matériels et moraux, tant collectifs qu'individuels, des personnes mentionnées dans leurs statuts » selon le Code du travail. Pour la CFDT, « c’est bien le rôle d’une organisation syndicale d’informer les salariés de l’entreprise sur le programme de l’extrême droite et d’alerter sur les risques de reculs des droits des travailleurs et des travailleuses ». Le syndicat précise qu’il n’appelle pas à voter pour un parti en particulier, comme cela a été interdit par la Cour de cassation, mais à faire barrage à l’extrême droite.
Célia Szymczak