Loi Duplomb : quelles suites pour la pétition à près de deux millions de signature ?
La pétition déposée par l’étudiante Eléonore Pattery sur le site de l’Assemblée nationale, demandant l’abrogation de la loi Duplomb, approche les deux millions de signatures réunies. Un mouvement d’une ampleur inédite mais dont l’issue politique est encore incertaine.

La pétition demandant l’abrogation de la loi Duplomb, déposée par une étudiante de 23 ans sur le site de l’Assemblée nationale, a dépassé en une dizaine de jours le million de signatures. Quinze jours après son dépôt, elle approche les deux millions de signataires. Un chiffre inédit pour ce type de mobilisation citoyenne, initiée selon cette modalité.
« Le fait qu’une étudiante se soit emparée du sujet a permis de mobiliser en dehors des cercles militants, qui alertaient depuis des mois sur le sujet », analyse Lorine Azoulai, ingénieure agronome et co-présidente du collectif Nourrir.
Le résultat d’une mobilisation multi-azimuts
Ce rassemblement d’associations françaises, comprenant notamment Greenpeace, Foodwatch, Vrac, le CCFD-Terre Solidaire ou encore le label Bio équitable en France, milite depuis deux ans pour des politiques agricoles et alimentaires plus écologiques et plus démocratiques. Lors des discussions parlementaires sur la loi Duplomb, il a pris part à de nombreuses manifestations pour dénoncer le contenu du texte et les méthodes de son adoption.
« La loi Duplomb est le symbole d’un modèle obsolète, sur lequel on continue de s’accrocher et qui ne profite qu’à une minorité d’acteurs économiques », considère Lorine Azoulai. « La mobilisation qu’elle suscite n’est pas surprenante, car le texte propose des régressions très graves sur beaucoup de dimensions, notamment notre santé, celle des agriculteurs et de l’environnement dans lequel on évolue. Il n’y pas besoin d’être un expert pour se rendre compte du problème », ajoute-t-elle.
Pour la co-présidente du collectif Nourrir, l’élan citoyen a posteriori de l’adoption du texte par le Parlement a été nourri par les nombreuses mobilisations en amont, organisées par des associations de protection de l’environnement, de défense des consommateurs ou alertant sur des sujets liés à la santé.
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« La tribune signée par de nombreux acteurs de la santé a contribué à mettre la lumière sur le texte », relève-t-elle par exemple. L’outil « Shake ton politique », proposé par l’association de défense d’une agriculture sans pesticides Générations Futures, a quant à lui conduit à plus de 300 000 interpellations citoyennes de députés pour s’opposer à la loi.
Plus récemment, un collectif de 400 chefs cuisiniers et acteurs de la restauration a pris la parole pour dénoncer « une insulte à la santé de tous ». Soit autant d’interpellations et de prises de position venues de secteur différents, et donc susceptibles de toucher un public varié.
Pour abroger le texte, une nouvelle proposition de loi ou un RIP nécessaire
D’un point de vue juridique, l’issue de la pétition est pourtant encore incertaine. À partir de 500 000 signatures, provenant d’au moins 30 départements ou collectivités d’outre-mer, un débat en séance publique peut être obtenu. Mais ce dernier doit encore être accepté par la conférence des présidents à l’Assemblée nationale afin d’être mis à l’ordre du jour, et n’entraîne ni vote, ni conséquence directe. Il ne permet pas de revenir sur le texte de loi déjà voté.
Si le texte n’est pas censuré par le Conseil constitutionnel, saisi à propos de la motion de rejet ayant permis aux partisans du texte d’esquiver le débat à l’Assemblée nationale, l’initiative pour permettre à la pétition d’avoir un impact concret devra alors être politique, via une nouvelle proposition de loi d’origine parlementaire. Le gouvernement peut également déposer un nouveau projet de loi, mais cette dernière hypothèse est pour l’instant très peu probable.
Enfin, un référendum d’initiative partagé (RIP) est également envisageable, mais il devra réunir 4,9 millions de signatures pour avoir lieu, après avoir été validée par le Conseil constitutionnel. De plus, la loi impose d’attendre au moins un an après la promulgation d’une disposition législative, avant de pouvoir proposer son abrogation dans un RIP.
« Nous avons besoin d’un élan démocratique »
Quelles que soient les modalités politiques à venir, les détracteurs de la loi ne sont pas prêts de baisser la garde. « Nous ne nous contenterons pas d’un énième débat à l’Assemblée nationale », prévient Lorine Azoulai. La co-présidente du collectif Nourrir appelle à « une volonté politique forte » avec « une loi de transition agroécologique qui puisse voir le jour ».
« Nous avons vraiment besoin d’un élan démocratique qui permette aux citoyens et aux différents acteurs de la santé, du droit et de l’écologie d’avoir leur mot à dire », appuie-t-elle. Au-delà des discussions sur certaines dispositions précises qui cristallisent les tensions, comme la réintroduction de l’acétamipride, le collectif Nourrir plaide contre l’encouragement d’« un modèle agricole industriel destiné à l’export sous couvert de souveraineté alimentaire » et pour la mise en place d’un système « qui puisse nourrir sans détruire ».
Dans cette optique, il se mobilise pour la prise en compte dans le débat public d'une définition de la souveraineté alimentaire en tant que « droit des peuples à une alimentation saine et culturellement appropriée produite avec des méthodes durables, et le droit des peuples de définir leurs propres systèmes agricoles et alimentaires ». Cette définition, émanant du mouvement paysan Via Campenisa, a notamment été reprise par les Nations unies dans une déclaration de 2018.
« Ce sont ni plus ni moins les citoyens qui demandent plus de voix. Le succès de la pétition vient aussi du fait qu’il n’y ait pas eu de débat démocratique », rappelle Lorine Azoulai.
Élisabeth Crépin-Leblond